31/10/2024
On peut faire des applications malignes, mais il me semble qu’elles seraient bien forcées
... Bruno Retailleau dixit , avec approbation du RN pour une loi sur l'immigration ? et réticences possibles de la Constitution : https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/immigration-bruno-retailleau-devoile-son-projet-de-loi_6869015.html
« A Henri-Louis Lekain
30è avril 1769
On avait prévenu, il y a quinze jours, mon cher ami, le résultat que vous m’avez envoyé. Le jeune homme dont il est question donne de grandes espérances : car, ayant fait cet ouvrage avec une rapidité qui m’étonne, et n’ayant pas mis plus de douze jours à le 1 composer, il s’est fait la loi de l’oublier pendant quatre ou cinq mois, et de le retoucher ensuite de sang-froid avec autant de soin qu’il y avait mis d’abord de vivacité. Des raisons essentielles l’obligent à garder l’incognito. Je pense que plus il sera inconnu, plus il pourra vous être utile ; que la pièce 2 d’ailleurs me paraît sage, d’une morale très pure, et remplie de maximes qui doivent plaire à tous les honnêtes gens.
On peut faire des applications malignes, mais il me semble qu’elles seraient bien forcées. Le Tartuffe et Mahomet sont certainement susceptibles d’allusions plus dangereuses ; cependant on les représente souvent sans que personne en murmure.
L’intérêt que je prends au jeune auteur, et mon amour pour la tolérance, qui est en effet le sujet de la pièce, me font désirer passionnément que cette tragédie paraisse embellie par vos rares talents.
Si on s’obstinait à reconnaître l’Inquisition dans le tribunal des prêtres païens, je n’y vois ni aucun mal ni aucun danger. L’Inquisition a toujours été abhorrée en France. On vient de couper les griffes de ce monstre en Espagne et en Portugal. Le duc de Parme a donné à tous les souverains l’exemple de la détruire. Si les mauvais prêtres sont peints dans la pièce avec les traits qui leur conviennent, l’éloge des bons prêtres se trouve en plusieurs endroits.
Enfin le jugement de l’empereur, qui termine l’ouvrage, paraît dicté pour le bonheur du genre humain.
J’ai prié M. d’Argental 3, de la part de l’auteur, de me renvoyer votre manuscrit, sur lequel on porterait incontinent soixante ou quatre-vingts vers nouveaux qui me semblent fortifier cet ouvrage, augmenter l’intérêt, et rendre encore plus pure la saine morale qu’il renferme. Je renverrais le manuscrit sur-le-champ ; il n’y aurait pas un moment de perdu.
Je crois que, dans les circonstances présentes, il conviendrait que la pièce fût jouée sans délai, fût-ce dans le cœur de l’été. L’auteur ne demande point un grand nombre de représentations . Il ne veut point de rétribution ; il ne souhaite que le suffrage des connaisseurs et des gens de bien. Quand la pièce aura passé une fois à la police, elle restera à vos camarades, et la singularité du sujet pourra attirer toujours un grand concours.
J’ai mandé, autant qu’il m’en souvient, à M. et à Mme d’Argental tout ce que je vous écris. Je m’en rapporte entièrement à eux. Ils honorent l’ouvrage de leur approbation ; ils peuvent le favoriser, non-seulement par eux-mêmes, mais par leurs amis. On attend tout de leur bonté, de leur zèle, et de leur prudence.
Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher grand acteur, et je vous prie de seconder, de tout votre pouvoir, les bons offices de mes respectables amis 4.
V.»
1 le et non la , de l'éd. Besterman .
2 La tragédie des Guèbres.
3 Lettre du 20 avril 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/22/m-6519932un-enthousiasme-fanatique-et-fripon-fait-seul-plus-de-mal-que-tous.html
4 Dans quelques éditions, on trouve ici la première des Lettres à l’abbé Foucher, que nous [ Édition Garnier ]avons placées dans les Mélanges, page 431 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/439
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