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15/05/2024

Une dame fort jolie et fort affligée est venue chez moi ; je n’ai pas, à mon âge, de quoi la consoler

... Hélas oui !  à l'évidence le Patriarche ne connait pas les solutions pour empêcher son vieux lit de grincer , comme lui d'ailleurs . Le Figaro, qui se mêle de tout,  vient en aide à ses lecteurs et leurs voisins : https://www.msn.com/fr-fr/sante/other/lit-qui-grince-5-so...

Si ça peut vous rendre service ...

Dites-moi, me suis-je trompé sur le vrai moyen de consolation suggéré ici ?

 

 

 

« A Pierre de Buisson, chevalier de Beauteville 1

4 novembre 1768 à Ferney 2

Monsieur, je suis obligé en honneur de vous rendre compte de ce qui vient de m’arriver. Une dame fort jolie et fort affligée est venue chez moi ; je n’ai pas, à mon âge, de quoi la consoler ; elle m’a assuré qu’il n’y avait que vous qui puissiez lui donner de la consolation. « J’ai le malheur, m’a-t-elle dit, d’être la femme d’un poète. — Votre mari est-il jeune, madame ? fait-il bien des vers ? — Ah ! monsieur, il les fait détestables. — Cela est fort commun, madame ; mais que peut un ambassadeur de France contre la rage de faire de mauvais vers ? — Monsieur, je suis Genevoise, et mon mari est un jeune étourdi nommé Lamande. — Eh bien ! madame, envoyez-le chez Jean-Jacques Rousseau, ils travailleront du même métier. — Monsieur, il y a renoncé pour sa vie. Il s’avisa, il y a deux ans, pendant les troubles de Genève, où personne ne s’entendait, de faire une mauvaise brochure en vers qu’on n’entendait pas davantage 3; il a été banni pour neuf ans par un arrêt du Conseil Magnifique ; il a un père encore plus vieux que vous, qui est aveugle, et qui se trouve sans secours ; ma mère, vieille et infirme, a besoin de mes soins ; je passe ma vie à courir pour me partager entre ma mère et mon mari : monsieur l’ambassadeur de France est le seul qui puisse finir mes malheurs. »

J’ai répondu alors de Votre Excellence ; j’ai assuré la désolée que, si elle venait à votre lever, elle s’en trouverait fort bien ; mais que vous étiez actuellement occupé avec les dames de Saint-Omer 4.

« Hélas ! monsieur, m’a-t-elle répliqué, il peut de Saint-Omer pardonner à mon mari, et me le rendre. On a prétendu que mon mari lui avait manqué de respect dans son impertinent ouvrage, où personne n’a jamais rien compris . — Madame, ai-je dit, si votre mari avait été citoyen de Bergopsom 5 , M. le chevalier de Beauteville lui aurait très mal fait passer son temps ; mais, s’il est citoyen de Genève, et s’il a écrit des sottises, soyez très persuadée que monsieur l’ambassadeur de France n’en sait rien, qu’il ne lit point ces pauvretés, ou qu’il ne s’en souvient plus. » Alors elle s’est remise à pleurer. « Ah ! que monsieur l’ambassadeur pourrait faire une belle action ! disait-elle. — Il la fera, madame, n’en doutez pas ; c’est une de ses habitudes. De quoi s’agit-il ? — Ce serait, monsieur, qu’il trouvât bon que mon Magnifique Conseil abrégeât le temps du bannissement de mon sot mari, qui a voulu faire le bel esprit. Il ne faudrait pour cela qu’un mot de la main de Son Excellence. La grâce de mon mari sera accordée si monsieur l’ambassadeur daigne seulement vous témoigner qu’il sera satisfait que ce Magnifique Conseil laisse revenir mon mari Lamande dans sa patrie, et que je puisse soulager la vieillesse de mes parents. Prenez la liberté de lui demander cette faveur, il ne vous refusera pas : car c’est sans doute une chose très indifférente pour lui que le sieur Lamande et moi nous soyons à Genève ou en Savoie. »

Enfin, monsieur, elle m’a tant pressé, tant conjuré, que j’ose vous conjurer aussi. Une nombreuse famille vous aura l’obligation de la fin de ses peines. Votre Excellence peut avoir la bonté de m’écrire qu’elle est satisfaite de deux ans d’expiation de Lamande, et qu’elle daignera voir avec plaisir qu’il soit rappelé dans sa ville . Voyez, monsieur, si j’ai trop présumé en vous demandant cette grâce, et si vous pardonnez à Lamande et à mon importunité.

Le plus grand plaisir que m’ait fait la jolie pleureuse a été de me fournir cette occasion de vous renouveler le respect et l’attachement avec lesquels  »

2 Minute complétée et corrigée par V* ; édition Kehl .

3 Joseph Lamande : Dictionnaire des négatifs, 1766 . Il ne s'agit pas d'une œuvre ne vers mais d'un catalogue satirique de personnages imaginaires : https://books.google.fr/books?id=Avt8nQEACAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Sur son auteur et sur la punition qu'il subit, voir Rivière, I, 150 ; voir aussi les lettres du 5 mai 1768 à Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/01/05/je-me-flatte-cependant-que-malgre-nos-detestables-cagots-je-6478852.html

et du 13 novembre 1768 à Vernes : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/08/correspondance-annee-1768-partie-31.html

5  Beauteville a pris part aux opérations qui aboutissent en 1747 à la prise de Bergen-op-Zoom. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8ge_de_Berg-op-Zoom_...)

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