27/10/2019
je ne veux pas croire tout ce qu’on dit
... Ni tout ce qu'on écrit , par exemple ceci que je vous laisse détailler, et où je n'ai appris qu'une chose, les effets et la recette du space cake ( n'ayant pas de beuh, je vais peut-être l'essayer sur mon chat avec de la cataire ! ): https://news.google.com/topics/CAAqJggKIiBDQkFTRWdvSUwyMH...
P.S. -- Qui de vous croit tout ce que je dis ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
7 septembre [1764]
Mes divins anges, je vous crois à présent bien établis dans votre nouvelle maison. Vous vous êtes rapprochés de M. le duc de Praslin, et vous avez très bien fait. J’ai montré vite votre dernière lettre au petit défroqué . Elle ne l’a point effrayé. C'est un ingénu personnage . Je m'étais toujours défié , m'a-t-il dit, de cette Julie qu’on envoyait réciter son office dans sa chambre, et de ce Pompée qui se disait soldat, et de bien d’autres choses sur lesquelles cependant je me faisais illusion. J’étais si rempli de la prétendue beauté de quelques situations et de quelques caractères, que j’étouffais mes remords sur le reste.
Faites choix d’un ami dont la raison vous guide,
Et dont le crayon sûr d’abord aille chercher
L’endroit que l’on sent faible, et qu’on veut se cacher.1
Il m’assure que Pompée ne sera plus soldat . Il voit bien que ce changement en exige d’autres, et qu’il faut raccommoder le bâtiment de manière que l’architecture ne soit point gâtée . Cela demande un peu de soins . Il est près de s’y livrer . Il dit que la destinée de son pauvre drame est de voyager . Il supplie mes anges de le lui renvoyer . Il veut en venir à votre bonheur et au sien . Il proteste qu’il n’omettra rien pour gagner en dernier ressort ce procès qu’il a perdu en première instance . Il aime à plaider quand vous prenez en main sa cause . Il n’en démordra pas, je connais sa tête.
Mes anges, il me paraît que Catherine fournit de grands sujets de tragédie. Un faiseur de drames aurait beaucoup à apprendre chez Catherine et chez Frédéric . Mais je ne veux pas croire tout ce qu’on dit.
Quelque chose qui se passe dans le Nord, renvoyez-nous nos Roués du Midi . Notre jeune homme vous en renverra d’autres c’est sa consolation.
Il est venu quatre-vingts personnes dans sa chaumière avec MM. les ducs de Randan, de La Trémoille, non pas de La Trimouille de Dorothée 2, etc., etc. Madame Denis leur a joué Mérope, leur a donné une fête ; et moi, je me suis mis au lit.
Vous ne m’avez pas seulement parlé du décès de M. d’Argenson, mon contemporain . Vous ne vous souvenez pas que nous l’appelions la chèvre ? Vous ne vous souvenez de rien, pas même du prince Ivan. Cependant je baise le bout de vos ailes.
V.
À qui faut-il que j'adresse mes lettres ? »
1Art poétique, IV, 71-73, de Boileau : http://wattandedison.com/Nicolas_Boileau1.pdf
2 Voir chant VIII de La Pucelle : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Pucelle_d%E2%80%99Orl%C3%A9ans/8
18:11 | Lien permanent | Commentaires (0)
si vous ne daignez pas écrire en faveur de la bonne cause, du moins vous écraserez la mauvaise, en disant ce que vous pensez
... C'est le moins qu'on puisse faire .
Avec ou sans humour ?
Avec ! https://www.youtube.com/watch?v=hz5xWgjSUlk
Et , remarquablement : https://www.youtube.com/watch?v=UKQGL9PEoIg
« A Jean Le Rond d'Alembert
7 septembre [1764]
Mon cher philosophe, vos lettres sont comme vous, au-dessus de notre siècle, et n’ont assurément rien de welche. Je voudrais pouvoir vous écrire souvent pour m’en attirer quelques-unes. C’est donc de votre estomac, et non pas de votre cœur, que vous vous plaignez ! Vos calomniateurs se sont mépris. Il semble qu’on vous injurie, vous autres philosophes, quand on vous soupçonne d’avoir des sentiments. Il paraît que vous en avez en amitié, puisque vous avez été fidèle à M. d’Argenson après sa disgrâce et après sa mort. Vous avez assisté à son enterrement comme son confrère ; mais Simon Le Franc, qui n’est le confrère de personne, a prétendu y être comme parent : il faisait par vanité ce que vous faisiez par reconnaissance 1.
Vous me parlez souvent d’un certain homme 2. S’il l’avait voulu faire ce qu’il m’avait autrefois tant promis, prêter vigoureusement la main pour écraser l’infâme, je pourrais lui pardonner ; mais j’ai renoncé aux vanités du monde, et je crois qu’il faut un peu modérer notre enthousiasme pour le Nord . Il produit d’étranges philosophes. Vous savez bien ce qui s’est passé 3, et vous avez fait vos réflexions. Je laisse madame Denis 4 donner des repas de vingt-six couverts, et jouer la comédie pour ducs et présidents, et intendants et passe-volants, qu’on ne reverra plus. Je me mets dans mon lit au milieu de ce fracas, et je ferme ma porte. Omnia fert aetas 5. Vraiment j’ai lu ce dictionnaire diabolique 6, il m’a effrayé comme vous ; mais le comble de mon affliction est qu’il y ait des chrétiens assez indignes de ce beau nom pour me soupçonner d’être l’auteur d’un ouvrage aussi antichrétien. Hélas ! à peine ai-je pu parvenir à en attraper un exemplaire. On dit que frère Damilaville en a quatre, et qu’il y en a un pour vous. Je suis consolé quand je vois que cette abominable production ne tombe qu’en si bonnes mains. Qui est plus capable que vous de réfuter en deux mots tous ces vains sophismes ? Vous en direz au moins votre avis avec cette force et cette énergie que vous mettez dans vos raisonnements et dans vos bons mots ; et si vous ne daignez pas écrire en faveur de la bonne cause, du moins vous écraserez la mauvaise, en disant ce que vous pensez. Votre conversation vaut au moins tous les écrits des saints Pères. En vérité le cœur saigne quand on voit les progrès des mécréants. Figurez-vous que neuf ou dix prétendus philosophes, qui à peine se connaissent, vinrent ces jours passé souper chez moi. L’un d’eux, en regardant la compagnie, dit , Messieurs, je crois que le Christ se trouvera mal de cette séance. Ils saisirent tous ce texte ; je les prenais pour des conseillers du prétoire de Pilate ; et cette scène se passait devant un jésuite ! et à la porte de Calvin ! Je vous avoue que les cheveux me dressaient à la tête. J’eus beau leur représenter les prophéties accomplies, les miracles opérés, et les raisons convaincantes d’Augustin, de l’abbé Houteville, et du père Garasse : on me traita d’imbécile. Enfin la perversité est venue au point, qu’il y a dans Genève une assemblée qu’ils appellent cercle, où l’on ne reçoit pas un seul homme qui croie en Christ ; et quand ils en voient passer un, ils font des exclamations à la fenêtre, comme les petits enfants quand ils voient un capucin pour la première fois. J’ai le cœur serré en vous mandant ces horreurs. Elles enflammeront peut-être votre zèle ; mais vous aimez mieux rire que servir. Conservez-moi votre amitié, elle me servira à finir doucement ma carrière.
Je me flatte que votre d’Argenson, mon contemporain, est mort avec componction et avec extrême-onction. C’est là un des grands agréments de ceux qui ont le bonheur de mourir chez vous ; on ne leur épargne, Dieu merci, aucune des consolations qui rendent la mort si aimable. Toutes ces choses-là sont si sages qu’on les croirait inventées par des Welches, s’ils avaient jamais inventé quelque chose .
Vale.
Je vous conjure de crier que je n’ai nulle part au Portatif. »
1 D'Alembert a écrit le 29 août 1764 : « […] savez-vous que Simon Lefranc est à Paris ? Il est vrai que c'est bien incognito, et qu'il ne tient pas table de 26 couverts. Je l'aperçus l'autre jour à l'enterrement du pauvre M. d'Argenson, où il était comme parent, et moi comme homme de lettres . »
2 Frédéric II ; D'Alembert dit qu'il vient d’en recevoir « une grande et belle lettre [...] » ; voir lettre du 29 août 1764 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-avec-d-alembert-partie-32.html
3 Le meurtre d'Ivan . Ce passage est à retenir pour le commentaire du conte intitulé Éloge historique de la raison, où l’enthousiasme pour le « Nord », en dépit du partage de la Pologne, est en effet excessif . Voir : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/voltaire-eloge-historique-de-la-raison.html
4 Mot ajouté au-dessus de la ligne .
5 Tout vient avec l'âge , Virgile, Bucoliques, IX 51
6 « J'ai lu, par une grâce spéciale de la Providence, ce dictionnaire de Satan dont vous me parlez …. » , voir lettre du 29 août 1764 citée ci-dessus.
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