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12/10/2013

vous ne paraissez pas trop content de Paris et je crois fermement que vous avez raison.

... Peut on me souffler à l'oreille depuis quelque temps !

 Que d'interdits !

 ach paris interdit DSCF3768.JPG

 

« A Pierre -Robert Le Cornier de CIDEVILLE.

Aux Délices, 1er septembre [1758].

Mon cher et ancien ami, je reviens dans mes chères Délices, après un assez long voyage à la cour palatine. Je trouve, en arrivant, vos jolis vers 1, dans lesquels vous ne paraissez pas trop content de Paris et je crois fermement que vous avez raison. Mais avez-vous, dans votre Launay, un peu de société? Il me semble que la retraite n'est bonne qu'avec bonne compagnie. Vous savez, mon cher Cideville,

Que ce fantôme ailé qu'on nomme le bonheur

N'habite ni les champs, ni la cour, ni la ville.

Il faudrait, nous dit-on, le trouver dans son cœur;

C'est un fort beau secret qu'on chercha d'âge en âge.

Le sage fuit des grands le dangereux appui,

Il court à la campagne, il y sèche d'ennui

J'en suis bien fâché pour le sage.

Ce n'est pas des sages comme vous et moi que je parle; je suis bien sûr que l'ennui n'approche pas plus de votre Launay que de mes Délices. Je prends acte surtout que je n'ai pas quitté mes pénates champêtres par inquiétude, pour aller chez l'électeur palatin par vanité. Je vous avouerai que j'ai mis dans cette cour, et entre les mains de l'électeur, une partie de mon bien, qu'on pille presque partout ailleurs. Il a bien voulu avoir la bonté de faire avec moi un petit traité qui me met en sûreté, moi et les miens, pour le reste de ma vie. Le bon Horace dit Det vitam, det opes; æquum mi animum ipse parabo.2

Il aurait dû ajouter det amicos 3; mais vous me direz que c'est notre affaire, et non celle du ciel. C'est l'amitié de mes nièces qui fait de près le bonheur de ma vie c'est la vôtre qui le fait de loin Excepto quod non simul essem, caetera laetus.4

Je vous ai bien souvent regretté, et votre souvenir m'a consolé. Vous n'êtes pas homme à franchir les Alpes, et à me venir voir sur les bords de mon lac, comme Mme du Boccage 5 . Vous vous contentez de cueillir les fleurs d'Anacréon dans vos jardins; vous n'allez pas chercher comme elle la couronne du Tasse au Capitole.

Satis beatus unicis Sabinis.6

Adieu, mon cher et ancien ami mes deux nièces, toute ma famille, vous font les plus tendres compliments.

V.

Eh bien, les Anglais ont donc quitté vos côtes normandes, nonobstant clameur de haro.  Est-il vrai qu'ils ont pris beaucoup de canons, de vaches, de filles, et d'argent? Le Canada va donc être entièrement perdu, le commerce ruiné, la marine anéantie, tout notre argent enterré en Allemagne ? Je vous trouve très heureux, mon cher Cideville, de posséder la terre de Launay. Je n'ai aux Délices que l'agréable, et vous possédez l'agréable et l'utile.

Beatus ille qui, procul ridiculis,

Fœcunda rura bobus exercet suis 7»

1 Lettre du 26 juillet 1758 consistant en une douzaine de quatrains ; extraits : «  Que laissai-je à Paris ? Des masques politiques / Cachant leur air d'avidité/ Et le Luxe en son char, dans les places publiques / Insultant à la Pauvreté […] / Je reviens sans regrets, en ce coin de la terre , / Où mes aïeux s'étaient bannis […] Le Sage, indépendant du joug des artifices, / Règne heureux, chez soi confiné:/ Vous illustre, opulent, vrai seigneur des Délices, / Moi, sans nom, peu riche à Launay. […] Oh ! Si j'écoutais l'oncle , en lorgnant ses deux nièces, / Tous trois charmants, peintres tous trois : / Si volant leurs crayons, j'en prenais leurs finesses, / Mon sort serait selon mon choix . »

2 Que [Jupiter] me donne la vie, qu'il me donne des ressources : pour l'égalité d’âme ,c'est à moi-même à me l'assurer ; Épîtres I, xviii, 112.

3 Qu'il me donne des amis .

4 Si ce n'est que nous ne sommes pas ensemble, pour le reste, je suis heureux .Horace, Épîtres I, x, 50

5Voir la lettre de Mme du Boccage à Mme du Perron du 8 juillet 1758 : page 464 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f467.image

6 Assez heureux avec mon seul domaine sabin. Horace, Odes II, i, 14.

7 Heureux qui, loin des ridicules, travaille sa terre féconde avec ses propres bœufs . Horace, Épodes, II,i,3 .

 

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