Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/04/2015

je vous écris encore. Les gens qui aiment sont insupportables.

... Persiste et signe .

Aimer Voltaire et Mam'zelle Wagnière est un bien dont je ne peux me passer . Aussi, mon philosophe préféré sera encore et toujours votre/notre compagnon de route bloggueuse .

 

DSCF8490 insupportables.png

 Insupportables !

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL

conseiller d'honneur du parlement

envoyé de Parme

rue de la Sourdière

à Paris
30 avril [1760].
O anges ! je mets tout sous vos ailes, tout retombera sur vous. Le nœud est bien mince ; Tamire est bien peu de chose. Madame, je suis son mari 1 . Eh! Nicodème, que ne le disais-tu plus tôt?
M. le duc de Choiseul semble avoir senti cela comme je le sens; il m'a écrit une lettre charmante 2. Mon divin ange, il paraît qu'il vous aime comme vous méritez d'être aimé. Dites-moi, en conscience, aurons-nous la paix ? Vous la voulez ; mais veut-on vous la donner ? est-ce tout de bon ? J'ai plus besoin de la paix que des sifflets. J'aime mieux les Chevaliers 3 que Ramire. Il n'y a que deux coups de rabot à donner aux Chevaliers, mais il manque à tout cela un peu de force. Je baisse, je baisse, je fonds; j'ai acquis de la gaieté, et j'ai perdu du robuste. Vous vous moquez de moi ; on peut faire quelque chose de Hurtaud. Ce petit drôle-là n'a mis que quinze jours à son œuvre 4. Nous allons jouer sur notre théâtre de Tournay, mais je ne peux plus même faire les pères; j'ai cédé mes rôles; je suis spectateur bénévole.
Mon cher ange, je deviens bien vieux; j'ai, je crois, cinq ou six ans plus que vous 5. Le temps va d'un tel pas qu'on a peine à le suivre.6
Je voudrais bien savoir si le chevalier d'Aydie, autre philosophe campagnard de mon âge, est à Paris, comme on me l'a mandé ; serait-il assez lâche pour se démentir à ce point ? au moins je me flatte que c'est pour peu de temps. Vous avez dû recevoir vingt pages 7 de moi l'ordinaire dernier, et je vous écris encore. Les gens qui aiment sont insupportables.

V. »

1 Parodie de ce que Ramire dit à Zulime, dans la tragédie qui porte ce titre, acte V, scène III, v. 61 :

« Madame, ainsi le veut la fortune jalouse,

Vengez-vous sur moi seul, Atide est mon épouse » .

Ces deux répliques résument le sujet de Zulime .

2 Lettre datée du 22 avril 1760, très drôle : « A Versailles, ce 22 avril [1760].

La lettre que vous me confiez datée de Frieberg du 25 mars [Ou plutôt du 26 ], mon cher solitaire me paraît d'autant plus extraordinaire que j'en ai vu une du même personnage et à peu près du même temps, qui n'avait pas le ton si fier . Quoi qu'il en soit, je vous prie d'assurer le roi de Prusse que je suis son humble serviteur, que je respecte profondément sa dignité de roi, mais qu'hors la personne de mon maître que j'aime, je ne me soucie pas plus des autres rois de la terre que des charriers de Touquin [Charretiers . Touquin est une petite ville de Seine et Marne . Choiseul a pu écrire aussi Tonquin .] , même de ceux de Berlin , s'il en reste dans ce petit et malheureux pays . Vous ajouterez à Sa Majesté prussienne, et je vous demande en grâce que je lui défie de jouer un tour approuvé des honnêtes gens à un ministre qui quitterait sa place avec le plus grand plaisir du monde, qui croit que la paix est un bien nécessaire et qui voudrait au prix de son sang la procurer, qui sert un maître qui ne veut pas acquérir un pouce de terrain sur le continent et qui consentira pour la tranquillité de son royaume de payer dans les autres parties du monde parce qu'il a été battu . Vous pouvez ajouter que je jure de bonne foi que je n'ai nulle ambition, mais en revanche j'aime mon plaisir à la folie,je suis riche ; j'ai une très belle et très commode maison à Paris ; ma femme a beaucoup d'esprit [Honorine Crozat du Chatel, aimable, dévote et vertueuse ] ; ce qui est fort extraordinaire elle ne me fait pas cocu ; ma famille et ma société me sont agréables infiniment ; j'aime à faire enrager d'Argental, à boire et à dire des folies jusqu'à 4 heures du matin avec M. de Richelieu . On a dit que j'avais des maîtresses passables , je les trouve, moi, délicieuses ; dites-moi , je vous prie,quand les soldats du roi de Prusse auraient douze pieds, ce que leur maitre peut faire à tout cela ; je ne lui connais que deux tours à me jouer, celui de me faire jeter un sort pour que je sois impuissant (si je m'en doute, j’irai à la messe de paroisse où, au prône,l'on exorcise les maléfices ) ou bien me faire ordonner par un article de la paix de lire une deuxième fois les Œuvres du philosophe de Sans Souci, sans goût, sans vers, etc., hors ceux qui sont pillés . Je vous avoue que véritablement ce serait un tour car je n'ai jamais rien lu de si ennuyeux . Au reste, votre réponse à la lettre de Luc est charmante,[Lettre du 15 avril 1760 au roi de Prusse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/14/eh-qui-etes-vous-donc-vous-autres-maitres-de-la-terre-5603105.html] excepté ce que vous dites de moi, qui n'est pas juste et que je ne mérite point . Je crois qu'il n'y a pas de mal que vous continuiez le commerce ; nous aurons le plaisir de voir de temps en temps comment un roi chante dans la rue des impertinences quand il a peur ; mais prenez garde de ne rien mettre dans vos lettres qui puisse être communiqué ; car j'ai des certitudes physiques que cet honnête homme de Luc fait une gazette des des confidences les plus intimes qu'il cherche à se procurer . Il faut prendre son parti ; nous n’embellirons pas ce naturel pervers ; mais s'il aboie, morde ou lèche, il faut suivre son système, faire le bien et même le sien dès que l’occasion s'en présentera, sans humeur de notre part, mais avec honneur . Mme de Pompadour vous aime de tout son cœur, elle le dit sans cesse ; je suis cause qu'elle ne vous a pas répondu parce que j'ai oublié de lui rendre la lettre que vous lui avez écrite , à laquelle je m'étais chargé de vous répondre que l'on ne pouvait pas faire ce que vous désiriez pour M. de Langallerie par cent mille raisons [On n'a pas la lettre par laquelle V* demande cette faveur pour son protégé sur le marquis de langallerie ; voir la lettre du 27 février 1757 à Jacob Vernes , et celle du 5 avril 1760 à d'Hermenches : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/04/04/il-y-a-de-grands-hommes-qui-se-consolent-de-la-perte-de-leur-5596743.html] . On n'a pas encore épuisé la classe des fils de blessés à l’École militaire, M.M. de Langallerie ne pourront y entrer de vingt ans d'ici ; le père et la mère ne peuvent pas être reçus en France comme regnicoles [Comme citoyens de ce pays .], dont je suis bien fâché . L'on m'a montré une Médime [Zulime-Fanime.] dont je suis enchanté ; j'aime mieux cette femme que toutes celles que j'ai aimées ; la chère épouse du héros n'est pas mal, mais le mari, Dieu me pardonne, il est un peu trop blafard . En tout les deux premiers actes, et le cinquième m'enchantent ; les deux autres seront bien au milieu . J'ai vu aussi deux chants de La Pucelle ; je les ai trouvés si jolis que je les viens de prêter à ma femme . Allons je perds mon temps à bavarder avec vous ; l'écriture et la mauvaise diction de cette lettre vous mettront à la torture . Mon amitié tendre et véritable pour vous obtiendra mon pardon . »

3 Tancrède.

4 Le Droit du seigneur .

5 Ou six est ajouté au dessus de la ligne .D'Argental était né le 20 décembre 1700.

6 « Vous allez d'un tel pas qu'on a peine à vous suivre « : Tartuffe, acte I, scène 1.

 

 

Les commentaires sont fermés.