Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/03/2024

Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander Les Droits des hommes et les Usurpations des papes

... Ouvrage tout à fait recommandable .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

31 auguste 1768

Mon cher ange, j’ai montré votre lettre du 23 août ou d’auguste, au possédé 1. Il vous prie encore de lui renvoyer sa facétie, et donne sa parole de démoniaque qu’il vous renverra la bonne copie au même instant qu’il recevra la mauvaise. Son diable l’a fait raboter sans relâche depuis qu’il fit partir son croquis ; mais il jure, comme un possédé qu’il est, qu’il ne fera jamais paraître l’empereur deux fois ; qu’il s’en donnera bien de garde ; que cela gâterait tout ; que l’empereur n’est en aucune manière deus in machina, puisqu’il est annoncé dès la première scène du premier acte, et qu’il est attendu pendant toute la pièce de scène en scène, comme juge du différend entre le commandant du château et les moines de l’abbaye. S’il paraissait deux fois, la première serait non-seulement inutile, mais rendrait la seconde froide et impraticable. C’est uniquement parce qu’on ne connaît point le caractère de l’empereur qu’il doit faire un très grand effet lorsqu’il vient porter à la fin un jugement tel que n’en a jamais porté Salomon. Le bon de l’affaire, c’est que c’est un jardinier qui fait tout ; et cela prouve évidemment qu’il faut cultiver son jardin, comme dit Candide.

Comme cette facétie ne ressemble à rien, Dieu merci, mon possédé croit qu’il faut de la naïveté, que vous appelez familiarité ; et il croit que cette naïveté est quelquefois horriblement tragique.

Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans cette pièce du remue-ménage comme dans l’Écossaise. Je suis persuadé que cela vous aura amusés, vous et Mme d’Argental, pendant une heure. Il est doux de donner du plaisir, à cent lieues de chez soi, à ceux à qui on est attaché.

Je ne répondrais pas que la police ne fît quelques petites allusions qui pourraient empêcher la pièce d’être jouée ; mais, après tout, que pourra-t-on soupçonner ? que l’auteur a joué l’Inquisition sous le nom des prêtres de Pluton ? En ce cas, c’est rendre service au genre humain ; c’est faire un compliment au roi d’Espagne, et surtout au comte d’Aranda ; c’est l’histoire du jour avec toute la bienséance imaginable, et tout le respect possible pour la religion.

Voyez, mon divin ange, ce que votre amitié prudente et active peut faire pour ces pauvres Guèbres ; mais je n’ai point abandonné les Scythes : ils ne sont pas si piquants que les Guèbres, d’accord ; mais, de par tous les diables, ils valent leur prix. La loi porte qu’ils soient rejoués, puisque les histrions firent beaucoup d’argent à la dernière représentation. Les comédiens sont bien insolents et bien mauvais, je l’avoue ; mais il faut obéir à la loi. J’ignore quel est le premier gentilhomme de la loi cette année 2 ; mais, en un mot, j’aime les Scythes. J’ai envie de finir par les Corses ; je suis très fâché qu’on en ait tué cent cinquante d’entrée de jeu ; mais M. de Chauvelin m’a promis que cela n’arriverait plus 3.

Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander Les Droits des hommes et les Usurpations des papes ; c’est, dit-on, un ouvrage traduit de l’italien 4, dont un envoyé de Parme doit être très friand.

Une chose dont je suis bien plus friand, mon cher ange, c’est de vous embrasser avant que je meure. Je suis, à la vérité, un peu sourd et aveugle ; mais cela n’y fait rien. Je recommence à voir et à entendre au printemps ; et j’ai grande envie, si je suis en vie au mois de mai, de venir présenter un bouquet à Mme d’Argental. Je devais aller cet automne chez l’électeur palatin ; mais je me suis trouvé trop faible pour le voyage. Je me sentirai bien plus fort quand il s’agira de venir vous voir. Il est vrai que je n’y voudrais aucune cérémonie. Nous en raisonnerons quand nous aurons fait les affaires des Scythes et des Guèbres. Vous êtes charmant de désirer de me revoir ; j’en suis pénétré, et mon culte de dulie en augmente. Je trouve plaisant qu’on ait imaginé que j’irais voir ma Catau, moi âgé de septante-quatre  ! Non, je ne veux voir que vous.

V. »

2 C’est depuis 1741 André-Hercule de Rosset , duc de Fleury .

3 Bernard-Louis Chauvelin est arrivé le 25 août en Corse pour prendre le commandement des troupes et achever la pacification de l'île . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Corse

 

Écrire un commentaire