24/04/2024
les princes n’en mettront pas moins les philosophes à la Bastille, comme nous tuons les bœufs qui ont labouré nos terres
... Mon cher Patriarche, c'est toujours le cas en ces pays d'Arabie où les princes auto-proclamés font la loi et ne se contentent pas de couper la tête qu'aux boeufs .
Ils ne sont hélas pas les seuls à pratiquer ces exécutions sommaires : https://www.geo.fr/geopolitique/arabie-saoudite-iran-chine-etats-unis-ces-pays-qui-pratiquent-toujours-la-peine-de-mort-209008
« A Jean Le Rond d'Alembert
15 d'octobre [1768]
Je ne sais plus où j’en suis, mon très cher et très aimable philosophe. J’écrivis, il y a quinze jours, à l’ami Damilaville 1, que des gens qui revenaient de Barèges prétendaient ces eaux souveraines pour les dérangements que les loupes et les autres excroissances peuvent causer dans la machine ; je le mandai sur-le-champ à notre ami. Je lui offris d’aller le prendre à Lyon, et de faire le voyage ensemble. J’adressai ma lettre à son ancien bureau du vingtième, adresse qu’il m’avait donnée ; je n’ai eu de lui aucune nouvelle. Ce silence me fait trembler : il faut qu’il ne soit pas plus en état d’écrire que de voyager. Je vous demande en grâce de me dire en quel état il est. Et vous, mon cher philosophe, comment vous portez-vous, que faites-vous ? La pluie des livres contre la prêtraille continue toujours à verse. Avez-vous lu la Riforma d’Italia 2, dans laquelle le terme de canaille est le seul dont on se serve pour caractériser les moines, Per genus proprium et differentiam proximam ?3
Vous connaissez le petit abrégé des usurpations papales, sous le nom des Droits des hommes 4 ? Les philosophes finiront un jour par faire rendre aux princes tout ce que les prêtres leur ont volé ; mais les princes n’en mettront pas moins les philosophes à la Bastille, comme nous tuons les bœufs qui ont labouré nos terres.
Il paraît des Lettres philosophiques 5, où l’on croit démontrer que le mouvement est essentiel à la matière . Tout ce qui est pourrait bien être essentiel, car autrement pourquoi serait-il ? Pour moi, je cesserai bientôt d’être, car j’ai soixante et quinze ans, et je ne suis pas de la pâte de Moncrif. Quel cicéronien donnez-vous pour successeur à mon ancien préfet d’Olivet 6, et qui me donnerez-vous à moi ? Je me recommande à vous, et je vous embrasse de tout mon cœur. »
1 Cette lettre, qui est perdue, était un peu plus ancienne .
2 Voir lettre du 3 octobre 1768 à Hennin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/04/21/qu-on-laisse-faire-les-italiens-ils-iront-a-bride-abattue-6495118.html
3 Par le genre propre et les plus proches caractères spécifiques .
4 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/201
5 Lettres philosophiques sur l’origine des préjugés du dogme de l’immortalité de l’âme, de l’idolâtrie, ( ce sont les Letters to Serena, 1704 de John Toland, traduit par le baron d’Holbach, avec deux notes de Naigeon) ; 1768, in-12. Sur la page de titre, V* a porté la mention « livre dangereux ».
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Toland_(libre-penseur)
et https://archive.org/details/letterstoserena00tolagoog/page/n1/mode/2up
6 Le successeur à l'Académie de l'abbé d'Olivet fut Étienne Bonnot de Condillac qui y fut reçu le 12 décembre 1768 par le grammairien Charles Batteux. Voir : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/etienne-b...
et https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tienne_Bonnot_de_Condillac
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