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12/12/2021

vous n’en serez que plus heureux en vivant pour vous et pour vos amis : ce qui est au fond la véritable vie

... Quel plus agréable encouragement que celui-ci ?

 

« A Louis-César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière

9 septembre 1766 1

M. le chevalier de Rochefort, Mgr le duc, ranime ma très-languissante vieillesse, en m’apprenant que vous me conservez toujours vos anciennes bontés. J’en suis d’autant plus flatté qu’on prétend que vous abandonnez vos anciens protégés : Champs, Montrouge, et votre belle collection de livres rares et inlisibles 2. On dit que vous achetez la cabane de Jansen, dont vous allez faire un palais délicieux, selon votre généreuse coutume. Si les bâtiments, les jardins, la chasse, les bibliothèques choisies, éprouvent votre inconstance, les hommes ne l’éprouvent pas. Vos goûts peuvent avoir de la légèreté, mais votre cœur n’en a point. Vous allez devenir un vrai philosophe ; j’entends, s’il vous plaît, philosophe épicurien. Le jardin de Jansen, qui n’était qu’un potager, deviendra sous vos mains le vrai jardin d’Épicure. Vous vous écarterez tout doucement de la cour, et vous n’en serez que plus heureux en vivant pour vous et pour vos amis : ce qui est au fond la véritable vie.

Vous souvenez-vous, monsieur le duc, d’une lettre que j’eus l’honneur de vous écrire, il y a quelques années 3, sur ce monsieur Urceus Codrus, que nous avions pris pour un prédicateur ?

On vient d’imprimer un recueil de quelques-unes de mes lettres, dans lequel ce rogaton est inséré. On m’y fait dire que vous avez délivré les sermones festivi, au lieu de déterré les sermones festivi. On y prétend qu’un marchand a fait la comédie de La Mandragore, et marchand est là pour Machiavel. Ces inepties assez nombreuses ne sont pas la seule falsification dont on doive se plaindre : on a interpolé dans toutes ces lettres des articles très impertinents et très insolents.

Jugez, si on imprime aujourd’hui de tels mensonges, quand ils sont aisés à découvrir, quelle était autrefois la hardiesse des copistes, lorsqu’il était très malaisé de découvrir leurs impostures. On a fait de tout temps ce qu’on a pu pour tromper les hommes : encore passe si on se bornait à les tromper ; mais on fait quelquefois des choses plus affreuses et plus barbares 4 sur lesquelles je garde le silence.

Comme je suis mort pour les plaisirs, je dois l’être aussi pour les horreurs ; et j’oublie ce que la nation peut avoir de frivole et d’exécrable, pour ne me souvenir que d’un cœur aussi généreux que le vôtre, et pour vous souhaiter toute la félicité que vous méritez. J’ai peu de temps à végéter encore sur ce petit tas de boue : je ne regretterai guère que vous et le petit nombre de personnes qui vous ressemblent. Vos bontés seront ma plus chère consolation, jusqu’au moment où je rendrai mon existence aux quatre éléments.

Agréez mon très tendre respect, etc. »

1 Copie Beaumarchais-Kehl . La réponse de La Vallière , du 1er septembre 1766 a été conservée et va tout à fait dans le sens souhaité par V*.

2 Telle est la forme usuelle de ce mot donnée dans le Littré .

3 Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1761/Lettre_4531 . Lettre reproduite pages 20-27 de Lettres de Voltaire à ses amis du Parnasse .

4 Voltaire veut parler du supplice du chevalier de La Barre.

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