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05/05/2016

il ne faut écrire que ce qui est digne de la postérité, et qu'il faut laisser les petits détails aux petits faiseurs d'anecdotes

... Ce qui nous amènera à envoyer au pilon 99,9% de la production littéraire, dont les élucubrations d'hommes/femmes politiques fournissent l'essentiel détestable .

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« A Ivan Ivanovitch Schouvalov 1

Monsieur, votre très aimable M . de Soltikof vient de me régaler d'un gros paquet dont Votre Excellence m'honore . Il contient les estampes d'un grand homme 2, quelques lettres de lui, et une de vous monsieur qui m'est aussi précieuse pour le moins que tout le reste . Mon premier devoir est de vous faire mes remerciements et de vous assurer que je me conformerai à toutes vos intentions . Je bâtis pour vous la maison dont vous m'avez fourni les matériaux, il est juste que vous y soyez logé à votre aise .

Je crois avoir déjà rempli une partie de vos vues en déclarant que je ne prétendais point faire l'histoire secrète de Pierre le Grand, et en trompant ainsi la malignité de ceux qui haïssent la gloire et celle de votre Empire .

Je sais bien que dans les commencements je ne pourrai pas faire taire l’envie, mais si l'ouvrage est écrit de manière à intéresser les lecteurs le livre reste et les critiques s’évanouissent .

C'est ce qui est arrivé à l'Histoire de Charles XII longtemps combattue et enfin reconnue pour véritable . Le certificat du roi Stanislas ne porte que sur les faits militaires et politiques, ce certificat est déjà une grande présomption en faveur de la vérité avec laquelle j'écris l'histoire de votre auguste législateur, et des preuves plus fortes se tireront des mémoires que Votre Excellence daignera me communiquer 3.

Je n'ai pris dans les mémoires de M. de Bassevits et dans ceux que je me suis procurés que ce qui peut contribuer à la gloire de votre patrie, et à celle de l'empereur Pierre Ier . J'abandonne le reste à la malignité de vos ennemis et des miens .

M. le duc de Choiseul et tous nos meilleurs juges ont trouvé que j'ai fait voir assez heureusement dans ma préface qu'il ne faut écrire que ce qui est digne de la postérité, et qu'il faut laisser les petits détails aux petits faiseurs d'anecdotes . Ce sera à vous monsieur à me prescrire l'usage que je devrai faire des particularités que les mémoires manuscrits de M. de Bassevits m'ont fournis . J'aurai l'honneur de vous envoyer cahier par cahier , ce que j'aurai fait du second . Ensuite je réformerai ce qui doit l'être dans le premier, et on mettra ce que vous avez bien voulu m'envoyer d'estampes à la tête de ce premier volume . Encore une fois monsieur je ne suis que votre secrétaire . Il est bien vrai que vous avez choisi un secrétaire trop vieux et trop malade, mais il vous consacre avec joie le peu de temps qu'il lui reste à vivre . J'admirais Pierre Ier en bien des choses, et vous me l'avez fait aimer . Le bien que vous faites aux lettres dans votre patrie me la rend chère . Quelqu'un a fait Le Russe à Paris . Je me regarde comme un Français en Russie .

Disposez d'un homme qui sera, tant qu'il respirera, avec l'attachement le plus vrai et les sentiments les plus remplis de respect et d'estime,

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire .

A Ferney 8 juin 1761 . »

 

1 Manuscrit olographe, minute olographe dont le texte est assez différent de celui de la lettre envoyée pour que Besterman le donne ; l'édition de Kehl et suivantes omettent la formule depuis Monsieur ...

2 « […] 260 empreintes du portrait qui doit présenter à la postérité les traits du héros » écrivait Schouvalov à V* le 29 avril [10 mai n.s.]

3 « […] je ne dois pas vous faire mystère de quelques réflexions critiques de plusieurs personnes tant d' ici que de dehors . On est surpris i) de ce qu'au lieu de mettre votre nom à la tête de l'ouvrage, vous ne vous êtes désigné que par l'auteur de l’Histoire de Charles XII . 2) Que vous citiez la lettre du rois Stanislas qui a dû :

pardonner à la nécessité

Un reste de vengeance et de sévérité .[Zaïre, acte I, sc. 4…]

On est surpris dis-je que vous citiez cette lettre comme pour apposer le sceau de la vérité à ce qui est de préjudiciable à la gloire de Pierre Ier, dans l'Histoire de Charles XII, qui n'est liée avec celle-ci, que par les évènements de la guerre . Voilà les traits, monsieur, par lesquels on tâche d'envenimer ma joie et de me faire du tort . » Ibid.

 

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