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01/07/2017

la crainte d'une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir

... Qu'on se le dise !

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« A Étienne-Noël Damilaville

[5è août 1762] 1

Est-il bien vrai que l'archevêque de Paris ait puni le curé de Saint-Jean-de Latran d'avoir prié Dieu pour les trépassés ? Il ne se contente donc pas d'avoir persécuté les mourants, il en veut encore aux morts ! Mais il paraît qu'il se brouille toujours avec les vivants 2.

On ne voit pas en quoi a péché ce pauvre curé quand il a fait un service pour l'âme poétique de M. de Crébillon . En effet, quoique cet auteur ait traité le sujet d'Atrée, il était chrétien, et son Rhadamiste durera peut-être aussi longtemps que les mandements de monsieur l'archevêque ; si le curé a été suspendu pour avoir fait ce service aux dépens des comédiens du roi, le service n'est-il pas toujours fort bon, et l'argent des comédiens n'a-t-il pas de cours ?

Il faudrait donc excommunier monsieur l'archevêque pour recevoir tous les ans environ cent mille écus que lui fournissent les spectacles de Paris et qui sont le plus fort revenu de l'Hôtel-Dieu . L'abbé Grizel, qui sait ce que vaut l'argent, et à quoi il faut l'employer , vous dira que le prélat risque beaucoup ; car si les comédiens fermaient leurs spectacles ; l’Église serait privée d'un secours considérable .

Il est vrai qu'on peut persuader aux comédiens de continuer toujours à jouer, malgré la persécution, parce que la crainte d'une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir 3. Mais cette proposition ayant été condamnée par les frères jésuites, et par le pape, il se pourrait bien faire qu'on manquât de spectacles à Paris, dans la crainte d'être excommunié par l'archevêque .

Si un Turc vient dans cette ville, comme en effet un fils circoncis 4 de M. le bacha de Bonneval y viendra dans quelque temps, s'il fait célébrer un service pour l'âme de 5 quelque chrétien de sa maison, son argent sera reçu sans difficulté ; et tandis qu'il criera Allah Allah, on chantera des De profundis .

Pourquoi traiter les comédiens plus mal que les Turcs 6? ils sont baptisés, ils n’ont point renoncé à leur baptême . Leur sort est bien à plaindre, ils sont gagés par le roi et excommuniés par les curés ; le roi leur ordonne de jouer tous les jours, et le rituel de Paris le leur défend ; s'ils ne jouent pas, on les met en prison ; s'ils font leur devoir, on les jette à la voirie . Ils sont défendus dans l'ordre des lois, dans l’ordre des mœurs, dans l'ordre des raisonnements par Huern de l’ordre des avocats, et ils sont condamnés par l'avocat Dains . On les traite chrétiennement 7 pendant leur vie, et à leur mort, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, tandis qu'à Paris où ils réussissent le mieux, on cherchera à les couvrir d'opprobre, tout le monde veut entrer pour rien chez eux, et on leur ferme la porte du paradis . On se fait un plaisir de vivre avec eux, et on ne veut pas y être enterré ; nous les admettons à nos tables, et nous leur fermons nos cimetières . Il faut avouer que nous sommes des gens bien raisonnables et bien conséquents !8

Mon cher frère 9, vous nous faites espérer qu'on pourra enfin demander justice pour les Calas . Il est plaisant qu'il faille s'adresser à l'abbé Chauvelin pour imprimer en sureté une lettre de Donat Calas . Votre zèle et votre prudence n'ont rien négligé . Nous vous avons, mon cher frère, plus d'obligation qu'à personne .

Est-il possible qu'il soit si aisé d'être roué et si difficile d'obtenir la permission de s'en plaindre ! »

1 Le texte de cette lettre se présente différemment selon qu'on se réfère à un original (ou copie) de la main de Wagnière, suivi en gros par l'édition de Kehl, ou à la copie Beaumarchais-Kehl ou à une autre copie ancienne proche de celle-ci qui semble avoir servi à l'établissement non de l'édition de Kehl , mais de la Correspondance littéraire . C'est le premier qu'on trouvera ci-après . Les variantes du second seront désignées par le sigle BK (copie Beaumarchais-Kehl) . La date est portée sur le manuscrit 1 par d'Argental . On peut penser que les éditeurs de Kehl, après avoir établi leur copie, peut-être d'après un brouillon, auront trouvé la lettre réellement envoyée .

2 Ce membre de phrase, depuis mais il paraît, est remplacé dans BK par : Il me paraît bien injuste de refuser des De profundis à Crébillon, tandis que toutes ses pièces en méritent, hors Rhadamiste.

3 Ceci est une des thèses jansénistes condamnées par la bulle Unigenitus.

4 Le fils de Bonneval aurait été comte de Latour s'il n'était devenu Soliman Aga .

5 l'âme manque dans BK .

6 Dans le Pot pourri, chapitre V, on réclame au contraire des mosquées pour les Turcs .

7 BK ajoute même .

8 BK ajoute ces mots qui paraissent nécessaires : Qu'on ait mis ou non le curé de Saint-Jean-de-Latran au séminaire, en tout cas voici ce qu'un tolérant écrit sur cette matière . C'est ici la fin du manuscrit 1, manuscrit 3 et Correspondance littéraire .

9 Ces trois mots sont supprimés dans BK, qui remplace enfin par au moins à la ligne suivante .

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