17/04/2011
Ce sang innocent crie, mon cher ange, et moi je crie aussi ; et je crierai jusqu'à ma mort
Permettez-moi de vous inviter à faire un don , de vous-même, très exactement, un peu de votre sang et de votre temps .
Rendez-vous à Gex le lundi 18 avril pour ceux qui vivent dans le pays de Gex ou alors renseignez vous grâce à ce lien :
http://www.dondusang.net/rewrite/site/37/etablissement-francais-du-sang.htm?idRubrique=756
Voir aussi le lien ci joint dans le rubrique "J'y tiens et vous y viendrez"
http://www.deezer.com/listen-7246038 An innocent man !
http://www.acupoftim.com/article-16029409.html
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
16è avril 1775
Mon cher ange, je reçois votre lettre du 10è avril . Mme de Luchet n'est plus que garde-malade i. Vous l'avez vue marquise très plaisante, et très amusante, mais les mines de son mari ont un peu allongé la sienne ii. Ce mari est à la vérité un homme de condition, plus marquis que le marquis de Florian ; mais il a bien plus mal fait ses affaires que Florian . Il est actuellement à Chambéry, et ni lui ni sa femme ne m'ont pleinement instruit de leur désastre . Il y a dans toutes les confessions un péché qu'on n'avoue pas .
J'avais cru longtemps que la maladie de Mme Denis n'était qu'un rhume ordinaire . Nous n'avons été détrompés que depuis le premier jour d'avril . La maladie a été depuis ce temps-là très sérieuse et très inquiétante jusqu'au 16 . Je ne commence à être rassuré que d'aujourd'hui ; nous avons été dans des transes continuelles . Malheureusement je ne suis bon à rien avec mes quatre-vingt et un ans, et ma constitution déplorable ; je ne suis qu'un vieux malade qui en garde un autre, et qui s'acquitte fort mal de cette fonction . Jugez si je suis en état de courir après une soixantaine de vers épars dans une vieille copie mise dès longtemps au rebut, et à moitié brûlée iii. Altri tempi, altri cure iv. La tête me tourne , mon cher ange, de l'affaire de notre jeune homme v. Il est plus sage que moi, il est tranquille sur son sort, et moi je m'en meurs .
Il y a peut-être quelque légère différence entre son mémoire et l'extrait de M. d'Hornoy . Je lui mande qu'il peut aisément corriger ces petites erreurs en deux traits de plume . Mais nous ne fondons point du tout notre consultation sur des interrogatoires faits par des scélérats à des enfants intimidés vi. Nous la fondons principalement sur l'illégalité punissable avec laquelle un procureur marchand de cochons, soi-disant avocat, et déclaré non admissible en cette qualité par un acte juridique de tous les avocats du siège, a osé se porter pour juge dans une affaire criminelle, et verser le sang innocent de la manière la plus barbare . Voila notre grief, ou plutôt le crime que nous dénonçons, et dont nous n'avons que trop de preuves . Pourquoi s'attacher à des minuties quand il s'agit d'un objet si important ?
Ce fait ne se trouve certainement pas dans l'énorme procédure dont M. d'Hornoy a bien voulu faire l'extrait . Il a lu cet extrait à M. le garde des Sceaux vii, mais il ne lui a point parlé du seul objet principal dont il s'agit ; et voilà ce qui arrive dans presque toutes les affaires .
Nous venons de découvrir un mémoire fait en 1766, pour trois coaccusés dans cet infâme procès criminel, mémoire qui ne fut malheureusement imprimé avec la consultation des avocats que quelque temps après l'arrêt du parlement . La consultation est signée par huit avocats, Cellier, d'Outremont, Muyart de Vouglans, Gerbier, Timbergue, Benoît, Turpin, Linguet .
Les moyens de nullité sont très bien discutés dans le mémoire et dans la consultation . C'est dans ce mémoire, pages 16 et 17, qu'il est dit expressément que la compagnie des avocats d’Abbeville s'est opposée par un acte juridique à la réception de notre prétendu avocat, prétendu juge, réellement procureur, et marchand de cochons et de bœufs .
C’est là qu'il est dit que les sentences des consuls d’Abbeville enjoignent à ce procureur marchand, à ce juge aussi infâme que barbare, de produire ses livres de comptes .
Y a-t-il rien de plus monstrueux, mon cher ange ? y a-t-il rien qui doive plus exciter l'indignation du roi et de son garde des Sceaux ? faut-il chercher d'autres preuves de l'injustice la plus horrible, et d'un assassinat plus prémédité ? pourquoi n'en a-t-on pas parlé à M. de Miromesnil ? Hélas ! c'était la seule chose qu'il lui fallait dire . N'est-il pas palpable que ce misérable marchand de bestiaux n'avait été choisi pour assassiner juridiquement d'Etallonde et La Barre, que par la vengeance du conseiller nommé Saucourt qui voulait perdre à quelque prix que ce fût des enfants innocents , et se venger sur eux de trois procès que les pères de ces enfants, et Mme Faydeau de Brou lui avaient fait perdre ?
Ce sang innocent crie, mon cher ange, et moi je crie aussi ; et je crierai jusqu'à ma mort viii. Je crie à vous, je vous dis : vous êtes ami de MM. Target ix et de Beaumont x; parlez-leur, je vous en conjure . Je suis outré, je suis désespéré . Quoi ! Le sage et brave d'Etallonde ne pourra pas trouver en 1775 un avocat, tandis que des enfants accusés des mêmes choses que lui en ont trouvé huit en 1766 ? Cela est affreux, cela est incompréhensible . Il n'y a donc plus ni raison, ni humanité dans le monde ?
Au nom de cette humanité qui est dans votre cœur, parlez à M. Target, dites-lui tout ce que je vous dis. Je vous répète que nous ne voulons point de lettres de grâce, que grâce, de quelque manière qu'elle soit tournée, suppose crime, et que nous n'en avons point commis . De plus grâce exige qu'on la fasse entériner à genoux et c'est ce que nous ne ferons jamais xi. Il n'y a ni l'ombre de la justice, ni de la pitié, ni de la raison dans tout ce qu'on m'a écrit sur cette aventure exécrable .
Comment voulez-vous, mon cher ange, que dans l'effervescence où est l'intérieur de ma pauvre vieille machine, je vous parle à présent de l'édition in-4° de Corneille ? Il y a sans doute beaucoup de choses nouvelles dans les notes, mais ces choses là vous les savez mieux que moi . Vous savez combien les froids raisonnements alambiqués, écrits en style bourgeois, sont impertinents dans une tragédie ; que le boursouflé est encore plus condamnable, que l’impropriété continuelle des expressions est ridicule etc. J'ai fait sentir tous ces défauts dans la nouvelle édition, et j'ai dû le faire ; j'ai dû n'avoir aucune condescendance pour le mauvais goût et pour la mauvaise foi de ceux qui m'avaient fait des reproches trop injustes . J'ai dit enfin la vérité dans toute son étendue, comme elle doit toujours être dite . De Tournes et Panckoucke, qui ont fait cette édition, ne m'en ont donné qu'un seul exemplaire . Si j'en avais deux, il y a longtemps que vous auriez le vôtre .
Je ne puis, mon cher ange, finir ma lettre sans vous dire un mot de l'homme dont j'avais pris le parti , et dont vous me parlez xii. M. de Malesherbes , qui est assurément une belle âme, m'a mandé que c'était ce même homme qui avait déterminé l'arrêt funeste xiii dont l'Europe a eu tant d'horreur, que sans lui les voix auraient été partagées . Je me tais, et je me tairai sur cet homme ; mais cette nouvelle a achevé de m'accabler . Je me jette entre vos bras .
V. »
ii V* se moquera un peu de ce chercheur d'or ; Luchet avait fait de malheureuses spéculations sur des mines d'or .
Voir lettre du 1er mai à d'Argental : page 43 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80042j/f48.image.r=...
et 5 mai à Mme de Saint-Julien : page 45, même adresse .
iii C'est Dom Pèdre , pièce à propos de laquelle il écrivait à d'Argental le 3 avril : page 30 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80042j/f35.image.r=... : «J'ai abandonné totalement dom Pèdre et Duguesclin ... »
Dom Pèdre
voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113232/f242.image
vi C'est-à-dire à Moinel, dont V* proposait d'escamoter le témoignage ; voir lettre du 11 décembre 1774 à Condorcet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/11/c...
et 30 décembre à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/30/f...
viii Daté 30 juin, il va publier Le Cri du sang innocent . http://www.voltaire-integral.com/VOLTAIRE/Crisang.htm
ix Guy-Jean-Baptiste Target : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy-Jean-Baptiste_Target
xi Vers le 30 avril, V* écrira à Condorcet : « Il manquerait d'ailleurs essentiellement au roi son maître (Frédéric II) et il se déshonorerait s'il allait faire entériner à genoux ces lettres de grâce par ses bourreaux en portant l'habit uniforme des vainqueurs de Rosback ! »
xii Maupéou, dont V* a loué la réforme en 1771 . Plus explicitement, V* le 17 mars écrit à l'abbé Mignot : « ... je ne sais que depuis peu à qui on doit principalement imputer le double assassinat dont la postérité fera justice . C'est à ce même homme qui vous avait installé , à ce même homme qui vous devait tant de récompenses, et qui ne vous en a donné aucune ; à ce même homme dont j'avais pris le parti ; à ce même homme qui est à présent l'exécration de la France ».
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