31/01/2016
J'ai une pension du roi, je rougirais de la recevoir tant qu'il y aura des officiers qui souffriront .
... Le jour où j'entendrai un quelconque ancien président de la république dire cela, les arbres à billets de banque pousseront partout et les poules auront des dents . Point de roi chez nous, mais une foule de contribuables qui nourrissent au delà du raisonnable des profiteurs comme il en est peu .
« A Etienne-Noël Damilaville
et à
Nicols-Claude Thieriot
Au château de Ferney par Genève
31è janvier 1761
Je reçois des lettres bien aimables de monsieur Damilaville et de monsieur Thieriot ; j'en avais grand besoin, car mes contemporains meurent de tous côtés, et je me porte assez mal . Cependant l’Épître à Mlle Clairon sera envoyée à mes amis probablement par la poste prochaine, après quoi j'aurai grand soin de tout ce qu'ils me recommandent; il faut mourir au lit d'honneur . Je suis très fâché que les impies aient rayé de ma pancarte 1, le culte et les exercices de religion, parce que je remplis tous ces devoirs avec la lus grande exactitude ; on ne devait pas non plus mettre dans les terres, au lieu de mes terres, parce que je ne suis pas obligé d'aller à la messe dans les terres d'autrui, mais je suis obligé d'y aller dans les miennes . Mes amis verront la preuve de ce que je prends la liberté de leur représenter, dans ma lettre à M. le marquis Albergati .2
La nécessité de remplir tous les devoirs de la religion chez moi, m'est d'autant plus sévèrement imposée, que je suis comptable de l'éducation que je donne à Mlle Corneille ; j'ai lu malheureusement la page 164 de Fréron dans laquelle il dit que je fais élever Mlle Corneille , au sortir du couvent, par un bateleur de foire, que je traite en frère depuis un an, et que Mlle Corneille aura une plaisante éducation 3. Ces lignes diffamatoires sont d'autant plus punissables, qu'elles outragent personnellement Mlle Corneille, et surtout Mme Denis ma nièce, qui l'élève comme sa fille . Mes amis, et le public, sentiront aisément que Mlle Corneille étant chez moi, ne peut jamais trouver un mari que par la conduite la plus irréprochable . Fréron la perd sans ressource en avançant faussement que je la fais élever par L’Écluse . Il est très faux que L’Écluse soit chez moi ; il y a environ six mois qu'il exerce sa profession de chirurgien-dentiste à Genève , et qu'il n'est sorti de cette ville . Mme Denis qui l'avait mandé il y a environ huit mois, pour lui accommoder les dents, ne l'a pas revu deux fois depuis ce temps-là ; il travaille sans relâche à Genève, et y rend de très grands services .
Il est très permis au nommé Fréron de critiquer tant qu'il voudra des vers et de la prose ; mais il ne lui est permis, ni d'attaquer une dame veuve d’un gentilhomme mort au service du roi ni une demoiselle , alliée aux plus grands maisons du royaume et qui porte un nom plus grand que ses alliances ; ni même le sieur L’Écluse, qui peut avoir joué autrefois la comédie, mais qui est chirurgien du roi de Pologne et auquel le reproche d'avoir été acteur, peut faire un très grand tort dans sa profession . Ces trois diffamations réunies forment un corps de délit, dont il est nécessaire de demander justice au lieutenant-criminel . Le père de Mlle Corneille outragée, doit agir en son nom, sans aucun délai . Si on m'avait envoyé plus tôt cette feuille infâme, le procès serait déjà commencé .
J'écris en conformité à M. d'Argental, à M. Titon du Tillet, et à M. Le Brun . Je supplie instamment monsieur Damilaville, monsieur Thieriot, et tous les honnêtes gens d'encourager le bonhomme Corneille à poursuivre sans délai cette affaire ; je me charge de tous les frais . J'ai d'ailleurs écrit à monsieur le chancelier, à Mme de Pompadour, à M. le duc de Choiseul, et au roi de Pologne 4. La poste va partir . Je n'ai que le temps d'ajouter à ma lettre que je persiste toujours dans mon opinion sur les finances . Il y a eu beaucoup de dissipation et de brigandage, je l'avoue, mais quand on a contre les Anglais une guerre si funeste, il faut, ou que toute la nation combatte, ou que la moitié de la nation s'épuise à payer la moitié qui verse son sang pour elle . J'ai une pension du roi, je rougirais de la recevoir tant qu'il y aura des officiers qui souffriront .
Je suis pénétré de la plus tendre reconnaissance pour toutes les bontés assidues de monsieur Damilaville et de monsieur Thieriot .
Plura alias 5.
V. »
1 C'est l'Avis vu précédemment .
2 Voir lettre du 23 décembre 1760 à Albergati Capacelli : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/12/23/je-pardonne-de-tout-mon-coeur-a-tous-ceux-dont-je-me-suis-mo-5737506.html
3 Cette citation n'est pas textuelle et fausse même gravement le ton du passage incriminé . V* est plus qu'agacé par Fréron et se permet de substituer dans l’esprit du public sa version des faits, art dans lequel il est parfois malheureusement versé .
4 Parmi ces lettres, seule a première signée de Mme Denis (voir lettre du 30 janvier 1761 à Le Brun : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/31/m... ) nous est parvenue . Depuis Si on m'avait envoyé... un passage de neuf lignes supprimé sur l’édition de Kehl manque aussi sur toutes les édition suivantes .
5Le reste une autre fois .
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