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24/08/2013

comme cette lettre passera par la France, c'est encore une raison pour ne rien dire

 ... Qui risque de déplaire, à qui que ce soit détenant une part de pouvoir .

Ce triste constat au XVIIIè siècle est aisément transposable au XXIè qui a vu et voit encore le "scandale" (?!) des écoutes , l'espionnage à grande échelle des télécommunications au profit prétendu de la sécurité d'Etats .

 Pourtant ...

 ne-rien-dire.jpg

 

« A Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de TRESSAN 1

7 juin [1758]

M. de Florian ne sera pas assurément le seul, mon très-cher gouverneur, qui vous écrira du petit ermitage des Délices; c'est un plaisir dont j'aurai aussi ma part. Il y a bien longtemps que je n'ai joui de cette consolation. Ma déplorable santé rend ma main aussi paresseuse que mon cœur est actif; et puis on a tant de choses à dire qu'on ne dit rien. Il s'est passé des aventures si singulières dans ce monde qu'on est tout ébahi, et qu'on se tait; et, comme cette lettre passera par la France, c'est encore une raison pour ne rien dire. Quand je lis les Lettres de Cicéron, et que je vois avec quelle liberté il s'explique au milieu des guerres civiles, et sous la domination de César, je conclus qu'on disait plus librement sa pensée du temps des Romains que du temps des postes. Cette belle facilité d'écrire d'un bout de l'Europe à l'autre traîne avec elle un inconvénient assez triste c'est qu'on ne reçoit pas un mot de vérité pour son argent. Ce n'est que quand les lettres passent par le territoire de nos bons Suisses qu'on peut ouvrir son cœur. Par quelque poste que ce billet passe, je peux au moins vous assurer que vous n'avez ni de plus vieux serviteur, ni de plus tendrement attaché que moi. Peut-être, quand vous aurez la bonté de m'écrire par la Suisse, me direz-vous ce que vous pensez sur bien des choses par exemple, sur l'Encyclopédie, sur la Fille d'Aristide, sur l'Académie française. N'aurai-je jamais le bonheur de m'entretenir avec vous? N'irai-je jamais à Plombières ? Pourquoi Tronchin ne m'ordonne-t-il point les eaux? Pourquoi ma retraite est-elle si loin de votre gouvernement, quand mon cœur en est si près ?

Mille tendres respects.

Le Suisse VOLTAIRE. »

 

On a mis bien des sottises dans l'Encyclopédie, les libraires en font de leur côté , ainsi va le monde

... En mots et en images .

Encyclopedie_frontispice_full.jpg

 Au vu de ce frontispice, voici mon illustration musicale, offerte par Alain Souchon :

http://www.youtube.com/watch?v=i3bgATxmemc

 

 

 

« A Élie BERTRAND.

Premier pasteur de l’Église française

à Berne

Aux Délices, 7 juin [1758]

Je vous remercie, mon cher philosophe, de l'ouvrage sur l'ancienne langue de notre pays roman 1. Je voudrais seulement qu'il fût plus long. Les libraires de Paris me paraissent aussi intéressés que tous les libraires de ce monde, et je ne sais s'ils entendent bien leurs intérêts. Il faut que les marchands, associés pour débiter nos pensées, tiennent un grand conseil dans lequel on décidera, à la pluralité des voix, s'il est convenable à leur république d'envoyer un exemplaire de leur Encyclopédie à un homme qui veut bien avoir la bonté de travailler pour eux. Briasson, le libraire, me mande qu'il attend le résultat de ce grand conseil. On a mis bien des sottises dans l'Encyclopédie, les libraires en font de leur côté , ainsi va le monde, ainsi vont nos affaires de terre et de mer. Mille tendres respects à M. et Mme Freudenreich. Bonsoir, mon cher philosophe.

Le malade suisse V. »

1  Recherches sur les langues anciennes et modernes de la Suisse, et principalement du pays de Vaud., par Élie Bertrand; 1758, in-8* . Élie Bertrand : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/070-elie-bertrand

 

 

23/08/2013

S'il y a des sots, il faut les braver

... J'adore l'ironie du "si" concernant l'existence des sots .

S'il est permis de douter de l'existence de Dieu et de la coexistence pacifique de toutes les religions, -ou plus exactement de tous ceux qui pratiquent des rites religieux-, je pense que la présence des sots terrestres n'est plus à chercher , j'y apporte aussi ma modeste part , la plus modeste possible au demeurant, tant que faire se peut .

Braver les sots avec des mots

Tel est notre lot, notre dot ;

Pas de pot, jusqu'au dernier rot

Se lever tôt,

Aimable Voltaire .

sot.jpg

 

 

 

« A Jean Le Rond d'ALEMBERT.

de l'Académie française et des Sciences,

rue Michel-le-Comte

à Paris

Aux Délices, 7 juin [1758]

Par ma foi, mon grand et aimable et indépendant philosophe, vous devriez apporter votre Dynamique 1 à Genève. Qui vous empêche de passer par le mont Cenis? Quoi parce que quelques marmottes du pays, en manteau noir, ont signé qu'ils sont d'accord avec vous dans le fond, et ont un peu biaisé sur la forme, vous éviteriez de passer par une ville où tous les honnêtes gens vous estiment et vous considèrent comme ils doivent . Qui vous empêche de venir coucher chez M. Necker 2, à la ville, et chez moi, à la campagne? Pour moi, je pense que rien ne serait mieux pour vous et pour les Genevois. Vous feriez voir hardiment que, dans le siècle où nous sommes, les disputes sur la consubstantialité 3 n'altèrent point l'union des gens sages, et qu'on commence à devenir plus humain que théologien, en un mot, pour la rareté du fait, pour l'édification publique, et pour mon plaisir, je vous prie de passer hardiment par chez nous. S'il y a des sots, il faut les braver et d'ailleurs un sujet, un pensionnaire du roi de France, un académicien, doit être respecté dans une ville qui est sous la protection du roi, et qui ne subsiste que par l'argent qu'elle gagne avec la France, argent dont elle fait cent fois plus de cas que de l'homousios.

Vous avez fait en digne philosophe de dédier la Dynamique à un disgracié 4. Ce n'est pas qu'il entende un mot de votre livre; mais il sera plus flatté de votre attention qu'il ne l'eût été quand il donnait des audiences.

Je vous remercie de la bonté que vous avez de me faire parvenir votre ouvrage. J'en entendrai ce que je pourrai, car j'ai bien renoncé à la physique depuis qu'aucune académie n'a pu m'apprendre le secret de se laver les mains dans du plomb fondu sans se faire de mal, secret connu de tous les charlatans et celui de chasser les mouches d'une maison, comme font les bouchers de Strasbourg. Si vous savez ces grandes choses, je vous prie de m'en faire part.

Allez voir faire un pape 5, vous ne verrez pas grand'chose; un bel opéra est plus agréable.

Je suis persuadé que vos voyages ne vous feront pas oublier l'Encyclopédie. Vous l'embellirez aux articles Rome, et Pape, et Moines, et vous leur direz tout doucement leurs vérités.

J'ai changé Histoire; j'en ai fait un article outrecuidant 6. S'il passe, à la bonne heure; sinon, je me passerai bien qu'on l'imprime. Mes nièces et l'oncle suisse vous aiment de tout leur cœur.

V. »

2 Louis Necker (V* écrit Nekre) âgé de 28 ans est le frère ainé de Jacques Necker (qui sera ministre sous Louis XVI), et est déjà un mathématicien et physicien renommé, memebre correspondant de l'Académie des Sciences le 23 juin 1756 ; leur père est Charles-Frédéric Necker, mort professeur de droit civil à Genève en 1760 .

3Pour la forme de ce mot, voir la lettre du 15 janvier 1758 à Théodore Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/23/c-est-cet-amas-de-dogmes-absurdes-toujours-expliques-et-touj.html

et pour omousios (fin du paragraphe), voir lettre du 19 janvier 1758 à Elie Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/26/sans-me-lamenter-le-moins-du-monde-avec-vous-sur-les-miseres.html

4 Le comte d'Argenson ; un mot semble manquer devant Dynamique, mais il est aussi possible que V* ait voulu produire une allitération en d .

5 Benoît XIV était mort le 3 mai 1758, et Carlo della Torre Rezzzonico lui succèdera le 6 juillet sous le nom de Clément XIII .

 

22/08/2013

que j'y achève ou non ma petite et obscure carrière

... J'y aurai passé quelques bons moments, tranquille, quoique, ... côaa, côaaa

 Rentrer maison !

 DSCF4126 rentrer maison.png

 http://www.deezer.com/track/2263728


« A Jean-Nicolas-Sébastien Allamand

professeur à Leyde

Aux Délices 1er juin [1758]

Monsieur, les lettres que je peux avoir écrit à M. de s'Gravesande 1 ne méritent certainement pas de voir le jour , mais puisqu'elles ne sont que des témoignages de l'estime et de la confiance qu'il méritait, je ne peux qu'approuver l'usage que vous en faites .

On m'apprend que ce Prosper Marchand dont vous avez daigné être l'éditeur était un ancien libraire qui écrivait plus mal qu'il n'imprimait . Je n'ai jamais entendu parler de cet homme qu'à l'occasion des injures grossières dont on dit qu'il m'affuble dans ses œuvres posthumes . Je ne doute pas que les devoirs d'honnête homme n'aient prévalu dans vous sur les devoirs d'exécuteur testamentaire d'un tel écrivain . Il se peut faire que cet homme se fût appliqué en son vivant ce que j'ai dit plusieurs fois de nos Français réfugiés qui ont inondé l'Europe de libelles et qui ont vendu des calomnies à tant la feuille . Quand un homme vous 2 fait imprimer les ouvrages d'un pareil auteur ce n'est sans doute que pour les rectifier . Je vous dois les plus tendres remerciements, de la bonté que vous avez de donner le contrepoison du venin de M. Prosper dont Dieu veuille avoir l'âme .

Il est vrai, monsieur, que je me suis fait les deux plus jolies habitations du monde, l'une auprès de Genève, l'autre à Lausanne ; il est encore plus vrai que je voudrais avoir l'honneur de vous y posséder . J'y étais venu pour ma santé, j'y reste pour mon plaisir . J'aurais de la peine à trouver ailleurs quelque chose de plus agréable . Soit que j'y achève ou non ma petite et obscure carrière je serai toujours , monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire »

1 La correspondance de V* avec s'Gravesande en 1737 parut dans le Dictionnaire, II, 240 . Voir lettre à Allamand du 13 mai 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/08/19/il-serait-triste-pour-moi-d-etre-oblige-de-perdre-mon-temps.html

Voir cette correspondance dans : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

Willem Jacob 's Gravesande :voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Willem_Jacob_%27s_Gravesande

et : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journalis...

2 V* a omis le mot comme, par saut du même au même .

 

21/08/2013

La terre a plus besoin d'être cultivée que d'être ensanglantée

... Evident ! me direz-vous ?

Pas pour tous .

Comme dans tout polar, cherchez à qui profite le crime . Le métier d'assassin, avec ou sans uniforme, semble ne pas connaitre le chomage, les balles sont plus faciles à planter au coeur de l'adversaire que les graines nourricières dans le sol qui porte indifféremment des tueurs (repus) et des affamés, des voleurs (aisés) et des peuples spoliés .

Les bonnes intentions ne suffisent pas à désarmer le monde, la folie meurtrière a encore de tristes jours pour s'exercer , même si ...

 http://www.journee-mondiale.com/197/journee-de-la-destruction-des-armes-legeres.htm

 récolte terre ensemencée.jpg

 

« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de SAXE-GOTHA

Aux Délices, 26 mai [1758]

Madame, le jour même où je reçus la lettre dont Votre Altesse sérénissime m'honora, j'exécutai ses ordres j'écrivis à Berne à un des principaux membres du conseil. On assembla incontinent la chambre des finances. Il se trouva, madame, que dans l'intervalle de ma première lettre et des ordres reçus d'elle en conséquence, la chambre des finances de Berne avait prêté à la ville de Bremen quatre-vingt mille écus qu'elle avait à placer. Votre Altesse sérénissime voit que toutes les affaires de ce monde tiennent à bien peu de chose. Quinze jours plus tôt, l'affaire aurait eu un succès aisé et prompt. Je vais me tourner du côté de Genève. L'État n'est pas riche, il s'en faut bien; mais les particuliers le sont. Il est vrai que ces particuliers ont, en huit jours de temps, placé quatre millions en rentes viagères à dix pour cent; cependant il y a encore des citoyens qui se croiraient heureux de confier leur argent à la chambre des finances de Vos Altesses sérénissimes.

Pour donner, madame, un plus plein éclaircissement de la manière dont les Genevois placent leur argent, je ferai d'abord observer que, dès qu'il y a un emprunt ouvert en rentes viagères en France, les pères de famille y placent leur bien, soit sur leur tête, soit sur celle de leurs enfants. Quand il n'y a point de tels emprunts, ils prêtent à Paris, à terme, à la caisse des fermiers généraux du royaume, et retirent actuellement six pour cent de leur argent mais, à la paix, ils n'en retireront que cinq.

Puisse-elle bientôt arriver, cette paix si désirable pour les peuples et même pour les princes . La guerre ruine les grands et les petits, pour enrichir ceux qui pillent les cours et les armées en les servant. L'Europe gémit, tandis que quelques entrepreneurs de vivres, ou de fourrages, ou d'hôpitaux, s'engraissent du malheur public.

On dit que l'armée qu'on appelle de l'empire est morte d'inanition et qu'il n'en reste rien, que la plupart des soldats sont retournés chez eux se faire laboureurs ou jardiniers . Je voudrais que tous les soldats du monde prissent ce parti. La terre a plus besoin d'être cultivée que d'être ensanglantée. Je fais toujours des vœux, madame, pour le territoire de la Thuringe. Si la félicité des peuples dépend des vertus des souverains, le pays de Gotha doit être le plus heureux de la terre.

Je prends la liberté de présenter mon profond respect à monseigneur le duc, et à toute votre auguste famille; je suis enchanté que la grande maîtresse des cœurs se porte bien ; je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime.

L'Ermite suisse. »

 



 

 

 

20/08/2013

Les hommes ne méritent certainement pas qu'on se livre à leur jugement, et qu'on fasse dépendre son bonheur de leur manière de penser

 ... Mais quelle est la femme désabusée qui parle ainsi ?

Voltaire, dites-vous , en qualité d'auteur !

Qu'ajouter ? Les ligues féministes pourraient bien utiliser cette phrase hors contexte pour stimuler leurs troupes, et je serais d'accord avec elles, pour une fois [sic] .

Si j'approuve la parole de femmes libres, je suis plus réticent pour écouter les discours issus de ligues souvent outrancières, caricaturales , en quête d'adhérent(e)s . Quelles puissent dire comme Volti "j'ai heureusement fini par fuir tous les esclavages possibles" suffit à mon bonheur . Vous m'entendez ?

 DSCF4073 entendez moi bien.JPG

 

 

« A Françoise-Paule d'Issembourg d'Happoncourt Huguet de Graffigny

Aux Délices ce 16 mai 1758

Je suis bien sensible, madame, à la marque de confiance que vous me donnez . Nous pouvons nous dire l'un à l'autre ce que nous pensons du public, de cette mer orageuse que tous les vents agitent et qui tantôt vous conduit au port, tantôt vous brise contre un écueil, de cette multitude qui juge au hasard de tout, qui élève une statue pour lui casser le nez et qui fait tout à tort et à travers , de ces voix discordantes qui crient hosanna le matin et crucifige 1 le soir , de ces gens qui font du bien et du mal sans savoir ce qu'ils font . Les hommes ne méritent certainement pas qu'on se livre à leur jugement, et qu'on fasse dépendre son bonheur de leur manière de penser . J'ai tâté de cet abominable esclavage et j'ai heureusement fini par fuir tous les esclavages possibles .

Quand j'ai quelques rogatons tragiques ou comiques dans mon portefeuille, je me garde de les envoyer à votre parterre, c'est mon vin du cru, je le bois avec mes amis . J'histrionne 2 pour mon plaisir sans avoir ni cabale à craindre, ni caprice à essuyer ; il faut vivre un peu pour soi, pour sa société, on est alors en paix ; qui se donne au monde est en guerre et pour faire la guerre, il faut qu'il y ait prodigieusement à gagner, sans quoi on la fait en dupe, ce qui est arrivé autrefois 3 à quelques puissances de ce monde .

Au reste les cabales n'empêcheront jamais que vous ne soyez regardé, madame, comme la personne du monde qui a l'esprit le plus aimable et le meilleur goût . Je n'ose vous prier de m'envoyer votre Grecque 4, mais je vous avoue pourtant que les lettres de la mère me donnent une grande envie de voir la fille .

Comptez, madame, sur la tendre et respectueuse amitié du Suisse

V. »

1 Crucifiez le .

2 Verbe passant pour avoir été inventé par V* ; voir lettre à Cideville du 3 mars 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/06/28/il-faut-toujours-qu-il-y-ait-en-france-quelque-maladie-epide.html

3 Les copies Beaumarchais et Bréquigny portent quelquefois pour autrefois .

4 La fille d'Aristide de Mme de Graffigny : Cette comédie en cinq actes, , fut jouée la première fois le 29 avril 1758 .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_de_Graffigny

et : http://books.google.fr/books?id=hFhbAAAAQAAJ&printsec...

 

19/08/2013

nous sommes des barbares, et vous autres, gens polis, vous donnez vite une belle charge d'avocat général au fils d'un banqueroutier frauduleux

... Car il est juste que l'argent aille à l'argent, comme le pouvoir du fils  transmis par le père ! Non ?

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL

Aux Délices, 15 mai [1758].

Je suis chargé, mon cher ange, de vous supplier encore de vouloir bien donner un petit coup d'aiguillon au rapporteur de MM. de Douglas. Je plains plus que jamais les plaideurs que les rapporteurs négligent. Il y a huit ans que Mme Denis et moi nous sommes très-négligés dans une affaire plus grave que celle de MM. de Douglas. Mon émerveillement dure toujours que le fils de Samuel 1, nous ait fait banqueroute, six mois après avoir pris notre argent, et qu'il ait trouvé le secret de fricasser huit millions, obscurément et sans plaisir. Votre premier président 2, son beau-frère, ne serait-il pas, entre nous, un peu engagé par son honneur et par celui de sa place à faire finir une affaire si odieuse? Le fils d'un banqueroutier, dans notre Suisse, ne peut jamais parvenir à aucun emploi, à moins d'avoir payé les dettes de son père mais c'est que nous sommes des barbares, et vous autres, gens polis, vous donnez vite une belle charge d'avocat général au fils d'un banqueroutier frauduleux. Cependant une partie de la succession entre dans les coffres du receveur des consignations, qui prend d'abord cinq pour cent par an pour garder l'argent, et qui gagne six pour cent à le faire valoir, le tout pendant vingt années.

Est-ce là faire droit? est-ce là comme on juge? 3

Pardon; je suis un peu en colère, parce que j'ai perdu environ le quart de mon bien en opérations de cette espèce mais je ne dois pas me plaindre devant celui dont les Anglais ont brûlé la maison.

Mon divin ange, je songe à une chose. Si Babet 4 vous procurait une ambassade ! Vous me direz que vous êtes trop honnête homme pour négocier mais il y a des honnêtes gens partout. Je voudrais que vous relevassiez M. de Chavigny 5. Comptez que tous nos Suisses seraient enchantés. Que sait-on ? Ce que je vous dis là n'est point si sot pensez-y.

Ma nièce Fontaine est à Lyon j'espère qu'elle m'apportera mes paperasses encyclopédiques. Savez-vous des nouvelles de cette Encyclopédie? Je les aime mieux que les nouvelles publiques, qui sont presque toujours affligeantes. Mille respects à tous les anges. Je baise toujours le bout de vos ailes.

Le Suisse V. »

1 Samuel Bernard : http://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_Bernard

Son fils banqueroutier est Samuel-Jacques Bernard : http://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel-Jacques_Bernard_%2816...

2 Mathieu-François de Molé était premier président de La Grand-Chambre depuis le 12 novembre 1757 .Il épousa en 1733 Bonne-Félicité Bernard, fille du financier Samuel Bernard .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mathieu-Fran%C3%A7ois_Mol%C3%A9

3 RACINE, Les Plaideurs, acte I, scène vii

4 L'abbé, comte de Bernis, ministre des affaires étrangères. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Joachim_de_Pierre_de_Bernis

5 Chavigny, ambassadeur de France en Suisse, résidait à Soleure, et ce fut lui que Voltaire alla y voir. Colini, qui parle de ce voyage dans ses Mémoires, n'en connut jamais le motif précis; il dit seulement que Voltaire, en allant à Soleure, devait avoir des vues bien importantes. On croit que Chavigny proposa à l'ancien ami de Frédéric de retourner à Potsdam pour y négocier secrètement: ce que Voltaire eut la prudence de refuser (voyez lettres 3180 et 3183). L'ermite des Délices fit un autre voyage à Soleure, comme le prouve la date de sa lettre du 19 août 1758, à l'abbé de Bernis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/08/19/mele-les-plaisanteries-aux-pensees-serieuses.html

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9odore_Chevignard_de_Chavigny