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04/12/2023

On l'obligerait à se défaire de sa charge si cette infamie était publique

... Ah ! qu'il est agréable d'être dans la cour des gouvernants quand on doit faire face à des juges qui dépendent de vous ô M. Dupont Moretti !

 

 

« A Marie-Louise Denis

6è avril 1768 1

Je reçois, ma chère nièce, les deux procurations, et je réponds tout malade et tout faible que je suis à votre lettre du 1er avril . J'avais à cette date même envoyé à M . Damilaville un gros paquet concernant vos affaires . Il était adressé à M. et Mme d'Hornoy . Il y avait une lettre de huit pages pour vous avec une autre pour M. de Laleu . Je lui ai adressé depuis un nouveau paquet dans lequel il y avait une lettre pour le baron de Thun 2, ministre du duc de Virtemberg . Cette lettre était pour le convaincre et vous aussi que le bruit qu'il fait courir que son maître m'a payé est très faux . Car quoique l'on ait pris des arrangements pour me payer à l'avenir en commençant au mois de juillet prochain, cependant on n'a pas seulement liquidé le compte de ce qui m'est dû jusqu'à présent . Cette lettre à M. de Thun devait vous faire voir qu'on vous rompe, et que je ne vous trompe jamais . J'ai aussi envoyé à M. d'Hornoy un mémoire qui regarde M. de Brosses, et je vous demandais un papier que ce P. de Brosses prétend vous avoir fait remettre il y a plusieurs années par M. Fargès 3. Ce papier est très important . De Brosses prétend qu'il contient un désistement formel d'une clause infâme qu'il avait glissée dans son contrat, clause par laquelle tous mes effets sans exception devaient lui appartenir, clause subreptice et punissable par les lois . On l'obligerait à se défaire de sa charge si cette infamie était publique . Je me plaignais que vous m'eussiez fait si longtemps un mystère du désistement qu'il prétend vous avoir donné ; et je me plains encore . Je priais dans toutes mes lettres M. d'Hornoy d'arranger mes revenus avec M. de Laleu, et de presser un procureur nommé Pinon du Coudray de vous faire payer une somme assez considérable qui doit rentrer au mois où nous sommes . Tous ces paquets ne contenaient que des arrangements pour vous faire toucher exactement votre pension de vingt mille livres indépendamment de M. de Richelieu et de la succession de la princesse de Guise . Vous auriez vu que je n'étais occupé que de vos intérêts et que je rendais à toute ma famille un compte exact de ma situation .

La lettre de huit pages que je vous ai écrite vous marquait à la vérité ma juste douleur sur l'humeur cruelle que vous eûtes avec moi plusieurs jours de suite, et à table . J'en étais ulcéré, et ma plaie saigne encore, mais le triste état où vous m'avez mis ne m'empêchera jamais de rendre ce que je dois à une si longue et si intime amitié . Il vous échappe quelquefois des traits qui percent le cœur et malheureusement vous me portez dans votre lettre du 25 mars un coup mortel qui n'est point un mouvement d’humeur, et qui n'est que trop réfléchi : je veux quand je verrai le duc de Choiseul pouvoir lui dire que je vous dois tout . Sentez-vous bien ce qu'un tel discours a d'outrageant pour un homme qui assurément ne va pas avec vous, et n'ira jamais au-delà de ses devoirs pour plaire à d'autres qu'à vous seule ? Vous ne doutez pas de l'effet qu'un tel sentiment de votre part a dû faire sur mon cœur profondément blessé . Il est à croire que nous ne nous reverrons jamais, et que je mourrai loin de vous dans la retraite où je vais m'ensevelir . Mais assurément je ne justifierai pas les défiances outrageantes dont vous avez fait rougir mon amitié . Vous m'avez mis au désespoir sans pouvoir affaiblir mes sentiments .

La tracasserie entre Maron et Adam doit vous paraître aussi frivole et aussi méprisable qu'à moi . Maron est sensible : elle s’était imaginée très mal à propos qu'Adam insultait à son départ . Adam est un imbécile étourdi qui s'est cru accusé . Il n'a nulle mesure dans l'esprit mais il a le cœur très bon et il ne m’a jamais parlé de vous qu'avec attendrissement . Il faut oublier ces sujets chimériques de chagrin et même les sujets trop précis à ma douleur . Songez à mon âge, à ma faiblesse, à mes maladies, pardonnons-nous l'un et l'autre . Les paquets de d'Hornoy vous seront renvoyés . Vous y verrez encore une fois combien j'ai été blessé, combien je vous aime et à quel point j'ai porté mes désirs de vous rendre heureuse . Il ne faut pas que l'humeur gâte ce que l'amitié fait sentir de consolation . »

1 Voir aussi : Voltaire et Madame Denis (Paris Sorbonne) : https://www.fabula.org/actualites/114175/voltaire-et-madame-denis.html

et : Voltaire, Œuvres complètes, tome 65 C, Œuvres de 1768, I, éd. David Adams, Alain Sandrier et al. Oxford, Voltaire Foundation, 2017 : https://journals.openedition.org/rhr/9232

2 Aucune de ces trois lettres ne nous est parvenue .

3 La considération de Charles de Brosses pour Mme Denis, ainsi que l'existence de relations directes entre elle et lui, sans passer par V*, sont attestées par une lettre du premier à François de Fargès de Polizy au plus fort des démêlés avec V* du 10 novembre 1761 ; il n'y est pourtant pas fait état de cette renonciation .

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