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30/10/2024

j’espère que vous serez content de ma politesse

... et des marchés juteux que l'on vient de signer ." dit Emmanuel Macron président de la République au commandeur des croyants Mohammed VI . A suivre ...

 

 

 

« A Paul Foucher 1

Monsieur,

Je suis un homme de lettres, et je n’ai jamais rien publié ; ainsi je suis aussi obscur que beaucoup de mes confrères qui ont écrit. Je suis à la campagne depuis quelques années, auprès d’un bon vieillard qui, en son temps, ne laissa pas d’écrire beaucoup, et qui cependant est fort connu. J’ai eu l’honneur de vivre familièrement avec le neveu de feu l’abbé Bazin qui répondit si poliment et si plaisamment 2 à M. Larcher, ce superbe ennemi de l’abbé Bazin. Permettez que j’aie aussi l’honneur de vous répondre. Je n’entends rien à la raillerie ; mais j’espère que vous serez content de ma politesse.

On m’a mandé, monsieur, que vous aviez bien maltraité le bon vieillard auprès de qui je cultive les lettres ; on dit que c’est dans le vingt-septième volume des Mémoires de l’Académie des belles-lettres, p. 331. Je n’ai point ce livre ; c’est à vous à voir, monsieur, si les paroles qu’on m’a rapportées sont les vôtres . Les voici .

« M. de Voltaire, par une méprise assez singulière, transforme en homme le titre du livre intitulé le Sadder. Zoroastre, dit-il, dans les écrits conservés par le Sadder, feint que Dieu lui fit voir l’enfer et les peines réservées aux méchants, etc. Je parierais bien que M. de Voltaire n’a jamais lu le Sadderetc.3 »

Permettez, monsieur, que je défende, devant vous et devant l’Académie des belles-lettres, la cause d’un homme hors de combat, qui ne peut se défendre lui-même. J’ai consulté le livre que vous citez, et que vous censurez. Le titre n’est pas Histoire universelle, comme vous le dites, mais Essai sur l’histoire générale et sur les mœurs et l’esprit des nationsL’endroit que vous citez, et sur lequel vous offrez de parier, est à la page 63 de la nouvelle édition de 1761, tome Ier 4. Voici les propres paroles : « C’est dans ces dogmes qu’on trouve, ainsi que dans l’Inde, l’immortalité de l’âme et une autre vie heureuse ou malheureuse. C’est là qu’on voit expressément un enfer. Zoroastre, dans les écrits que le Sadder a rédigés 5, dit que Dieu lui fit voir cet enfer, et les peines réservées aux méchants », etc. 

Vous voyez bien, monsieur, que l’auteur n’a point dit, Zoroastre, dans les écrits conservés par Sadder. Vous concevez bien que le Sadder ne peut pas être un homme, mais un écrit. C’est ainsi qu’on dit, les choses annoncées par l’Ancien Testament, et prouvées par le Nouveau ; la destruction de Troie négligée par Homère, et connue par l’Enéide ; l’Iliade d’Homère abrégée par la traduction de La Mothe ; les Fables d’Esope embellies par les Fables de La Fontaine.

Vous voulez parier, monsieur, que ce pauvre bon homme, que vous traitez un peu durement, n’a jamais lu le Sadder. Je lui ai montré aujourd’hui la petite correction que vous lui faites, et votre offre de lui gagner son argent. « Hélas ! m’a-t-il dit, qu’il se garde bien de parier, il perdrait à coup sûr. Je me souviens avoir lu autrefois dans le Sadder, porte 32è : « Si quelque homme docte veut lire le livre de Vesta, il faut qu’il en apprenne les propres paroles, afin qu’il puisse citer juste. » C’est un excellent conseil que Le Sadder donne aux critiques.

« Le même Sadderporte 46, dit (autant qu’il m’en souvient) : « Il ne faut pas reprendre injustement et tromper les lecteurs  . C’est le péché d’Hamimal . Quand vous avez été coupable de ce péché, il faut faire excuse à votre adversaire ; car, si votre adversaire n’est pas content de vous, sachez que vous ne pourrez jamais passer, après votre mort, sur le pont aigu. Allez donc trouver votre adversaire que vous avez contristé mal à propos ; dites-lui : J’ai tort, je m’en repens ; sans quoi ; il n’y a point de salut pour vous. »

« Il faut encore, m’a dit ce bon vieillard, que M. l’abbé Foucher ait la bonté de lire les portes 57 et 58 ; il y verra que Dieu ordonne qu’on dise toujours la vérité. Je ne doute pas que M. l’abbé Foucher n’aime beaucoup la vérité. Il a bien dû concevoir qu’il est impossible que le Sadder signifie un homme, et non pas un livre. Les Italiens sont le seul peuple de la terre chez qui on accorde l’article le aux auteurs : Le Dante, le Pulci, le Boyardo, l’Arioste, le Tasse ; mais on n’a jamais dit chez les Latins, le Virgile, ni chez les Grecs, l’Homère 6; ni chez les Asiatiques, l’Esope ; ni chez les Indiens, le Brama ; ni chez les Persans, le Zoroastre ; ni chez les Chinois, le Confutzé. Il était donc impossible que Le Sadder signifiât un homme et non pas un livre. Il est donc nécessaire et décent que cette petite bévue de M. l’abbé Foucher soit corrigée, et qu’il ne tombe plus dans le péché d’Hamimal.

« Quant au pari qu’il veut faire. Il est vrai que Roquebrune, dans Le Romain comique, offre toujours de parier cent pistoles 7. Il est vrai que Montagne dit : « Il faut parier, afin que votre valet puisse vous dire au bout de l’année : Monsieur, vous avez perdu cent écus en vingt fois pour avoir été ignorant et opiniâtre. » Je ne crois point M. l’abbé Foucher ignorant, au contraire, on m’a dit qu’il était très savant. Je ne crois point non plus qu’il soit opiniâtre, et je ne veux lui gagner ni cent pistoles ni cent écus. »

Voilà, monsieur, mot pour mot, tout ce que m’a dit l’homme plus que septuagénaire, et fort près d’être octogénaire, que vous avez voulu contrister au mépris des lois du Sadder. Il n’est nullement fâché de votre méprise ; il vous aime beaucoup : j’en use de même, et c’est avec ces sentiments que j’ai l’honneur d’être,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

30è Avril 1769 à Ferney.8»

1 Membre de l’Académie des belles-lettres. Cette lettre fut imprimée dans le Mercure. (G.Avenel.)

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Foucher_(%C3%A9rudit)

et : https://obtic.huma-num.fr/elicom/voltaire/doc.jsp?id=1769-04-30_49394

3 Citation de Fouché [Paul Foucher], « Les Ecrits de Zoroastre », Histoire de l'Académie royale aux inscription et belles-lettres, 1761, XXVII, 331.

5 En 1765, on lisait : « Zoroastre dans les écrits conservés par Sadder. » En 1761, Voltaire mit : « Dans les écrits abrégés dans le Sadder. » (Georges Avenel.)

Quoi qu'en dise V*, il est difficile d'admettre qu'un ouvrage puisse être dit avoir «  rédigé » des écrits .

6 On voit ici que les connaissances de V* en grec sont très superficielles, puisque , précisément, l'article s'emploie couramment en grec devant les noms de personnes .

7 Scarron, Le Roman comique, I, xvi : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6216939s.texteBrut

8 Copie par Wagnière ; édition « Copie de la lettre à M. l'abbé Foucher [etc.] », Mercure de France de juin 1769, p. 151-156 . Sur la copie on lit une signature ( peut-être De Bure ) biffée ; mais les lettres suivantes à Foucher seront signées de Bigex, et de même celle-ci dans toutes les éditions . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre...

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