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23/09/2020

nous avons pensé dans notre petit coin des Alpes comme tous les honnêtes gens de Paris

... Statistiquement, il est vrai qu'on peut trouver quelques Parisiens honnêtes gens , sans plus .

 

« A Henri-Louis Lekain

[27 mai 1765] 1

Mon cher Roscius vous ne doutez pas du vif intérêt que j'ai pris à votre aventure . Vous savez combien j'aime les grands talents et combien je vous aime . J'imagine que vos communs intérêts vous ont uni avec Mlle Clairon . Si vous la voyez, dites-lui je vous prie que nous avons pensé dans notre petit coin des Alpes comme tous les honnêtes gens de Paris .

Je suis trop malade et trop dérouté 2 pour faire actuellement ce que vous me proposez . Je vous demande en grâce d'attendre . Vous avez un grand intérêt à ne vous pas presser . Les circonstances ne sont point du tout favorables . Attention mon cher ami, je vous en conjure instamment . »

1 La présente lettre est sans doute celle dont il est question dans la lettre du même jour à d'Argental, d'où la date proposée .

2 Au sens premier , comme les chiens de chasse qui s'écartent de la bonne trace ; Ici, V* n'a pas le cœur à faire une tragédie .

22/09/2020

Voilà le funeste effet du système de l’intolérance

... Les assassins d'il y a cinq ans contre les journalistes de Charlie Hebdo et autres victimes sont bien les fruits véreux d'une intolérance (pseudo) religieuse inacceptable .

Les comparer à des animaux dits cruels serait désobligeant pour ces pauvres bêtes qui n'ont que leurs dents et griffes pour survivre .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

27è mai 1765 à Genève

J’affligerai votre belle âme en vous disant, mon cher ami, que nous ne pourrons pas avoir sitôt l’arrêt de Toulouse. Je supplie, en attendant, le défenseur de l’innocence de tenir toujours son mémoire tout prêt. Il y a trois ans que cette famille est dans les larmes. On a essuyé celles des Calas, c’est à présent le tour des Sirven. Ces horreurs sont d’autant plus effrayantes qu’elles se passent dans un siècle plus éclairé. C’est un affreux contraste avec la douceur de nos mœurs. Voilà le funeste effet du système de l’intolérance. Il y a encore de la barbarie dans les provinces. Je ne plains plus les Calas, après le jugement des maîtres des requêtes, et après les bienfaits du roi ; mais les Sirven sont bien à plaindre. Je les recommande plus que jamais aux bontés de M. de Beaumont.

Après vous avoir parlé des malheurs d’autrui, il faut que votre amitié me permette encore de parler de mes peines.

Je lisais ce matin un livre anglais dans lequel se trouve la substance de plus de vingt chapitres du Dictionnaire philosophique, que l’ignorance et la calomnie m’ont si grossièrement imputé ; et, pour comble de bêtise, il y a dans d’autres chapitres des phrases entières prises de moi mot pour mot. Je me mettrais dans une belle colère, si l’âge et les maladies n’affaiblissaient les passions. Tronchin m’exhorte à la résignation pour les maux du corps et de l’âme ; il me trouve très bien disposé. Comptez que votre amitié fait ma plus chère consolation.

Voltaire. »

21/09/2020

je suis devenu si vieux que je ne peux plus même jouer les rôles de vieillard

...

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

A Genève, 27 de mai [1765]1

J’ai eu l’honneur de voir M. de Valbelle, mon cher Archimède ; il est bien aimable, comme vous dites. Je ne savais point que l’autre Archimède-Clairault fût gourmand, et que des indigestions l’eussent tué 2 : ce n’est point ainsi que doit mourir un philosophe. Sa pension vous est dévolue de droit. Peut-être avez-vous quelques ennemis qui vous ont desservi ; je n’en suis point du tout surpris. J’ai des ennemis aussi, moi qui ne vous vaux pas. On m’a dit que l’Académie des sciences, en corps, demande cette pension pour vous ; c’est une démarche qui vous honore autant que vos confrères. Vous me ferez grand plaisir de m’en apprendre le succès, soit par un petit mot de votre main, soit par notre digne ami.

On m’a fait accroire que Mlle Clairon pourrait venir consulter Tronchin ; en ce cas, il faudra que je fasse rebâtir mon théâtre ; mais je suis devenu si vieux que je ne peux plus même jouer les rôles de vieillard. D’ailleurs les tracasseries qu’on me fait continuellement m’ont rendu la voix rauque :  Lupi Mœrim videre priores 3.

Je crois que, si Clairault est allé voir Newton, j’irai bientôt faire très-humblement ma cour à Milton. En attendant, je vous embrasse de tout mon cœur.»

1 V* répond à la lettre du 18 mai 1765 de d'Alembert : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-avec-d-alembert-partie-37.html

2 Clairault est mort le 17 mai 1765.

3 Virgile, Bucoliques. IX, 54 ; les loups ont vu Moeris les premiers . On connait l'importance, dans les superstitions, d'avoir « vu le loup » ou d'en avoir été vu .

20/09/2020

Vous voulez donc, madame, que je prenne la liberté de vous appeler Pâté

... Me revient alors au galop le souvenir du nom de baptême de la fille d'André Courrèges dans les années soixante : "Clafoutis" ! Heureusement que le plat préféré de ce couturier déjanté n'était pas le boudin !

 

 

« A Marie-Jeanne Pajot de Vaux, Maîtresse des

comptes

à Lons-le-Saunier

Franche-Comté

25è mai 1765 à Ferney

Vous voulez donc, madame, que je prenne la liberté de vous appeler Pâté ; de tout mon cœur, assurément, ces petites familiarités que vous me permettez me rendent votre amitié bien précieuse . Non, ce n'est point pour François que j'aime Pâté, mais c'est pour Pâté que j'aime François . Il me semble que je le vois gros et gras ; il est bien fait, il a l'air noble et gracieux ; il ressemble à son père et à sa mère . En un mot, il y a quatre personnes dans la maison que je voudrais bien embrasser .

Je n'ai plus de santé depuis que vous nous avez quitté . Plus de pâté, plus de théâtre . Je ne veux pas renoncer à l'espérance de venir me ranimer auprès de vous, c'est une de mes plus grandes consolations . Soyez bien persuadée de la tendre et respectueuse amitié de Papa . »

19/09/2020

Il avait l’insolence de préférer la morale à la théologie, et de gâter par là l’esprit des jeunes gens

... Humour !

L'inverse, tristement nous donne "Comment faire des jihadistes en une leçon" , pétris de religion et principes amoraux . La peste soit de ces imams !

 

 

« A Élie Bertrand

membre de plusieurs académies, etc.

à Berne

25è mai 1765, à Ferney

Je serai enchanté de vous revoir, mon cher philosophe ; et ce sera une grande consolation pour moi de retrouver M. et Mme Defreüdenrich. Je vous prie de leur dire à quel point je leur suis dévoué.

Je crois que l’abbé dont vous me parlez 1 se souciera fort peu qu’on le critique . Le pauvre diable est mort depuis plusieurs années ; je le crois damné pour avoir osé dire que les Juifs n’étaient pas la première nation du monde ; et vous savez que les damnés ne répondent point aux théologiens. C’était un bien mauvais prêtre que cet abbé ; on dit qu’il a perverti bien du monde. Il avait l’insolence de préférer la morale à la théologie, et de gâter par là l’esprit des jeunes gens. Remercions Dieu, qui nous en a délivrés, et aimez-moi toujours un peu. »



1 L'abbé Bazin, donc V* lui-même , auteur de la Philosophie de l'Histoire .

18/09/2020

On donnera bien un évêché à un prêtre sortant du bordel, mais on persécutera ceux qui auront passé leur vie à chercher le vrai, et à faire le bien

... Doux Jésus ! si c'était vrai encore de nos jours ?

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

22è mai 1765 à Genève 1

J’ai eu hier 2, mon cher frère, un petit avertissement de la nature qui me dit que je n’ai pas encore longtemps à philosopher avec vous. Cela ne m’a pas empêché, dès que je suis revenu à moi, d’envoyer un exprès à frère Gabriel pour lui intimer tous vos ordres. Vous voyez au reste combien le fanatisme augmente. Plus il sent sa turpitude, plus il craint qu’on ne la révèle ; tout lui est suspect. Les livres écrits avec le plus de vérité sont précisément ceux qu’il redoute davantage. On donnera bien un évêché à un prêtre sortant du bordel, mais on persécutera ceux qui auront passé leur vie à chercher le vrai, et à faire le bien.

J’ai reçu la Philosophie de l’Histoire, qu’on m’a envoyée d’Amsterdam . Il y a quelques fautes ridicules dans l’imprimé, comme dix mille pour cent mille,3 à l’article d’Égypte. Il me semble aussi que l’auteur ne s’est pas toujours exprimé exactement dans le chaos de la chronologie ; mais, en général, l’ouvrage m’a paru assez utile. L’auteur y montre partout un grand respect pour la religion ; il parle même si souvent de ce respect, qu’on voit bien qu’il veut prévenir les lâches persécuteurs qui pensent toujours qu’on en veut à leurs foyers. Cependant, malgré toutes les précautions de l’auteur, on a envoyé de Paris à Berne un article pour être mis dans la Gazette, dans lequel il est dit que la Philosophie de l’Histoire est plus dangereuse encore que le Portatif. On me fait aussi l’honneur de m’attribuer cette Philosophie. Je voudrais l’avoir faite, quoiqu’on ne me l’attribue que pour me perdre. Mais de quel droit me rend-on responsable des ouvrages d’autrui ? Il n’est pas juste que je sois toujours victime. Il semble que l’abolissement des jésuites ait été un nouveau signal de persécution contre les gens de lettres.

Parlez de tout cela avec frère Archimède. Que les frères célèbrent les agapes, en dépit des tyrans jansénistes : dressez un autel à la raison dans votre salle à manger.

Haec quoties cumque feceritis, in mei memoriam facietis.4

J’ajoute à cette lettre de mon ami qu’il m’est arrivé des personnes de Paris fort instruites. On a décacheté quelques-unes de nos lettres contre-signées Courteilles : heureusement il n’y a jamais eu dans vos lettres rien que de vertueux et de sage, qui ne soit digne de vous. Mais, pour plus de sûreté, écrivez-moi quelque lettre sous la même enveloppe de Courteilles, et écrivez contre-signé Laverdy, à M. Camp, banquier à Lyon, et, sous le couvert de M. Camp, à M. Wagnière, à Genève. Que frère Archimède prenne la même précaution, et qu’il vous donne tout ce qu’il voudra m’écrire. Vous recevrez par cet ordinaire une lettre qu’on ouvrira si l’on veut.5

Est-il possible qu’on soit obligé à de telles précautions, et que la plus douce consolation de la vie nous soit arrachée ?

Gardez-vous bien d’écrire à Gabriel Cram..., ni à Gabriel Gras…, gardez-vous bien qu’on fasse entrer le ballot de ce diable d'abbé Bazin, pour qui on prend des gens qui ne s’appellent pas Bazin. Il est minuit ; je n’en puis plus. Ecr. l’inf… . »

1 Une copie contemporaine (Darmstadt B. ) fait précéder les trois derniers paragraphes de la mention « post scriptum, séparé » . On a ici la version édition de Kehl .

2 En fait , l'avant-veille, le 20 mai 1765.

3 C'est l'inverse ; la faute fut corrigée ultérieurement ; voir Philosophie de l'histoire, XIX ; voir page 112 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8618430t/f126.image

4 Cela, toutes les fois que vous le ferez, vous le ferez en mémoire de moi ; Corinthiens, XI, 25, cité très inexactement ; voir : https://saintebible.com/1_corinthians/11-25.htm

5 Cette lettre est celle du même jour qui fut envoyée par la poste ordinaire . La présente le fut, comme l'écrira V* à Damilaville le 7 juin 1765, par l'intermédiaire de Gaudet , supérieur de Damilaville . Cette complicité de Gaudet explique la longue immunité dont jouit Damilaville .

17/09/2020

Tout est cabale à la cour, tout est quelquefois passion dans de grandes compagnies qui ne devraient point avoir de passions

... Les petites histoires de la grande histoire en passent par là, inexorablement alimentées par l'orgueil et l'envie .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

A Genève 22è mai 1765

Mon cher et vertueux ami, je vous ai envoyé le portrait du petit Calas peint à l’huile . Sa mère aidera à rectifier les traits . Ils sont mieux peints dans le cœur de cette digne mère que par le pinceau de M. Hubert 1. On fait actuellement un recueil de toutes les pièces de cette triste aventure, dont la fin fera tant d’honneur aux maîtres des requêtes, à la nation, et surtout au roi, qui a si bien réparé la malheureuse injustice de  Toulouse. S’il était mieux instruit, je suis bien sûr que la bonté de son cœur réparerait sur la fin de ma vie  toutes les injustices que j’ai essuyées. Vous savez qu’on m’impute tous les jours des ouvrages auxquels je n’ai pas eu la moindre part. Ce ne devait pas être la récompense d’avoir fait la Henriade, le Siècle de Louis XIV, et quelques autres ouvrages qui n’ont déplu ni au roi ni à la nation ; mais c’est le sort attaché à la profession d’hommes de lettres. Peut-être est-il dur, à l’âge de soixante-douze ans, d’être continuellement en butte à la calomnie ; mais j’ai appris, dans la saine philosophie que nous cultivons tous deux, qu’il faut savoir se résigner. Tout ce que je souhaite, c’est que le roi et le ministère puissent un jour savoir que les gens de lettres sont les meilleurs citoyens et les meilleurs sujets. Tout est cabale à la cour, tout est quelquefois passion dans de grandes compagnies qui ne devraient point avoir de passions . Il n’y a que les vrais gens de lettres qui n’aient point d’intrigues, et qui aiment sincèrement l’ordre et la paix.

Adieu, mon digne ami ; je suis bien malade, et, en vérité, on ne devrait pas troubler mes derniers jours. Votre amitié vertueuse fait toute ma consolation. 

Voltaire.»