27/05/2017
Je pense qu’il faut frapper à toutes les portes, et tenter tous les moyens qui pourraient s’entr’aider, sans pouvoir s’entre-nuire.
... Ce qui vaut pour les particuliers vaut pour les pays, ce serait beau que cette pensée voltairienne prenne vie , s'entraider plutôt que s'entre-nuire ; ça vaut bien toutes les homélies du monde et diktats religieux qui ne tiennent pas plus que le temps d'un jeûne rituel .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet , comtesse d'Argental
8 juillet 1762
Nous ne pouvons, dans notre éloignement de Paris, que procurer des protections à cette famille infortunée . C’est à messieurs les avocats, soit du conseil, soit du parlement, à régler la forme. Les pièces originales imprimées intéressent quiconque les a lues ; tout le monde plaint la veuve Calas ; le cri public s’élève, ce cri peut frapper les oreilles du roi. J’ignore si cette affaire sera portée au conseil privé ou au conseil des parties : tout ce que je sais, c’est qu’elle est juste.
On m’assure que le parlement de Toulouse ne veut pas seulement communiquer l’énoncé de l’arrêt.
Il me paraît qu’on peut commencer par présenter requête pour obtenir la communication de cet arrêt et des motifs : il y a cent exemples que le roi s’est fait rendre compte d’affaires bien moins intéressantes. N’avons-nous pas des raisons assez fortes pour demander et pour obtenir que les pièces soient communiquées par ordre de la cour ? La contradiction évidente des deux jugements, dont l’un condamne à la roue un accusé et dont l’autre met hors de cour des complices qui n’ont point quitté cet accusé ; le bannissement du fils, et sa détention dans un couvent de Toulouse après ce bannissement ; l’impossibilité physique qu’un vieillard de soixante-huit ans ait étranglé seul un jeune homme de vingt huit ans ; enfin l’esprit de parti qui domine dans Toulouse ; tout cela ne forme t-il pas des présomptions assez fortes pour forcer le conseil du roi à se faire représenter l’arrêt ?
Je demande encore si un fils de l’infortuné Jean Calas, qui est en France, retiré dans un village de Bourgogne, ne peut pas se joindre à sa mère, et envoyer une procuration quand il s’agira de présenter requête ? Ce jeune homme, il est vrai, n’était point à Toulouse dans le temps de cette horrible catastrophe ; mais il a le même intérêt que sa mère et leurs noms réunis ne peuvent-il pas faire un grand effet ?
Plus je réfléchis sur le jugement de Toulouse, moins je le comprends . Je ne vois aucun temps dans lequel le crime prétendu puisse avoir été commis ; je ne crois pas qu’il y ait jamais eu de condamnation plus horrible et plus absurde, et je pense qu’il suffit d’être homme pour prendre le parti de l’innocence cruellement opprimée. J’attends tout de la bonté et des lumières de ceux qui protègent la veuve Calas.
Il est certain qu’elle ne quitta pas son mari d’un moment dans le temps qu’on suppose que son mari commettait un parricide. Si son mari eût été coupable, elle aurait donc été complice . Or, comment ayant été complice ferait-elle deux cents lieues pour venir demander qu’on revît le procès, et qu’on la condamnât à la mort ? Tout cela fait saigner le cœur et lever les épaules. Toute cette aventure est une complication d’évènements incroyables, de démence, et de cruauté. Je suis témoin qu’elle nous rend odieux dans les pays étrangers, et je suis sûr qu’on bénira la justice du roi, s’il daigne ordonner que la vérité paraisse.
On a écrit à M. le premier président de Nicolaï, à M. le premier président d’Auriac 1, qui tous deux ont un grand crédit sur l’esprit de M. le chancelier . Madame la duchesse d’Anville, M. le maréchal de Richelieu, M. le duc de Villars, doivent avoir écrit à M. de Saint-Florentin. On a écrit à M. de Chaban, en qui M. de Saint-Florentin a beaucoup de confiance ; et M. Tronchin, le fermier-général, peut tout auprès de M. de Chaban.
Donat Calas, retiré en Bourgogne a, de son côté, pris la liberté d’écrire à M. le chancelier, et a envoyé une requête au conseil ; le tout a été adressé à M. Héron, premier commis du conseil, qui fera rendre ces pièces,2 selon qu’il trouvera la chose convenable. Je vous en envoie une copie, parce qu’il me paraît nécessaire que vous soyez informés de tout.
J’ai écrit aussi à M. Ménard, premier commis de M. de Saint-Florentin . Je pense qu’il faut frapper à toutes les portes, et tenter tous les moyens qui pourraient s’entr’aider, sans pouvoir s’entre-nuire.
Depuis ce mémoire écrit, j’ai reçu une lettre de M. Mariette, avocat au conseil, qui a vu la pauvre Calas, et qui dit ne pouvoir rien sans un extrait des pièces. Mais quoi donc ! ne pourra-t-on demander justice sans avoir les armes que nos ennemis nous refusent ? on pourra donc verser le sang innocent impunément, et en être quitte pour dire , je ne veux pas dire pourquoi on l’a versé ? Ah ! quelle horreur ! y aurait-il dans un monde une tyrannie pareille ? et les organes des lois sont-ils faits pour être des Busiris ?3
Voici une lettre 4 que j’écris à M. Mariette ; j’y joins un exemplaire des pièces originales, ne sachant point s’il les a vues. Je supplie monsieur et madame d’Argental, nos protecteurs, de vouloir bien ajouter à toutes leurs bontés celle de vouloir bien faire rendre cette lettre et ces pièces à M. Mariette. Ils peuvent, je crois, se servir de l’enveloppe de M. de Courteilles.
Je leur présente mes respects.
V.»
1 Guillaume Castanier d'Auriac . Voir : http://louisxivaujourlejour.blogs.midilibre.com/archive/2...
et : http://fenouilledes.fr/tag/guillaume-castanier-dauriac/
et : http://www.worldcat.org/search?q=au%3ACASTANIER+D%27AURIA...
2 Le manuscrit olographe s'arrête ici ; la suite du texte est prise d'une copie ancienne qui a servi pour l'édition.
3 Busiris est un roi légendaire d’Égypte qui sacrifiait les étrangers qui abondaient dans ses terres, surtout s'ils étaient roux ; sur le point d'être à son tour égorgé, Hercule se libéra de ses liens et libéra la terre de ce roi .
4 Voir lettre du même jour à Pierre Mariette , avocat au conseil et page 29 : https://books.google.fr/books?id=xiq1TZbvhW4C&pg=PA29...
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