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18/04/2011

toutes les querelles de cette espèce ont commencé par des gens oisifs et qui étaient à leur aise ; quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu

Note rédigée et mise en ligne le 12 juin 2011 .

 

 

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« A Etienne-Noël Damilaville

 

1 avril 1766

 

Le Philosophe sans le savoir 1, mon cher ami , n'est pas à la vérité une pièce faite pour être relue, mais bien pour être rejouée . Jamais pièce, à mon gré, n'a dû favoriser davantage le jeu des acteurs, et il faut que l'auteur ait une parfaite connaissance de ce qui doit plaire sur le théâtre, mais on ne relit que les ouvrages remplis de belles tirades, de sentences ingénieuses et vraies, en un mot que des choses éloquentes et intéressantes .

 

Je crois que nous ne nous entendons pas sur l'article du peuple que vous croyez digne d'être instruit 2. J'entends par peuple la populace qui n'a que ses bras pour vivre . Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ou la capacité de s'instruire, ils mourraient de faim avant de devenir philosophes, il me parait important qu’il y ait des gueux ignorants . Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues vous seriez bien de mon avis, ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, c'est le bon bourgeois, c'est l'habitant des villes, cette entreprise est assez forte et assez grande . Il est vrai que Confucius a dit qu'il avait connu des gens incapables de sciences, mais aucun incapable de vertu ; mais il ne doit pas perdre son temps à examiner qui avait raison de Nestorius ou de Cyrille, d'Eusèbe ou d'Athanase, de Jansénius ou de Molina, de Zwingle ou Œcolampade, et plût à Dieu qu'il n'y eût jamais eu de guerre de religion, nous n'aurions jamais eu de St Barthélémy, toutes les querelles de cette espèce ont commencé par des gens oisifs et qui étaient à leur aise ; quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu . Je suis de l'avis de ceux qui veulent faire de bons laboureurs des enfants trouvés 3, au lieu d'en faire des théologiens ; au reste, il faudrait un livre pour approfondir cette question, et j'ai à peine le temps, mon cher ami, de vous écrire une petite lettre .

 

Je vous prie de vouloir bien me faire un plaisir, c'est d'envoyer l'édition complète de Cramer à M. de La Harpe ; ce n'est pas qu'assurément je prétende lui donner des modèles de tragédies ; mais je suis bien aise de lui montrer quelques petites attentions dans son malheur 4 en cas que je ne lui aie pas déjà fait ce présent, car il me vient un scrupule en vous écrivant . Gardez donc l'exemplaire, mon cher ami, jusqu'à ce que je sois instruit s'il en a eu de ma part .

 

Je suis beaucoup plus inquiet du mémoire pour les Sirven 5, je vous supplie de m'en dire des nouvelles . Je vais faire retirer les lettres pour M. d'Alembert 6, qui probablement ne pourront partir que vendredi prochain 4 avril . J'ai été si malade que je n'ai pu vous écrire la poste dernière .

 

Je n'ai point reçu le panégyrique fait par M. Thomas 7. Surement on fait examiner secrètement le Dictionnaire des sciences 8, puisqu'il n'est pas encore délivré aux souscripteurs . Mais qui sont les examinateurs en état d'en rendre un compte fidèle ? Faudrait-il qu'un scrupule mal fondé ou la malignité d'un pédant fit perdre aux souscripteurs leur argent, et aux libraires leurs avances ? J’aimerais autant refuser le paiement d'une lettre de change, sous prétexte qu'on en pourrait abuser .

 

J'attends toujours quelque chose de Fréret 9. on dit que ma nièce de Florian passera son temps bien agréablement à Hornoy ; vous irez la voir, elle est bien heureuse . Adieu, mon très cher ami .

 

Je vous prie de me dire s'il y a eu en effet une troisième remontrance du parlement de Paris sur les affaires du parlement de Bretagne 10; je ne le crois pas, cela serait bien peu convenable . »


2 V* reviendra sur cette question le 13 avril : « Le bas peuple en vaudra certainement mieux quand les principaux citoyens cultiveront la sagesse et le vertu... » ; voir page 392 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f397.image.r...

 

3 Idée du physiocrate François-Thomas Moreau de La Rochette, auquel V* écrira le 1er juin : « Il est vrai que j'avais fort applaudi à l'idée de rendre les enfants trouvés et ceux des pauvres utiles à l’État et à eux-mêmes . J'avais dessein d'en faire venir quelques uns chez moi pour les élever. » Moreau de La Rochette , inspecteur des pépinières royales, fit planter près de Melun une grande pépinière modèle où travaillaient des enfants trouvés.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Thomas_Moreau_...

http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnair...

4 La tragédie de La Harpe, Gustave Vasa, jouée le 3 mars 1766, fut un échec. Le 12 mars, à Damilaville : « Je plains ce pauvre La Harpe ... » ; page 378 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f383.image.r...

Le 12 mai, à d'Argental : « La Harpe n'a pas pu trouver cinquante (écus d'un libraire ) pour son beau Gustave Vasa » ; page 405 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f410.image.r...

5 Le mémoire d'Elie de Beaumont .

6Cette phrase est éclairée par la lettre du 5 à d'Alembert : « J'avais ordonné ... qu'on retirât toutes (les lettres) qui vous seraient adressées d'Italie . Je n'ai trouvé que celle-là dans mon paquet ( qu'il a décachetée par erreur et qu'il lui envoie ) »

7 Éloge de feu mgr le dauphin de France, 1766 . V* l'a reçu le 4 avril et il écrira le Petit commentaire sur l'éloge du dauphin de France par M. Thomas, ce qui n'est pas une critique ; voir page 237 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800238/f242.tableDe...

8 L’Encyclopédie .

9 Examen critique des apologistes de la religion chrétienne, 1766 : http://www.archive.org/stream/examencritiquede00fruoft#pa...

Sur l'exemplaire que possédait V*, il a écrit : « Je ne crois pas que ce livre soit de M. Fréret, il est très dangereux pour la foi. » La copie de la lettre qui a été conservée porte « quelques choses ».

10 Dans son lit de justice du 3 mars, Louis XV avait affirmé l'autorité royale ; son discours fut publié sous le titre Réponse faite par le roi, tenant son parlement de paris, le 3 mars 1766, aux remontrances de ladite cour suprême sur ce qui s'est passé à Pau et en Bretagne, et V* en fit l'éloge à ses correspondants . Le parlement de Paris soutenait contre le duc d'Aiguillon, représentant du roi, (et contre le roi) le parlement de Bretagne et son procureur général La Chalotais, alors emprisonné . Voir lettre aux d'Argental du 27 novembre 1765 : page 306 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f311.image.r...

Après le lit de justice le parlement de Paris ne dit mot .

 

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