21/01/2021
Il est plaisant qu’à la suite d’un écrit si sublime il se trouve une approbation de deux docteurs
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« A François de Chennevières
M. Bernard, mon cher ami, est un digne correspondant, et qui mérite bien votre amitié . Il m'a appris que vous m'aviez envoyé cet excellent ouvrage de M. Thomas, qui est resté parmi les paperasses de Montpéroux . Je viens de le recevoir, de le lire, et de l'admirer .
Voici ma réponse que je vous prie de lui faire tenir . Nous vous embrassons tous le plus tendrement du monde .
22è septembre 1765. 1»
1 Ce billet accompagne la lettre du même jour à Thomas .
« A Antoine-Léonard Thomas
22 Septembre 1765.1
Je n’ai reçu qu’aujourd’hui, monsieur, le présent dont vous m’avez honoré 2, et la lettre charmante dont vous l’accompagnez. La mort de notre résident, chez qui le paquet est resté longtemps, a retardé mon plaisir, et je me hâte de vous témoigner ma reconnaissance . Vous ne savez pas combien je vous suis redevable. Ce n’est point là un discours académique, c’est un excellent ouvrage d’éloquence et de philosophie. Autrefois nous donnions pour sujet du prix des textes faits pour le séminaire de Saint-Sulpice . Aujourd’hui les sujets sont dignes de vous. Il est plaisant qu’à la suite d’un écrit si sublime il se trouve une approbation de deux docteurs . Elle ne peut nuire pourtant à votre ouvrage ; il est admirable, malgré leur suffrage.
On ne lit plus Descartes, mais on lira son éloge, qui est en même temps le vôtre. Ah ! monsieur, que vous y montrez une belle âme et un esprit éclairé ! quel morceau que l’histoire de la persécution du nommé Voët contre Descartes 3! Vous avez employé et fortifié les crayons de Démosthène pour peindre un coquin absurde qui ose poursuivre un grand homme. Vous m’avez fait un grand plaisir de ne pas oublier le petit conseiller de province, qui méprisait la philosophie de son frère. Tout votre ouvrage m’enchante d’un bout à l’autre. Je vais le relire dès que j’aurai dicté ma lettre ; car l’état où je suis me permet rarement d’écrire. Vous avez parfaitement séparé le génie de Descartes de ses chimères, et vous avez habilement montré combien l’auteur même des tourbillons était un homme supérieur.
On m’a dit que vous faites un poème épique sur Pierre le Grand 4 ; vous êtes fait pour célébrer les grands hommes ; c’est à vous à peindre vos confrères. Je m’imagine qu’il y aura une philosophie sublime dans votre poème. Le siècle est monté à ce ton-là, et vous n’y avez pas peu contribué.
Vous faites, dans votre Éloge de Descartes, un éloge de la solitude qui m’a bien touché. Plût à Dieu que vous voulussiez bien partager la mienne, et vivre, avec moi, comme un frère que l’éloquence, la poésie, et la philosophie m’ont donné ! J’ai dans ma masure un homme qui est comme moi votre admirateur, et avec qui je voudrais passer le reste de ma vie . C’est M. Damilaville qu’un malheureux emploi de finance rappelle à Paris. Il vous dira quelle obligation je vous aurais, si vous daignez venir tenir sa place. Il est vrai que dans l’été nous avons un peu de monde, et même des spectacles , mais je n’en suis pas moins solitaire. Vous travailleriez avec le plus grand loisir . Vous feriez renaître ces temps que nos petits-maîtres regardent comme des fables, où les talents et la philosophie réunissaient des amis sous le même toit.
J’ai bien peur que ma proposition ne soit aussi une fable ; mais enfin il ne tiendra qu’à vous d’en faire la vérité la plus consolante pour votre serviteur, pour votre admirateur, et, permettez-moi de le dire, pour votre ami.
V. »
1 La copie contemporaine donne trois variante de détail avec le texte imprimé ; il y a une autre copie contemporaine, aux archives du marquis de Bristol (Ickworth) ; on suit ici l'édition Nouveaux mélanges philosophiques, historiques, critiques, etc., etc., 1765 . A cette époque, la lettre fut imprimée comme « Réponse de M. de Voltaire à M. Thomas » dans le Journal encyclopédique du 1er novembre 1765. Voir page 421 : https://books.google.sm/books?id=JBsPAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=thomas&f=false
Voir : https://data.bnf.fr/fr/12107626/antoine-leonard_thomas/
2 Éloge de René Descartes, a gagné un prix de l'Académie Française . L'édition imprime cette lettre de V*. Voir : https://books.google.fr/books?id=LwG5HBo6sbIC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
3 Gysbert Voet, protestant fanatique a écrit contre Descartes qui lui a répondu par une Epistola [...] ad [...] Gisbertum Voetium, 1643 . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86015062/f7.image
4 Thomas ne put l'achever . Il n'en parut que quelques fragments sous le titre Le Czar Pierre Ier dans les Œuvres posthumes de Thomas, 1802 . Voir page 424 : https://books.google.co.zw/books?id=NFFDZo9JiKQC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=czar&f=false
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Ce monde-ci est une plaisante pièce de théâtre, et messieurs du clergé [...] sont de plaisants comédiens
... Et Joe Biden ne sais pas s'en passer . La Maison Blanche vaut bien une messe ! Pas de président athée sous la bannière étoilée . Représentation réussie .
Le poids des mots
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
21 septembre [1765]1
Mes divins anges, tout le monde croit que j’ai bien du crédit dans votre cour céleste ; tout le monde demande la place de Montpéroux ; tout le monde s’adresse à moi. Madame de La Chevalerie 2, sœur de M. de Chabanon, que vous protégez, veut obtenir la résidence de Genève pour son mari, qui est officier, et qui a la croix de Saint-Louis. Elle m’a ordonné de vous en écrire, et j’obéis à ses ordres. Je suis persuadé que M. de Chabanon vous en aura déjà parlé ; mais je suis persuadé aussi qu’il lui sera plus aisé de faire une bonne pièce que d’obtenir pour son beau-frère cette place, que vous m’avez dit être destinée à ceux qui ont servi dans les affaires étrangères.
Pour moi, je me borne à obtenir une copie de l’Adélaïde que vous avez fait jouer. Je voudrais surtout savoir si le duc de Nemours est reconnu rival de son frère, au troisième ou au quatrième acte. Voilà les intérêts politiques qui m’occupent. Je vous écris en sortant de Mérope, qu’on a exécutée sur mon petit théâtre de marionnettes, au grand étonnement des Allobroges. Figurez-vous qu’il n’y avait rien chez vous de si brillant . Car madame de Shouvalow avait prêté à ma nièce Denis 3 pour deux cent mille écus de diamant et à peu près autant à madame de Florian, pour jouer à la baronne dans Nanine. Ce qui est encore plus étonnant, c’est que M. de Schowalow jouait Egisthe dans Mérope 4.
Je ne m’attendais pas, quand je fis cette pièce, que je la verrais exécutée par des Russes, près du lac de Genève. Ce monde-ci est une plaisante pièce de théâtre, et messieurs du clergé, qui me mêlent dans leurs caquets 5, sont de plaisants comédiens. Respect et tendresse.
V. »
1 Date complétée par d'Argental
2 Ou plus exactement La Chabalerie . Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1765/Lettre_6051#cite_note-2
3 Denis est ajouté au dessus de la ligne sur le manuscrit .
5 Dans les Actes de l’assemblée générale du clergé de France, publiés en septembre, se trouve la condamnation de l’Essai sur les mœurs. (Georges Avenel.) Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111610w.image
et : https://data.bnf.fr/fr/12110348/france_assemblee_generale_du_clerge/
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