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15/12/2023

Je dois mépriser ces impostures, sans pourtant haïr les imposteurs. Plus on avance en âge, plus il faut écarter de son cœur tout ce qui pourrait l’aigrir

... Ce qui revient dans ce monde actuel à se blinder énormément si on ne veut pas devenir zinzin .

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Moi aussi !

 

« A Jean-Pierre Biord

Au château de Ferney 15è avril 1768 1

Monseigneur,

J’aurais dû répondre sur-le-champ à la lettre dont vous m’avez honoré 2, si mes maladies me l’avaient permis. Cette lettre me cause beaucoup de satisfaction, mais elle m’a un peu étonné. Comment pouvez-vous me savoir gré de remplir les devoirs dont tout seigneur doit donner l’exemple dans ses terres, dont aucun chrétien ne doit se dispenser, et que j’ai si souvent remplis ? Ce n’est pas assez d’arracher ses vassaux aux horreurs de la pauvreté, d’encourager leurs mariages, de contribuer, autant qu’on le peut, à leur bonheur temporel, il faut encore les édifier ; et il serait bien extraordinaire qu’un seigneur de paroisse ne fît pas, dans l’église qu’il a bâtie, ce que font tous les prétendus réformés dans leurs temples, à leur manière. Je ne mérite pas assurément les compliments que vous voulez bien me faire, de même que je n’ai jamais mérité les calomnies des insectes de la littérature, qui sont méprisés de tous les honnêtes gens, et qui doivent être ignorés d’un homme de votre caractère. Je dois mépriser ces impostures, sans pourtant haïr les imposteurs. Plus on avance en âge, plus il faut écarter de son cœur tout ce qui pourrait l’aigrir ; et le meilleur parti qu’on puisse prendre contre la calomnie, c’est de l’oublier.

Chaque homme doit des sacrifices, chaque homme doit penser que tous les petits incidents qui peuvent troubler cette vie passagère se perdent dans l’éternité, et que la résignation à Dieu, l’amour de son prochain, la justice, la bienfaisance, sont les seules choses qui nous restent devant le Créateur des temps et de tous les êtres. Sans cette vertu que Cicéron appelle charitas humani, generis 3 l’homme n’est que l’ennemi de l’homme ; il n’est que l’esclave de l’amour-propre, des vaines grandeurs, des distinctions frivoles, de l’orgueil, de l’avarice, et de toutes les passions. Mais s’il fait le bien pour l’amour du bien même, si ce devoir épuré et consacré par le christianisme domine dans son cœur, il peut espérer que Dieu, devant qui tous les hommes sont égaux, ne rejettera pas des sentiments dont il est la source éternelle. Je m’anéantis avec vous devant lui, et, n’oubliant pas les formules introduites chez les hommes, j’ai l’honneur d’être avec respect,

monseigneur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire de la chambre

du roi très chrétien.

P.S.-- Vous êtes trop instruit pour ignorer qu’en France un seigneur de paroisse doit, en rendant le pain bénit instruire ses vassaux d’un vol commis dans ce temps-là même avec effraction, et y pourvoir incontinent, de même qu’il doit avertir si le feu prend à quelque maison du village, et faire venir de l’eau ; ce sont des affaires de police qui sont de son ressort. »

1 Original signé ; édition « Lettres de Mgr l'évêque et prince de Genève avec monsieur de V*** » (s. I, 1769) p. 7-9. Voir : https://www.jstor.org/stable/40520328?read-now=1&seq=2#page_scan_tab_contents

2 Le prêtre lui avait écrit, le 11 avril, pour le blâmer d’avoir fait ses pâques, et d’avoir prêché à cette occasion. (Georges .Avenel.)

Cette lettre conservée est du 11 avril 1768 . La voici :

« Ce 11 avril 1768

Monsieur,

L'on dit que vous avez fait vos pâques ; bien des personnes n’en sont rien moins qu'édifiées, parce qu'elles s'imaginent que c'est une nouvelle scène que vous avez voulu donner au public en vous jouant encore de ce que la religion a de plus sacré ; pour moi, monsieur, qui pense plus charitablement, je ne saurais me persuader que M. de Voltaire, ce grand homme de notre siècle, qui s'est toujours annoncé comme élevé par les efforts d'une raison épurée, et par les principes d'une philosophie sublime, au-dessus du respect humain, des préjugés et des faiblesses de l'humanité, eût été capable de trahir et de dissimuler ses sentiments par un acte d'hypocrisie qui suffirait seul pour ternir toute sa gloire et pour l'avilir aux yeux de toute personne qui pense . J'ai dû croire que la sincérité avait toujours fait le caractère de vos démarches.

Vous vous êtes confessé, vous avez même communié, vous l'avez donc fait de bonne foi, vous l'avez fait en vrai chrétien, vous l'avez fait persuadé de ce que la foi nous dicte par rapport aux sacrements que vous avez reçus.

Les incrédules ne pourront donc plus se glorifier de vous voir marcher à leur tête portant l'étendard de l'incrédulité ; le public, ne sera plus autorisé à vous regarder comme le plus grand ennemi de la religion chrétienne, de l’église catholique, et de ses ministres . S'il ne peut, malgré les protestations contraires insérées de votre part en certaines gazettes se persuader que vous ne soyez pas l'auteur d'une foule d'écrits, de brochures et d'ouvrages remplis d'impiété qui ont déjà occasionné tant de désordres dans la société, tant de dérèglements dans les mœurs, tant de profanations dans le sanctuaire, il croira au moins que revenu à vous-même, vous ayez enfin résolu de ne plus mettre au jour de semblables productions, et que par un acte aussi éclatant que celui que vous avez fait dans l’église de votre paroisse le jour de Pâques, vous avez voulu rendre un hommage public à la religion qui vous a vu naître dans son sein, et à qui des talents aussi distingués que les vôtres auraient été infiniment utiles, si vous les lui aviez consacrés ; il espérera encor qu'en soutenant ce premier acte par des sentiments et par une conduite uniformes, et en perfectionnant l'ouvrage d'une conversion ébauchée, vous ne laisserez plus aux gens de bien, amateurs de la religion, que le juste sujet de rendre grâces à Dieu, et de le bénir d'un retour qui mettra le comble à leur joie et à leur consolation . Si le jour de votre communion on vous avait vu non pas vous ingérer à prêcher le peuple dans l'église sur le vol et les larcins, ce qui a fort scandalisé tous les assistants, mais annoncer comme un Théodose par vos soupirs, vos gémissements et vos larmes, la pureté de votre foi, la sincérité de votre repentir, et le désaveu de tous les sujets de mésédification qu'il a cru entrevoir par le passé dans votre façon de penser et d'agir, alors personne n'aurait plus été dans le cas de regarder comme équivoque vos démonstrations apparentes de religion . On vous aurait cru mieux disposé à approcher de cette table sainte où la foi ne permet aux âmes même les plus pures de se présenter qu'avec une religieuse frayeur : on aurait été plus édifié de vous y voir, et peut-être auriez-vous tiré plus d'avantage de vous y être présenté . Mais quoiqu'il en soit du passé que je dois laisser au jugement du souverain scrutateur des cœurs et des consciences, ce seront les fruits qui feront juger de la qualité de l'arbre ; et j'espère que par ce que vous ferez à l'avenir vous ne laisserez aucun lieu de douter de la droiture et de la sincérité de ce que vous avez déjà fait . Je me le persuade d'autant plus facilement que je le souhaite avec plus d'ardeur n'ayant rien tant à cœur que votre salut , et ne pouvant oublier qu'en qualité de pasteur je dois rendre compte à Dieu de votre âme comme de toutes celles du troupeau qui m'a été confié par la divine Providence .

 

Je ne vous dirai pas, monsieur, combien j'ai déjà gémi sur votre état, ni combien j'ai déjà offert de prières et de supplications au Dieu de miséricorde pour qu'il daigne enfin vous éclairer de ses lumières célestes qui font aimer et suivre la vérité eu même temps qu'elles la font connaître . Je me bornerai simplement à vous faire remarquer que le temps presse et qu'il vous importe de ne plus perdre aucun des moments précieux que vous pouvez encore employer utilement pour l'éternité . Un corps exténué et déjà abattu sous le poids des années vous averti que vous approchez du terme où sont allés aboutir tous ces hommes fameux qui vous ont précédé et dont à peine reste-t-il aujourd’hui la mémoire .En [se] laissant éblouir par le faux éclat d'une gloire aussi frivole que fugitive, la plupart d'entre eux ont perdu de vue les biens et la gloire immortelle plus digne de fixer leurs désirs et leurs empressements . Fasse le ciel que plus sage et plus prudent qu'eux vous ne vous occupiez plus à l’avenir qu'à la recherche de ce bonheur souverain qui peut seul remplir le vide d'un cœur qui ne trouve rien ici-bas qui puisse le contenter !

C'est ce que je ne cesserai de demander au Seigneur par mes vœux les plus ardents et je le dois au vif intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde, au zèle dont je suis animé pour votre salut et au sentiment respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être[...]. »

A propos de la harangue de V*, Wagnière écrit le 19 avril 1768 à Damilaville : « J’assistai à la cérémonie, et lorsque je lui ouïs ouvrir la bouche pour haranguer, le sang me glaça et je me cachai . Cela fait un bruit affreux et ne fera pas l'effet qu'il en avait espéré […]. »

3 Cicéron, De finibus, V, 23 . Trad. : l'amour du genre humain.

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