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03/10/2024

sa mémoire est prodigieuse ; son esprit est digne de sa mémoire, et il a toute la modestie convenable à ses talents

... Emilien bien sûr : "Bravissimo" : https://www.allocine.fr/tvactu/articles/article-100010633...

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Gentil couple

 

 

 

« A Catherine II, impératrice de Russie

A Ferney 1er avril 1769 1

Madame,

Un jeune homme 2 des premières familles de Genève, qui, à la vérité, a près de six pieds de haut, mais qui n’est âgé que de seize ans, assistant chez moi à la lecture de l’instruction que Votre Majesté impériale a donnée pour la rédaction de ses lois, s’écria : « Mon Dieu, que je voudrais être Russe ! » Je lui dis en présence de sa mère : « Il ne tient qu’à vous de l’être ; Pictet 3, qui est plus grand que vous, l’est bien ; vous êtes plus sage et plus aimable que lui. Madame votre mère veut vous envoyer dans une université d’Allemagne apprendre l’allemand et le droit public : au lieu d’aller en Allemagne, allez à Riga , vous apprendrez à la fois l’allemand et le russe ; et à l’égard du droit public, il n’y en a certainement point de plus beau que celui de l’impératrice. »

Je proposai la chose à sa mère, et je n’eus pas de peine à l’y faire consentir. Ce jeune homme s’appelle Gallatin ; il est de la plus aimable et de la plus belle figure ; sa mémoire est prodigieuse ; son esprit est digne de sa mémoire, et il a toute la modestie convenable à ses talents. Si Votre Majesté daigne le protéger, il partira incessamment pour Riga, après avoir commencé à suivre votre exemple en se faisant inoculer. Je suis fâché de n’offrir à Votre Majesté qu’un sujet ; mais je réponds bien que celui-là en vaudra plusieurs autres.

Oserai-je prendre la liberté de demander à Votre Majesté à qui il faudra que je l’adresse à Riga ? Sa mère ne peut payer pour lui qu’une pension modique. J’ose me flatter qu’il n’aura pas été un an à Riga sans être en état de venir saluer Votre Majesté en russe et en allemand. Qu’est devenu le temps où je n’avais que soixante ans ? Je l’aurais accompagné.

Si Votre Majesté va s’établir à Constantinople, comme je l’espère, il apprendra bien vite le grec . Car il faut absolument chasser d’Europe la langue turque, ainsi que tous ceux qui la parlent. Enfin, madame, au nom de toutes vos bontés pour moi, j’ose vous implorer pour le jeune Gallatin, et je puis répondre qu’il méritera toute votre protection. J’attends les ordres de Votre Majesté impériale 4.

J'apprends que les braves troupes russe ont déjà battu les Tartares . Cette nouvelle diminue une maladie cruelle dont je suis actuellement accablé . Puisse la gloire de vos armées égaler celle de votre génie !

Je suis avec le plus profond respect et la plus sensible reconnaissance,

madame,

de Votre Majesté impériale

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

1 Copie contemporaine (Moscou) bien datée (voir l'avant-dernier paragraphe de la présente lettre) seule complète de la fin qui a été suivie ; édition Cayrol.

2 Jean Gallatin, fils d'Abraham et de Louise Gallatin : https://gw.geneanet.org/rossellat?lang=fr&n=gallatin&oc=20&p=jean

4 Les ordres de Catherine vinrent dans une lettre datée du 26 avril (nouveau style ) : « A Saint-Pétersbourg 15 [26 n.s.] d'avril 1769

« J'ai reçu, monsieur, votre belle lettre du 26 février . Je ferai mon possible pour suivre vos conseils, si Moustapha ne sera pas rossé, ce ne sera assurément ni votre faute ni la mienne, ni celle de mon armée, mes soldats vont à la guerre contre les Turcs comme s’ils allaient à une noce . Puisque l'envie de faire cause commune contre les barbares est passée aux autres puissances de l'Europe, la Russie seule cueillera ces lauriers-ci, et son attention à bien abattre ses ennemis ne sera point distraite par des combinaisons de campagnes concertées auxquelles souvent, il n'y a eu que les ennemis qui aient gagné . Si vous pouviez voir tous le embarras dans lesquels ce pauvre Moustapha se trouve, à la suite du pas précipité qu'on lui a fait faire, contre l'avis de son Divan et des gens le plus raisonnables, il y aurait des moments où vous ne pourriez vous empêcher de le plaindre comme homme, et comme homme très mal dans ses affaires .

Il n'y a rien qui me prouve plus la part sincère que vous prenez, monsieur, à ce qui me regarde que ce que vous me dites sur ces chars de nouvelle invention . Mais nos gens de guerres ressemblent à ceux de tous les autres pays, les nouveautés non éprouvées leur paraissent douteuses .

Je suis bien aise, monsieur, de ce que mon instruction a votre approbation, je doute qu'elle ait celle du Saint-Père et du Moufti . Les cardinaux devraient élire ce dernier pour pape, ils sont présentement si bien avec lui . Ce serait aux cardinaux ultramontains à en faire la proposition au conclave .

Je vous prie, monsieur, d'être assuré que tout ce qui me vient de votre part me fait un plaisir infini, je ne saurais pas assez vous remercier de l'envoi que vous m’avez fait, le tableau de M.  Huber y compris, c'est un vrai cadeau . Je regretterais bien d'être privée de ce qui paraîtrait à l'avenir, je crois qu'il faudrait l’envoyer en Hollande par la voie de quelque marchand, et de là on me l'enverrait ou par la poste ou d'autres occasions qui ne sont pas rares de ce pays-là.

Vivez , monsieur, et réjouissez-vous lorsque mes braves guerriers auront battu les Turcs . Vous savez je pense qu’Azof à l’embouchure du Tanaïs est déjà occupé par mes troupes, le dernier traité de paix stipulait que cette place resterait abandonnée de part et d'autre . Vous aurez vu par les gazettes que nous avons déjà envoyé promener les Tartares dans trois différents endroits lorsqu’ils ont voulu piller l'Ukraine, cette fois-ci ils s'en sont retournés aussi gueux qu'ils étaient sortis de la Crimée, je dis gueux car les prisonniers qu'on a faits sont couverts de lambeaux et non d'habits . S'ils n'ont pas réussi leurs désirs chez nous, en revange [sic] ils se sont dédommagés en Pologne, il est vrai qu'ils y avaient été <envoyés> par leurs alliés les protégés du nonce du Pape .

L'on fait très bien ici la porcelaine dite en biscuit, je ne sais monsieur comment j'ai pu dire que votre buste était en plâtre, une dame française dirait que c'est une bévue qui ne ressemble à rien, mais comme je n'ai pas l'honneur d'être welche, je dirai que c'est une distraction digne de Moustapha .

Au moment où j'achevais ces lignes, j'ai reçu votre lettre, monsieur, du 1 d'avril . Le conseil que vous avez donné au jeune Gallatin m'est une nouvelle marque bien flatteuse de votre amitié pour moi . La vérité m’oblige de vous dire que si ce jeune homme doit encore étudier à quelque université, je crois que ses parents feront mieux de l'y envoyer qu'à Riga , où je crains qu'il ne trouverait point l’équivalent des universités d'Allemagne ; mais s'il ne s'agit que de lui apprendre l'allemand, Riga est aussi propre que Leipzig même, et alors vous voudrez bien monsieur l'adresser au gouverneur général de la Livourne, M. de Braun, qui réside à Riga, auquel j'écrirai à ce sujet . Nous en aurons soin, s'il conserve l'envie de s'établir en Russie ; sinon il sera très libre de faire ce qui lui plaira, et même de venir assister à votre entrée à Constantinople, où vous m'avez promis de me venir trouver, quand j'y serai s'entend . En attendant je tâcherai d'étudier un beau compliments grec que je vous débiterai . Il y a deux ans lorsque j'étais à Kazan , j'avais apprises [sic] quantité de phrases tartares et arabes ce qui faisait un grand plaisir aux habitants de cette ville, qui , pour la plupart sont de cette nation, bons musulmans, bien riches, et qui bâtissent une magnifique mosquée en pierre depuis mon départ . Je suis bien fâchée de ce que votre santé ne réponde pas à mes souhaits, si les succès de mes armées peuvent contribuer à la rétablir, je ne manquerai pas de vous paire part de tout ce qui nous arrivera d'heureux . Jusqu'ici Dieu merci je n'ai encore que de très bonnes nouvelles de tous côtés, on renvoie bien étrillés tout ce qui se montre Turks, Tartares, mais surtout les mutins de Pologne .

J'espère dans peu avoir des nouvelles de quelque chose de plus décidé que des affaires de partis entre troupes légères, je suis avec une estime bien particulière .

« Catherine. » Cette lettre est datée 4-15 août 1769 dans l'édition Garnier : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7633#cite_ref-1

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