27/03/2013
je suis plus sensible à votre amitié qu'aux vains applaudissements de quelques connaisseurs obscurs, qui pourront dire dans cent ans Vraiment ce drôle-là avait quelques talents
... Voltaire, ami exemplaire, vit encore à mes yeux dans la personne de Mam'zelle Wagnière qui lui est fidèle . Tout aussi fidèle en amitié, qualité terriblement aimablement touchante qui met/remet de l'espoir au coeur .
« A M. Charles-Augustin FERRIOL, comte d'ARGENTAL
Conseiller d'honneur du parlement à Paris
rue de la Sourdière à Paris
A Lausanne, 22 janvier [1758]
J'ai reçu votre lettre du 13, mon cher et respectable ami, mais rien de M. de Choiseul 1. J'ai présumé, par ce que vous me dites, qu'il s'agissait d'obtenir un congé pour monsieur son fils 2 blessé et prisonnier. Je doute fort que le roi de Prusse voulût, à ma chétive recommandation, s'écarter des idées qu'il s'est prescrites, et je suis d'autant moins à portée de lui demander une pareille grâce pour M. de Choiseul, que je lui écrivis 3, il y a huit jours, en faveur d'un Genevois qui est dans le même cas, et qui probablement restera estropié à Mersbourg.
Mais le roi de Prusse a une sœur qui doit avoir quelque crédit auprès de lui, et à qui je puis tout demander. Je lui ai écrit de la manière la plus pressante 4, et je lui ai recommandé M. le marquis de Choiseul comme je le dois. Ne doutez pas qu'elle n'en écrive au roi son frère il ne doit lui rien refuser. Je crois que le roi de Prusse peut s'amuser actuellement à faire des grâces; il n'y a pas moyen de se battre avec six pieds de neige; aussi Schweidnitz n'est pas pris 5 mais j'ai toujours grand'peur que M. de Richelieu ne se trouve entre les Hanovriens et les Prussiens. On se moque de tout cela dans votre Paris, et pourvu que les rentes de l'Hôtel de Ville soient payées, et qu'on ait quelques spectacles, on se soucie fort peu que les armées périssent. La chose peut pourtant devenir sérieuse, et vos sybarites peuvent un jour gémir.
Pour moi, mon cher ange, qui ne m'occupe que des siècles passés, je ne crois pas devoir cette année m'exposer au refus de la médaille 6. Qui diable a imaginé cette médaille? On ne l'aurait pas donnée à l'auteur de Britannicus, qui n'eut que cinq représentations, et on l'aurait donnée à l'auteur de Régulus 7! Fi donc! il n'y a de médailles que celles que la postérité donne. Il faut un ami comme vous pour le temps présent, et de beaux vers pour l'avenir; mais je suis plus sensible à votre amitié qu'aux vains applaudissements de quelques connaisseurs obscurs, qui pourront dire dans cent ans Vraiment ce drôle-là avait quelques talents.
Mille respects à Mme d'Argental et à tout ange.
V.»
1 Le comte de Choiseul, nommé ambassadeur de France à Vienne . http://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sar_Gabriel_de_Choiseul-Praslin
2 Renaud- César-Louis, connu sous le titre de vicomte de Choiseul, avait été nommé guidon de gendarmerie en mars 1749, à l'âge de quinze ans. http://fr.wikipedia.org/wiki/Renaud_C%C3%A9sar_de_Choiseul-Praslin
5 La nouvelle de la prise de cette ville avait couru à Paris et d'Alembert en avait fait état dans sa lettre du 11 janvier 1758 à V* ; fausse nouvelle . Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_(d%E2%80%99Alembert)/Correspondance_avec_Voltaire/007
6 Louis XV venait d'ordonner que les auteurs dont les pièces auraient eu un grand succès au théâtre, pour la première fois lui seraient présentés; pour la seconde, auraient une médaille; pour la troisième, obtiendraient une pension. La médaille portant l'inscription « Prix de l'art dramatique » signée Duvivier et J.-G. Raettius était apparemment frappée .
7 Cette tragédie de Pradon eut vingt-sept représentations de suite lors de sa création en 1688 . http://books.google.fr/books?id=KVZJAAAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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