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07/02/2024

Il s'imagine que c'est moi qui ai soulevé tous les esprits

... C'est bien là ce que peut dire chacun des ex-soutiens du président du Nigéria Macky Sall : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/senegal/reporta...

Il n'est pas mauvais de jeter un regard attentif sur ce qui se passe dans cet extraordinaire continent qu'on semble oublier en Europe mais que ne négligent pas les Russes ni les Asiatiques, nouveaux colonialistes dans l'âme , profiteurs hypocrites et rapaces déguisés .

 

 

« A Marie-Louise Denis

[De Ferney] 24 juin 1768 1

Le Nekre 2, non pas le mari de la belle Nekre 3, mais l'ancien amant d'un cul pourri, mais l'assassiné, le banni , qui est actuellement un bon négociant de Marseille et qui a passé par son ancienne patrie, vous rendra cette;lettre ma chère nièce . Il faut que vous sachiez que tout le clergé est déchaîné . Il s'imagine que c'est moi qui ai soulevé tous les esprits, et si on s'est saisi d'Avignon, s'il y a une guerre entre les catholiques et les dissidents en Pologne, j'en suis la cause . Damilaville vous aura peut-être dit que le cardinal de Choiseul, archevêque de Besançon, a oublié son nom pour se souvenir seulement qu'il est cardinal et que c'est lui qui a persécuté Fantet, l’avocat général de la chambre des comptes, et Leriche . Il a même, le croiriez-vous ? écrit aux fermiers généraux pour faire révoquer Leriche qui est inspecteur des domaines en Franche-Comté . Il leur a mandé qu'il remplissait la Franche-Comté de mes livres prétendus . Comme, Dieu merci, je n'ai jamais fait aucun ouvrage que le clergé puisse me reprocher, je n'ai pas voulu être la victime de la calomnie . J'ai demandé 4 en général une lettre de recommandation à M. le duc et à Mme la duchesse de Choiseul auprès du cardinal 5 sans leur dire de quoi il s'agissait . Je l'ai obtenue . J'ai écrit au cardinal une lettre flatteuse et mesurée dans laquelle je me suis bien gardé d'entrer dans aucun détail, et dont il ne pourra jamais abuser, quand même il aurait la malhonnêteté de ne me point répondre .

Le maçon qui fut repris de justice à Paris dans le temps qu’il était porte-Dieu, et qui est à présent à ce qu'il dit évêque et prince de Genève, a voulu remuer aussi . Je lui ai fermé la bouche par une conduite sage et nécessaire très approuvée par les Italiens adroits et blâmée à Paris par les gens de lettres qui riraient si j'étais sacrifié pour eux .

Si je ne peux échapper à la calomnie, j'échappe du moins à la persécution . Si Damilaville s'en tire avec six mille livres de pension, c'est un sort très heureux . Mme de Sauvigny qui avait mis dans sa tête de frustrer Damilaville de la place à lui promise, m'avait assuré qu'elle lui ferait donner une forte pension. Je suppose qu'elle a tenu parole. Il est heureux, le voilà récompensé, et peu soupçonné . Je suis dans un cas tout différent . Mais je laisse gronder les orages uniquement occupé du Siècle de Louis XIV et de Louis XV . J'aurai bientôt achevé ce monument que j'érige à l'honneur de ma patrie sans flatterie et sans médisance . J'ose espérer qu'on ne me lapidera pas avec de petits cailloux tandis que je bâtis ce grand édifice .

J'ai lu par un grand hasard les Conseils raisonnables 6, la Profession de foi des théistes 7, l’Épître aux Romains 8, et quelques autres drogues 9 . Je me flatte qu'on ne m'imputera pas ces bagatelles tandis que je me consume jour et nuit sur une histoire qui contient cent trente années .

Pour l'histoire de notre petit pays de Gex, elle sera bien courte . On n'a encore tracé ni le port ni la ville de Versoix . On n'a rien fait mais on va commencer . Si M. le duc de Virtemberg ne m'avais pas remis à deux ans pour me payer les soixante -dix mille livres qu'il me doit, je bâtirais à Versoix une maison pour faire ma cour à M. le duc de Choiseul et je crois que ce serait un assez bon effet pour vous . On y établira la poste dans huit jours 10 . C'est Fabry qui l'a , car il a tout englouti . On donne à Racle l'entreprise du port . On bâtira la ville quand on pourra . Racle au moins pourra se dédommager de la perte qu'il a faite en construisant sa ridicule maison, mais j'aurai toujours perdu ce que je lui ai prêté . Vous vous en tirerez un jour , à ce que j'espère .

Je fus bien surpris il y a six jours quand je vis arriver chez moi M. et Mme de Vaux, et une grande bâtarde de M. de Vaux et le petit Vau qui est très joli et la mie du petit Vau . Les voilà établis ici 11. Je m'enferme dans ma chambre avec mes deux siècles . Je parais seulement à la fin du dîner et du souper, et cependant ils restent . Leur amusement est d'aller chez Mallet et chez Racle . On ne peut quitter un pays qui fournit des plaisirs si séduisants . Il est vrai que la moisson paraît belle, c'est-à-dire qu'on pourra bien avoir quatre pour un avec la paille . Voilà notre terre de promission . Elle est admirable pour quiconque a des yeux et des jambes . Mais ceux à qui ces deux organes manquent doivent y périr . Nous avons manqué un marché de deux cent mille livres . Vous n'en aurez jamais cinquante mille écus . Pour moi, je la quitterais demain si je n’étais retenu par mes siècles .

On prend, comme vous savez, le train de m'envoyer garnison . Il faut soulager le paysan, fournir des lins, des draps et des meubles à quatorze officiers et à deux cents soldats . Cela ruine et personne n'en sait le moindre gré . Il a fallu que j'achetasse du linge pour eux . Il est vrai qu’heureusement ma porte est toujours fermée, et que je suis en prison chez moi .

Voilà ma chère nièce un compte exact de la manière dont j'achève une vie que je vous ai consacrée . Je vous embrasse tendrement ;

V. »

1 La mention Ferney en tête est de la main de Mme Denis .

2 Le professeur Louis Necker, amant de la femme de Vernes, frère du prédicant ; voir lettre du 30 octobre 1760 à d'Alembert et 26 décembre 1760 à Mme d'Epinay . Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/10/30/ceux-qui-font-courir-les-lettres-devraient-au-moins-les-impr-6484124.html

et : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/07/28/dans-presque-toutes-les-entreprises-il-ne-faut-que-de-la-har-5799993.html

3 Jacques Necker mari de Suzanne Curchod .

5 Cette lettre au cardinal de Choiseul ne nous est pas parvenue .

6 Il semble qu'il y ait ici la seule référence , dans la correspondance, aux Conseils raisonnables à M. Bergier pour la défense du christianisme, 1768 . Cet écrit est mentionné par la Correspondance littéraire, VIII, 94 ., à la date du 1er juin 1768 et il est entre les mains de Mme Du Deffand vers le 26 .Voir : https://books.google.fr/books?id=PIiUNQAACAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

7 La Profession de foi des théistes, de V*, mentionnée par d'Alembert dans une lettre à V* du 15 juin 1768 .Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Profession_de_foi_des_th%C3%A9istes/%C3%89dition_Garnier

8 L’Épître aux Romains que V* publia sous le nom du « comte de Passeran ».Voir : https://books.google.fr/books?id=WjIHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

9 Ces « autres drogues »sont peut-être Les Droits des hommes et les Usurpations des autres, 1768, et Les Colimaçons du révérend père l'Escarbotier, 1768, connus de la Correspondance littéraire, VIII, 99 et 105 vers le 15 juin 1768 . Voir : https://books.google.fr/books?id=_zAHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

et https://books.google.fr/books?id=Rr4nutF6y14C&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

10 Ce détail peut être retenu pour l'histoire des postes françaises .

11 L'arrivée de M. et Mme Pajot de Vaux à Ferney que V* annonce à Mme Denis le 24 juin est déjà connue d'elle le 22 de juin . La lettre suivante adressée par Mme Denis à Wagnière à cette date jette un jour cru sur les rapports entre les différents acteurs dans cette phase de leurs relations ; les « Francs-Comtois » sont Pajot de Vaux et « pâté » :

« Ce 22 juin de Paris, 1768

Mon cher Wagnière, je suis fort aise que tu sois moins malade . Je conseille très fort à Mlle Wagnière de t(engager à te ménager. Vous avez une femme et des enfants . Toute réflexion faite, nous n'avons qu’une vie, il faut la passer doucement et ne se chagriner de rien . C'est un effort que je fais sur moi-même dont je commence à me bien trouver, et je vous conseille d'en faire autant . Le chagrin n'est bon à rien , il faut le mettre à ses pieds . Voilà la vraie philosophie , prendre le temps comme il vient, et jouer avec la vie .

L'arrivée des provinciaux franc-comtois me paraît fort originale . S'ils sont venus sans être mandés avec armes et bagages, je suis sûr qu'ils auront bientôt leur congé . Mais si on les a priés d'y venir, peut-être les joues potelées de Mme pâté et autres choses itout , auront trotté dans la cervelle du patron et qu'il ne serait pas fâché de se les appliquer . Pour lors, le voyage serait plus long . Je te prie , mon cher ami, de me donner des nouvelles de cela toutes les semaines au moins une fois et je l'aimerais mieux deux lorsque tu auras quelque chose à me mander . Tu peux être sûr que je brûle tes lettres dès que je les ai reçues , mais ne les mets point dans le sac le soir . Il peut le demander pendant la nuit , ou de grand matin avant que le commissionnaire parte . Voyez partir le commissionnaire quand vous lui donnez une lettre pour moi . Je ne vous écrirai plus . Cela est trop dangereux à moins que j'aie des occasions sûres . Mais écrivez-moi toujours . m. Malet vous rendra encore cette lettre . Remboursez-lui le port et dites-lui que ce sera la dernière .

Les lettres de M. de V... sont d'une froideur extrême et peu fréquentes . Je lui ai demandé dans ma dernière s'il avait quelque chose contre moi . Il faut que cette boutade passe , j'avoue qu'elle est violente et peu méritée, mais je lui pardonne tout à cause de sa tête bouillante et de son grand âge . Tâchez de savoir ce qui se passe dans son âme car malgré ma philosophie, je l'aime toujours ., et surtout donnez-moi des nouvelles des Francs-Comtois .

Damilaville compte aller bientôt à Ferney . J'ai écrit au patron une grande lettre par Calas . Je ne sais s'il en sera content . Adieu, mon cher Wagnière, j'embrasse votre femme, et je l'aime bien. N'ayez point d'inquiétude de Bigex, c'est un imbécile, et quand même il aurait du crédit sur le patron, cela ne pourrait pas être long . Portez-vous bien et soyez sûr de mon amitié pour vous . Elle est inviolable et durera jusqu'à la mort . J'oubliais de te dire que je t'envoie le reçu. »

A monsieur Wagnière Secrétaire de M. de Voltaire à Ferney. »

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