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23/03/2013

C'est cet amas de dogmes absurdes toujours expliqués et toujours contredits qui est encore le fléau du genre humain

 ... Que ce soit en politique, en matière de religions, en options financières et économiques, les dogmes montrent leurs limites mais on continue de les soutenir, d'en créer de nouveaux si besoin , et d'aller droit dans l'irrationnel et le chaos .

 Petite dédicace aux fans de Sarko qui hurlent à la manipulation, au coup monté, à l'injustice : "Où est donc cette haine et ce mépris public dont vous parlez ?", n'en seriez-vous pas les premiers auteurs ?

 

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Rassurez-vous : nascetur ridiculus mus , et vous retournerez à vos luttes intestines sereinement , n'est-ce pas Copé copain-clopant ?

 

 

 

« A monsieur le professeur Théodore TRONCHIN

à Genève

A Lausanne 15 janvier [1758]

Oui, sans doute il en faut une 1 mon cher ami et même il la faudrait meilleure que la vôtre , moins souillée d'une scolastique impertinente qui est l'arsenal des fripons et plus ornée d'augustes cérémonies qui imposent aux sots . Le sultan va tous les vendredis à la mosquée de Sophie entouré de solaks 2 et d'azamoglans 3. Mais jamais il n'y eut de sédition à Stamboul au sujet de la consubstantiabilité 4 de Mahomet . Depuis cinq mille ans que les Chinois existent en corps de peuple, la religion simple des lettrés n'a pas souffert la moindre altération et leurs annales ne font mention d'aucune querelle . Il n'en est pas ainsi chez vous autres misérables qui avez changé  presque chaque année depuis dix-sept-cent-cinquante-sept ans et qui êtes divisés en autant de sectes absurdes que la partie du globe où vous rampez a de provinces .

Les hommes dites-vous sont pour la plupart des coquins et des bêtes . Vous ne voudriez pas les rencontrer dans un bois et moi je ne voudrais pas les rencontrer dans un temple après les assassinats de Jean Hus, de Dubourg, de Servet, d'Antoine et de Barneveldt, après leurs autodafés et leurs Saint Barthélémy .

Ce sont pourtant des disputes puériles qui ont fait couler ces torrents de sang et qui troublent encore la terre . C'est cet amas de dogmes absurdes toujours expliqués et toujours contredits qui est encore le fléau du genre humain . Les scélérats de la populace et les princes disent qu'il n'y a point de religion parce que leurs bonzes prêchent une religion ridicule 5. Ils ne tireraient point cette conclusion funeste si les bonzes se contentaient de crier qu'il y a un dieu rémunérateur et vengeur 6. Quel est l'homme qui oserait s'élever contre un dogme si naturel, si saint et si utile ? M. d'Alembert a le courage de vous dire que vous approchez de ce culte simple et divin et vous auriez la lâcheté de lui en savoir mauvais gré messieurs ! et cela de peur qu'il ne vienne quatre Anglais de moins par an monter de mauvais chevaux de votre académie 7! Et moi je vous dis qu'il en viendra davantage puisque tout le parlement d'Angleterre pense comme vous . Le duc de Savoie viendra-t-il vous assiéger parce que vous serez du sentiment de Sabellius, d'Eusèbe et d'Origène ? Craignez-vous votre peuple ? La plus saine partie embrasse votre opinion . Oui mon cher ami il se fait une révolution dans les esprits et à Berne , à Lausanne les plus éclairés disent ce que M. d'Alembert vous fait l'honneur de vous attribuer . Où est donc cette haine et ce mépris public dont vous parlez ? Quelques bœufs de Hollande , quelques prédicants d'un peuple qui foule aux pieds le crucifix quand il va vendre du gérofle au Japon, ne flétriront pas la réputation d’une ville de gens d'esprit et d'honnêtes gens .

Il faut partir d'où l'on est et ne se point faire d'illusion . Tout le monde sait la manière dont vous pensez à Genève . Ce père Maire 8 que vous avez eu la bonté de guérir en parlait souvent . Tous vos ministres chez qui je n'ai jamais mangé et chez qui d'Alembert dinait tous les jours se sont expliqués hautement avec lui . S'ils désavouent leur croyance c'est alors qu'ils seront couverts du mépris public et M. d'Alembert ne se taira pas dans Paris .

S'il est vrai qu'on ait proposé de se plaindre au ministère de France on a eu certainement l'idée la plus ridicule et la plus dangereuse qui pût tomber dans des têtes égarées .

Je puis vous répondre qu'un homme comme M. de Bernis ne prendra pas leur parti et si les choses s'aigrissaient je crois savoir de bon lieu qu'on s'élèverait contre une certaine contrebande et un certain manège de contrefaçon qui est bien d'une autre importance pour le gouvernement de France que la profession de foi des hérétiques .

Je vous parle à cœur ouvert parce que je connais votre probité . Je vous ouvre mon cœur . Vos prêtres feront ce qu'ils voudront mais il est de votre intérêt de conserver votre crédit sur eux en les empêchant de faire des sottises . Gagnez du temps je vous en conjure . Le temps est le maître de tout .

J'aurais plus que personne le droit de me plaindre de M. d'Alembert . Il a renouvelé dans son article cette lettre écrite à Thieriot qui m'attira des libelles diffamatoires de la part de vos ministres de paix , lettre que je n'ai jamais écrite telle qu'elle a été imprimée, lettre que je désavoue, monument du Mercure galant 9 qui ne devait pas être cité dans l'Encyclopédie . Mais je suis loin de me plaindre de M. d'Alembert et même de vos prêtres qui m'ont insulté d'une manière si lâche et si odieuse . Il est vrai que je n'ai pas lu leurs libelles et que j'ai lu l'article Genève avec un grand plaisir .

Je sais que quelques-uns de vos prêtres font courir le bruit dans les rues basses que j'ai part à l'article Genève dans lequel je suis loué . Je ne mérite certainement pas ce ridicule . Mais vous voyez que je leur rends le bien pour le mal puisque je vous supplie d'empêcher qu'ils se déshonorent . Je ne m'ouvre qu'à vous ; je me tais avec tout le monde et je dois me flatter que rien ne troublera la tranquillité du peu de jours qui me restent à vivre .

Comptez que tant que je vivrai vous n'aurez jamais de plus zélé partisan et d'ami plus tendrement attaché que moi .

N.B. Il y a des ministres qui disent , qui écrivent qu'à une ou deux lignes près on ne doit que des remerciements à M. d'Alembert . Pourquoi donc tout ce bruit ? Nascetur ridiculus mus10. Pardon, j'ai voulu vous dire une fois tout ce que j'ai sur le cœur . Je suis bien malingre et je prends encore cet état patiemment . »

1 Une religion .

2 V* écrit dans l'Histoire de Charles XII roi de Suède : « Le grand seigneur va tous les vendredis à la mosquée entouré de ses solaks, espèce de gardes dont les turbans sont ornés de plumes si hautes qu'elles dérobent le sultan à la vue du peuple. »

3 Selon le Littré : « dans le sérail, enfant chargé des fonctions les plus basses et les plus pénibles. »

4 Ce terme ainsi orthographié est retrouvé dans la lettre à d'Argental du 5 février 1758 : page 388 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f391.image

5 Il semble que V* ait d'abord écrit absurde qui figure deux fois déjà dans cette lettre .

6 Sur cette formulation du déisme ou théisme, voir les Notebooks, I, 71 et références complémentaires ; voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9isme

7 Il s'agit de l'école d'équitation de Pierre-Adolphe d'Hervilly de Malapert très fréquentée par les étrangers .

9 Terme moqueur employé par V* pour le Mercure de France .

10 Il naitra une souris ridicule ; Horace, Art poétique ; équivalent du proverbe : la montagne accouche d'une souris et la fable de La Fontaine : http://www.eternels-eclairs.fr/jean-de-la-fontaine-les-fables-livre-V.php#La+Montagne+qui+accouche

 

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