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29/09/2018

Le comble de la douleur, à mon gré, est d’être terrassé par des ennemis absurdes.

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« A Claude-Adrien Helvétius

à 1

4è octobre 1763

Mon frère, le hasard m’a remis sous les yeux le décret de la Sorbonne, et le réquisitoire de maître Omer 2. Je vous exhorte à les relire, pour vous exciter à la vengeance en regardant votre ennemi. Je ne crois pas qu’on ait entassé jamais plus d’absurdités et plus d’insolences, et je vous avoue que je ne conçois pas comment vous laissez triompher l’hydre qui vous a déchiré. Le comble de la douleur, à mon gré, est d’être terrassé par des ennemis absurdes. Comment n’employez-vous pas tous les moments de votre vie à venger le genre humain, en vous vengeant ? Vous vous trahissez vous-même, en n’employant pas votre loisir à faire connaître la vérité. Il y a une belle histoire à faire ; c’est celle des contradictions 3. Cette idée m’est venue en lisant l’impertinent décret de la Sorbonne. Il commence par condamner cette vérité que toutes les idées nous viennent par les sens, qu’elle avait adoptée autrefois, non parce qu’elle était vérité, mais parce qu’elle était ancienne. Ces marauds ont traité la philosophie comme ils traitèrent Henri IV, et comme ils ont traité la bulle, que tantôt ils ont reçue, et qu’ils ont tantôt condamnée.

Ces contradictions règnent depuis Luc et Matthieu, ou plutôt depuis Moïse. Ce serait une chose bien curieuse que de mettre sous les yeux ce scandale de l’esprit humain. Il n’y a qu’à lire et transcrire ; c’est un ouvrage très agréable à faire ; on doit rire à chaque ligne. Moïse dit qu’il a vu Dieu face à face, et qu’il ne l’a vu que par derrière 4; il défend qu’on épouse sa belle-sœur, et il ordonne qu’on épouse sa belle-sœur 5; il ne veut pas qu’on croie aux songes 6, et toute son histoire est fondée sur des songes.

Enfin, dans chaque page, depuis la Genèse jusqu’au concile de Trente, vous trouverez le sceau du mensonge.

Cette manière d’envisager les choses est palpable, piquante, et capable de faire le plus grand effet. Ne seriez-vous pas charmé qu’on fît un tel ouvrage ? Faites-le donc, vous y êtes intéressé ; vous devez décréditer ceux qui vous ont traité si indignement.

Si l’idée que je vous propose n’est pas de votre goût, il y a cent autres manières d’éclairer le genre humain. Travaillez, vous êtes dans la force de votre génie ; je me charge de l’impression, vous ne serez jamais compromis.

Adieu ; soyez sûr que votre Fontenelle n’eût jamais été aussi empressé que moi à vous servir. »

1 L'adresse est laissée en blanc, certainement pour être complétée par Damilaville en cas de besoin ; voir la fin de la lettre du même jour à Damilaville : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1763-partie-32.html

2 Du 23 janvier 1759 , contre le livre De l'Esprit . Voir lettre du 7 février 1759 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/02/26/ce-qui-est-neuf-n-est-pas-toujours-vrai-5308752.html

3 Voir les Notebooks, Index sous le mot « contradictions », ainsi que le Pot-pourri, chap. X . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pot-pourri

4 Respectivement Exode , XXXIII, 11, et Exode , XXXIII, 20 et 23 . Voir : https://saintebible.com/exodus/33-11.htm

et : https://saintebible.com/exodus/33-20.htm

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