17/12/2024
Je me soucie peu des vains discours de ceux qui n'ayant rien à faire se mêlent toujours de censurer ce que les autres font
... Droit dans ses bottes le Bayrou fâché !
« A Marie-Louise Denis
19 juin [1769 de Ferney 1]
Dieu ne saurait empêcher que ce qui est fait ne soit fait . Que j'aie eu tort ou non d'être trop sensible, il n'importe . Je l'ai été , je n'ai pu m'imaginer qu'on pût de sang-froid dire une chose si cruelle 2 à un vieillard dont on n'avait nul sujet de se plaindre, et conserver de l'amitié pour lui . Il est dur de se sentir méprisé et haï à mon âge . J'ai cru l'être . Qu'en est-il arrivé ? Je m'en suis puni moi-même , et moi seul . J'ai jugé qu'on devait cacher sa vieillesse et sa douleur dans la solitude avant d'ensevelir l'un et l'autre dans la bière . J'ai dévoré seul mon chagrin pendant seize mois, et si l’étude n'avait pas un peu consolé mon état, je serais mort .
Joignez à mes peines des souffrances de corps presque continuelles, et jugez qui, de vous ou de moi, a été le plus malheureux . Je ne sais comment je finirai ma vie, mais ce qui est bien sûr, ma chère nièce, c'est que je la finirai en vous aimant . Il est bien certain que si je ne vous avais pas aimée, mon affliction aurait été moins douloureuse .
L'idée d'être séparé de vous est affreuse, celle de vous voir à Genève tandis que je serais à Ferney ne l'est pas moins . Je me soucie peu des vains discours de ceux qui n'ayant rien à faire se mêlent toujours de censurer ce que les autres font . Mais il est certain que rien ne ferait un plus mauvais effet que de voir ma nièce à qui Ferney appartient attendre deux lieues de là . Il vaudrait cent fois mieux que j'allasse m'ensevelir ailleurs de mon vivant que que vous vinssiez vous établir à Ferney.
Le mieux serait sans doute que j'achevasse ma vie auprès de vous, soit à Ferney soit dans un faubourg de Paris . Je ne connais pas un troisième parti qui ne soit cruel . Il y a des situations où l'on ne peut être que mal . Cependant j’ai fait tout ce que j'ai pu au monde pour que vous oyez bien . Le fracas d'une maison ouverte ne nous convient plus, et mon âge, mes goûts, mes maladies me rendent cette vie bruyante insupportable . La solitude avec moi à Ferney serait un fardeau que vous ne pourriez soutenir . Vous êtes à l’étroit à présent parce qu'il vous a fallu acheter des meubles, et que vous avez vu chez vous beaucoup de monde . Je suis embarrassé de mon côté parce que le Châtelard coûte une fois plus qu'on ne croyait comme cela arrive toujours et que le trésorier du duc de Virtemberg m'a manqué de parole . Dans cette situation, voyons bien tous deux ce que nous voulons devenir . Consultez avec vous-même . Il arrive souvent qu'on ne sait pas précisément ce qu'on veut, et cet état est très pénible . Pour moi je sais très bien que je veux que vous soyez heureuse . Décidez de la manière dont vous voulez l'être . Faites un plan et je bâtirai dessus. J'ignore si vous êtes toujours à Rueil 3, et combien de temps vous y serez .
Choudens 4 continue toujours son procès . Si on nomme des experts ils se feront un plaisir de décider contre nous . Les paysans n’en usent jamais autrement avec les seigneurs , et dans le pays de Gex ce sont les paysans qui en sont crus quand il s'agit dévaluer un domaine .
Il y a un exemplaire des Guèbres pour vous chez M. Marin . Nous verrons ce que cet ouvrage deviendra . Les honnêtes gens devraient un peu s’ameuter dans cette occasion, mais les honnêtes gens sont bien tièdes . Comptes que ce n'est pas avec tiédeur que je vous aime .
V.»
1 Ces trois mots sont ajoutés par Mme Denis sur le manuscrit.
2 Cette « chose si cruelle » semble avoir été, selon Wagnière, qu'elle aurait dit à son oncle que « les représentants ne l’aimaient pas plus que les négatifs ».
3 En effet une lettre du 19 juin de Mme Denis à Hennin est datée « de Rueil », écrit Ruel sur le manuscrit, comme dans la lettre du 23 juin 1769, avec un cachet de poste de Nanterre . Dans cette lettre Mme Denis se plaint de l'influence que H « M. D. » (Durey) exerce sur son oncle et du fait qu'elle n'a pas reçu de lettre de lui depuis près de trois semaines, « ce qui ne [lui] est pas encore arrivé depuis qu'[elle est ] à Paris « . Elle explique aussi qu'elle est « à la campagne par raison, pour éviter la dépense de Paris » ; son état étant « fort peu assuré », elle « crain[t ] toujours de [s'] endetter.". »
4 Jacques-Louis de Choudens qui a vendu à V* une propriété à Colovrex dont le titre est incertain ; voir lettre du 16 mai 1759 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/30/je-veux-peupler-mes-terres-d-hommes-et-de-perdrix-5402179.html
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