25/05/2023
J'en jurerais, mais je ne le parierais pas
... Et c'est ainsi que jugent les Genevois en acquittant Tarik Ramadan qui a l'énorme avantage d'être citoyen suisse, d'où préjugé favorable ainsi exprimé : " Le tribunal n’a pas été en mesure de se forger une intime conviction au-delà du doute insurmontable. » Pour mémoire, ce prédateur a fait d'autres victimes, qui espérons-le, pourront démasquer d'une façon insurmontable ce Tartuffe dégueulasse .
https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/24/acquitt...
https://www.youtube.com/watch?v=T03zMEUIiaM&ab_channe...
« A Cosimo Alessandro Collini
21è octobre 1767 à Ferney par Genève 1
J'ai lu, mon cher ami, avec un très grand plaisir votre dissertation 2 sur la mauvaise humeur où était si justement l'électeur palatin Charles-Louis contre le vicomte de Turenne 3. Vous pensez avec autant de sagacité que vous vous exprimez dans notre langue avec pureté. Je reconnais là il genio florentine 4. Je ferai usage de vos conjectures dans la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV 5, qui est sous presse, et je serai flatté de vous rendre la justice que vous méritez. Voici, en attendant, tout ce que je sais de cette aventure, et les idées qu'elle me rappelle.
J'ai eu l'honneur de voir très souvent, dans ma jeunesse, le cardinal d'Auvergne 6 et le chevalier de Bouillon 7, neveu du vicomte de Turenne. Ni eux ni le prince de Vendôme 8 ne doutaient du cartel, c'était une opinion généralement établie. Il est vrai que tous les anciens officiers, ainsi que les gens de lettres, avaient un très grand mépris pour le prétendu Du Buisson, auteur de la mauvaise Histoire de Turenne 9. Ce romancier Sandras de Courtils, caché sous le nom de Du Buisson, qui mêlait toujours la fiction à la vérité, pour mieux vendre ses livres, pouvait très bien avoir forgé la lettre de l’Électeur, sans que le fond de l'aventure en fût moins vrai.
Le témoignage du marquis de Beauvau 10, si instruit des affaires de son temps, est d'un très grand poids. La faiblesse qu'il avait de croire aux sorciers et aux revenants, faiblesse si commune encore en ce temps-là, surtout en Lorraine, ne me paraît pas une raison pour le convaincre de faux sur ce qu'il dit des vivants qu'il avait connus.
Le défit proposé par l’Électeur ne me semble point du tout incompatible avec sa situation et son caractère . Il était indignement opprimé et un homme qui, en 1655, avait jeté un encrier à la tête d'un plénipotentiaire, pouvait fort bien envoyer un défi, en 1674, à un général d'armée qui brûlait son pays sans aucune raison plausible.
Le président Hénault 11 peut avoir tort de dire : Que M. de Turenne répondit avec une modération qui fit honte à l'électeur de cette bravade. Ce n'était point, à mon sens, une bravade c'était une très juste indignation d'un prince sensible et cruellement offensé.
On touchait au temps où ces duels entre des princes avaient été fort communs. Le duc de Beaufort, général des armées de la Fronde, avait tué en duel le duc de Nemours. Le fils du duc de Guise avait voulu se battre en duel avec le grand Condé. Vous verrez, dans les Lettres de Pellisson que Louis XIV lui-même demanda s'il lui serait permis en conscience de se battre contre l'empereur Léopold 12.
Je ne serais point étonné que l'électeur, tout tolérant qu'il était (ainsi que tout prince éclairé doit l'être), ait reproché, dans sa colère, au maréchal de Turenne son changement de religion, changement dont il ne s'était avisé peut-être que dans l'espérance d'obtenir l'épée de connétable, qu'il n'eut point. Un prince tolérant, et même très indifférent sur les opinions qui partagent les sectes chrétiennes, peut fort bien, quand il est en colère, faire rougir un ambitieux qu'il soupçonne de s'être fait catholique romain par politique, à l'âge de cinquante cinq ans car il est probable qu'un homme de cet âge, occupé des intrigues de cour, et, qui pis est, des intrigues de l'amour et des cruautés de la guerre, n'embrasse pas une secte nouvelle par conviction. Il avait changé deux fois de parti dans les guerres civiles, il n'est pas étrange qu'il ait changé de religion.
Je ne serais point encore surpris de plusieurs ravages faits en différents temps dans le Palatinat par M. de Turenne . Il faisait volontiers subsister ses troupes aux dépens des amis comme des ennemis. Il est très vraisemblable qu'il avait un peu maltraité ce beau pays, même en 1664, lorsque le roi de France était allié de l'électeur, et que l'armée de France marchait contre la Bavière. Turenne laissa toujours à ses soldats une assez grande licence. Vous verrez, dans les Mémoires du marquis de La Fare , que, vers le temps même du cartel, il avait très peu épargné la Lorraine, et qu'il avait laissé le pays messin même au pillage 13. L'intendant avait beau lui porter ses plaintes, il répondait froidement « Je le ferai dire à l'ordre. »
Je pense, comme vous, que la teneur des lettres de l’Électeur et du maréchal de Turenne est supposée. Les historiens malheureusement ne se font pas un scrupule de faire parler leurs héros. Je n'approuve point dans Tite-Live ce que j'aime dans Homère. Je soupçonne la lettre de Ramzai 14 d'être aussi apocryphe que celle du gascon Sandras. Ramzai l'Écossais était encore plus gascon que lui. Je me souviens qu'il donna au petit Louis Racine, fils du grand Racine, une lettre au nom de Pope 15, dans laquelle Pope se justifiait des petites libertés qu'il avait prises dans son Essai sur l'Homme. Ramzai avait pris beaucoup de peine à écrire cette lettre en français 16, elle était assez éloquente; mais vous remarquerez, s'il vous plaît, que Pope savait à peine le français, et qu'il n'avait jamais écrit une ligne dans cette langue . C'est une vérité dont j'ai été témoin, et qui est sue de tous les gens de lettres d'Angleterre. Voilà ce qui s'appelle un gros mensonge imprimé . Il y a même, dans cette fiction, je ne sais quoi de faussaire qui me fait de la peine.
Ne soyez point surpris que M. de Chennevières n'ait pu trouver, dans le dépôt de la guerre, ni le cartel ni la lettre du maréchal de Turenne. C'était une lettre particulière de M. de Turenne au roi, et non au marquis de Louvois. Par la même raison, elle ne doit point se trouver dans les archives de Manheim. Il est très vraisemblable qu'on ne garda pas plus de copie de ces lettres d'animosité que l'on n'en garde de celles d'amour.
Quoi qu'il en soit, si l'électeur palatin envoya un cartel par le trompette Petit-Jean, mon avis est qu'il fit très bien, et qu'il n'y a à cela nul ridicule. S'il y en avait eu, si cette bravade avait été honteuse, comme le dit le président Hénault, comment l'électeur, qui voyait ce fait publié dans toute l'Europe, ne l'aurait-il pas hautement démenti? Comment aucun homme de sa cour ne se serait-il élevé contre cette imposture?
Pour moi, je ne dirai pas comme ce maraud de Frelon dans l'Écossaise : J'en jurerais, mais je ne le parierais pas 17 . Je vous dirai : « Je ne le jure ni ne le parie. » Ce que je vous jurerai bien, c'est que les deux incendies du Palatinat sont abominables. Je vous jure encore que, si je pouvais me transporter, si je ne gardais pas la chambre depuis près de trois ans, et le lit depuis deux mois, je viendrais faire ma cour à Leurs Altesses sérénissimes, auxquelles je serai bien respectueusement attaché jusqu'au dernier moment de ma vie. Comptez de même sur l'estime et sur l'amitié que je vous ai vouées.
V.
A propos d'incendie, il y a des gens qui prétendent qu'on mettra le feu à Genève cet hiver. Je n'en crois rien du tout mais si on veut brûler Ferney et Tournay, le régiment de Conti et la légion de Flandre, qui sont occupés à peupler mes pauvres villages, prendront gaiement ma défense. »
1 Original ; minute complétée et corrigée par V* ; édition Luchet qui donne à tort 24 pour le quantième .
2 Dissertation historique et critique sur le prétendu cartel envoyé par Charles-Louis, électeur palatin, au vicomte de Turenne; Manheim, 1767, in-8°.
3 Voir la lettre du 28 septembre 1767 à Collini : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/05/06/voila-mon-cher-ami-les-expedients-auxquels-les-impots-horrib-6441803.html
Il est à noter que malgré toute l'argumentation de Collini , le fait est que Charles-Louis a envoyé effectivement un cartel personnel à Turenne . Le texte de sa lettre est cité dans l'ouvrage : Histoire du comte de Turenne, 1736, III ? 2766278 ;
4Le génie florentin . Collini est Florentin.
5C'est ce qu'il fit dans une longue et flatteuse note du chapitre XII du Siècle de Louis XIV .
Voyez tome XIV, page 208 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome14.djvu/228
6 Petit -neveu de Vendôme ; voir sur lui la lettre à Mme Du Deffand du 6 novembre 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/02/27/il-faut-bien-pourtant-que-les-francais-valent-quelque-chose-puisque-des-etr.html
7 Frédéric-Jules de La Tour d’Auvergne, chevalier de Bouillon, appelé plus tard prince d'Auvergne, petit-neveu de Turenne .
8 Auquel est adressé la lettre 28 en 1716 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1716/Lettre_28
9 Du Buisson [Gatien Sandras de Courtilz], La Vie du comte de Turenne, 1685 . On a pensé de nos jours que Sandras de Courtilz ne fut que l'éditeur d'un manuscrit du véritable Du Buisson ; voir Albert Waddington : « Un anonyme du XVIIIè siècle », Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, 1898 .
10 Henri, marquis de Beauvau :Mémoires du marquis de B*** concernant ce qui s'est passé de plus mémorable sous le règne de Charles IV, duc de Lorraine et de Bar; in-12 de 382 pages, sans indication de lieu d'impression vers 1685.
11 Nouvel Abrégé chronologique de l'Histoire de France, Paris, 1768, in-4°, à l'année 1674 .
12 Paul Pellisson-Fontanier : Lettres historiques de M. Pellisson, 1729 : https://books.google.fr/books?id=r1czAQAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
13 M. L.M.D.L.F. (Charles-Auguste, marquis de La Fare) : Mémoires et réflexions sur les principaux événements du règne de Louis XIV, 1716 . Amsterdam, J.-F. Bernard, 1755, in-1! La référence donnée par V* est page 162.
14 Histoire du vicomte de Turenne (par Ramsay), Paris 1735, deux volumes in-4°; la lettre est tome Il, page 515.
15 Voir la XXIIè Lettre philosophique vers la fin . La prétendue lettre de Pope paraît avoir été imprimée pour la première fois dans la septième édition de La Religion de Louis Racine, 1756, si on en croit une note de l'éditeur .
Voir aussi page 1 : https://journals.openedition.org/studifrancesi/8919?lang=en
16 Voir tome XIV, pages 119-120 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvre... ; et la note 2 page 178 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome22.djvu/196
17 L'Ecossaise : Acte II, scène 3 ; voir tome V, page 437 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome5.djvu/447
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