22/02/2024
Lorsque je considère tous ces énormes fatras que j’ai composés, je suis tenté de me cacher dessous, et je demeure tout honteux
... " Quel monde laissons-nous à nos enfants ", la question a eu une tentative de réponse en 1978 à l'UNESCO , elle peut servir de base de réflexion en notre XXIè siècle : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000031144_fre
"Est-ce ainsi que les hommes vivent ? " comme dit Emmanuel Macron en saluant Missak et Mélinée Manouchian . Oui ! il y a encore beaucoup à faire pour avoir liberté, égalité, fraternité .
« A Charles-Joseph Panckoucke 1
A Ferney, 9 Juillet 1768
J’ai reçu, monsieur, votre beau présent. La Fontaine aurait connu la vanité, s’il avait vu cette magnifique édition 2 . C’est le luxe de la typographie. L’auteur ne posséda jamais la moitié de ce que son livre a coûté à imprimer et à graver. Si nous n’avions que cette édition, il n’y aurait que des princes, des fermiers-généraux et des archevêques, qui pussent lire les fables de La Fontaine. Je vous remercie de tout mon cœur, et je souhaite que toutes vos grandes entreprises réussissent.
Vous m’apprenez que je donne beaucoup de ridicule à l’édition 3 de notre ami Gabriel Cramer ; je vous assure que je n’en donne qu’à moi. Lorsque je considère tous ces énormes fatras que j’ai composés, je suis tenté de me cacher dessous, et je demeure tout honteux. L’ami Gabriel ne m’a pas trop consulté quand il a ramassé toutes mes sottises pour en faire une effroyable suite d’in-4°. Je lui ai toujours dit qu’on n’allait pas à la postérité avec un aussi gros bagage. Tirez-vous-en comme vous pourrez. Je crierai toujours que le papier et le caractère sont beaux, que l’édition est très correcte ; mais vous ne la vendrez pas mieux pour cela. Il y a tant de vers et de prose dans le monde, qu’on en est las. On peut s’amuser de quelques pages de vers, mais les in-4° de bénédictins effraient.
Il est souvent arrivé que, quand j’avais la manie de faire des pièces de théâtre, et ayant, dans ces accès de folie, le bon sens de n’être jamais content de moi, toutes mes pièces ont été bigarrées de variantes ; on m’a fait apercevoir que, de tant de manières différentes, l’éditeur a choisi la pire. Par exemple, dans Oreste, la dernière scène ne vaut pas, à beaucoup près, celle qui est imprimée chez Duchesne ; et quoique cette édition de Duchesne ne vaille pas le diable, il fallait s’en rapporter à elle dans cette occasion. Il peut arriver que quelque curieux qui aura l’in-4° soit tout étonné de voir cette scène toute différente de l’imprimé, et qu’il donne alors à tous les diables l’édition, l’éditeur, et l’auteur.
On pourrait du moins remédier à ce défaut ; il ne s’agirait que de réimprimer une page 4.
Le Suisse qui imprime pour mon ami Gabriel s’est avisé, dans Alzire, de mettre :
Le bonheur m’aveugla, l’amour m’a détrompé,
au lieu de :
Le bonheur m’aveugla, la mort m’a détrompé 5.
Cette pagnoterie 6 fait rire. Il y a longtemps qu’on rit à mes dépens ; mais, par ma foi, je l’ai bien rendu.
Je ne puis rien vous dire des estampes, je ne les ai point encore vues, et j’aime mieux les beaux vers que les belles gravures. Je vous aime encore plus que tout cela, car vous êtes fort aimables, vous et madame votre épouse.
Je vous souhaite toutes sortes de prospérités. »
2 Il ne peut s'agir que de l'édition en quatre volumes in-4° des Fables choisies (Dessaint et Saillant, 1755-1759) avec des figures d'Oudry . Sans doute Panckoucke est-il entré en possession d'exemplaires de cette édition qu'il n'a pas réalisée lui-même .
3 Que Panckoucke débite aussi .
4 Ce qui ne fut pas fait .
5 Alzire, Ac. V, sc. 7 , vers 1374 . La faute ne fut pas corrigée dans l'édition Cramer . Voir : https://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/VOLTAIRE_ALZIRE.xml#A5.S57
6 On a ici le seul exemple de ce mot de pagnoterie par Littré . Mais il figure déjà dans Furetière (1690 ) et dans le Dictionnaire de l'Académie de 1762 . Le sens est « négligence, absence de soins. »
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