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02/06/2024

il en faut faire une ville commerçante ou n'en rien faire du tout . Mais pour y appeler des habitants et le commerce il faut y jeter des trésors et y établir en tout genre une liberté inaltérable . Sans ces deux moyens, on perdra toutes ses avances

... Bien vu mon cher Voltaire .

Des moyens financiers et surtout une liberté absolue, sources de développement indispensables, deux conditions qui semblent plus que difficiles à réunir dans toutes ces petites communes qui perdent leurs commerces et leurs médecins .

Etat des lieux : https://www.journaldeslycees.fr/actualite-jeunes/morbihan/lycee-jean-baptiste-colbert/petits-commerces--bientot-un-souvenir---,1889.html

et :  https://brm-conseil.fr/fr/2023/03/30/commune-recherche-son-medecin-generaliste-voici-pourquoi-vous-ne-trouvez-pas/

On connait le mal, reste à appliquer le remède .

 

 

 

« A Marie-Louise Denis

rue Bergère, vis-à-vis l'hôtel des Menus

à Paris

18è novembre 1768

Ma chère nièce, le résultat de votre dernière lettre et de celle de M. d'Argental a produit son effet en grande partie . Les premières scènes du Vè acte qui étaient très languissantes et faiblement écrites sont devenues touchantes et fortes, et tout ce qu'on a demandé avec juste raison a été fait sur-le-champ ; mais pour le grand point qui regarde la prêtraille, il est impossible d'y remédier . C'est le fondement de la pièce . Un grand inquisiteur païen ne peut être qu'un objet d'horreur ; et si ce païen ressemble à quelques chrétiens, ce n'est pas ma faute . Il faudra voir si en présentant l'ouvrage à monsieur le Chancelier, qui est un homme d’esprit et qui n'est pas sacerdotal, on ne pourrait pas fermer la bouche aux faiseurs d'allusions . Le temps est plus favorable qu'on ne croit . On me mande de Toulouse que j'ai converti les trois quarts du parlement 1 . Il en est à peu près de même à Dijon, à Besançon et à Grenoble . Il est certain que le monstre du fanatisme rend les derniers soupirs en se débattant . Les Guèbres lui donneront l'extrême-onction . Si on ne les joue pas, on les fera imprimer avec la préface la plus sage, et la plus capable de dérouter les faiseurs d'allusions . C'est à mon gré l'ouvrage le moins mal inventé et le moins faible qui soit sorti du cabinet de votre ami . J'oubliais de vous dire que monsieur le Chancelier m'a écrit, sur Le Siècle de louis XIV, la lettre la plus agréable et la mieux faite . On en parait très content jusqu'à présent .

On me mande que le roi de Danemark avait dit au roi de France que je lui avais appris à penser 2. Un prince qui parle ainsi était bien en état de penser sans moi .

Vos voisins les républicains de Genève paraissent bien changés ; ils jouent tous la comédie . Je suis sorti une fois de ma solitude pour aller à leur invitation . Ils m'ont reçu mieux qu'un ambassadeur . Je ne suis pas si content des éléments . Je crains une grande disette pour l'année prochaine . Je me suis obstiné à faire semer trois fois un petit champ que je protège, et que je cultive comme un potager .

Tout le Châtelard tombe de vétusté . Je commence de nouveaux bâtiments qui coûteront quinze mille livres . Cela augmentera votre terre que j'améliore autant que je peux .

Je ne sais pas encore ce que deviendra Versoix . Il est certain qu'il en faut faire une ville commerçante ou n'en rien faire du tout . Mais pour y appeler des habitants et le commerce il faut y jeter des trésors et y établir en tout genre une liberté inaltérable . Sans ces deux moyens, on perdra toutes ses avances . Je serais outré de désespoir que M. le duc de Choiseul ne réussit pas dans ses entreprises . On dit que les Français ont encore été battus par les Corses le 2 du mois . Cela est d’autant plus triste que toute l'Europe est corse .

Je ne sais où est actuellement votre frère le Turc . Il a dû recevoir son Siècle comme vous le vôtre. J'ai à lui écrire et je ne sais où le prendre . J'attends le retour d'Hornoy pour le remercier de tous ses bons offices .

Je crois vous avoir déjà mandé que l'affaire du président Hénault n'était point du tout finie, et qu je suis chargé de le défendre 3 contre les violentes critiques du prétendu marquis de Bélestat, sous le nom duquel on a vexé le président . Il y a là un fond d'intrigue fort singulier et fort plaisant . Je cherche à découvrir l'espiègle qui a joué cette comédie . C'est malheureusement un homme d'esprit et savant . L'abbé Boudot cherche actuellement des armes pour m'aider à combattre .

Je vous embrasse le plus tendrement du monde vous et vos deux enfants .

V. »

1 On a vu dans la lettre du 13 novembre 1768 à Christin , qu'Audra est loin d'avoir dit cela ; mais on a vu aussi que c'est déjà ce que répète V* depuis quelque temps ; voir lettre du12 novembre 1768 au duc de Choiseul : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/05/22/vous-etes-accoutume-a-reparer-quelquefois-les-fautes-d-autrui.html

et voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/05/24/non-seulement-toute-la-jeunesse-du-parlement-mais-une-grande-partie-du-cent.html

2 C'est ce qu'a dit d'Alembert à V* le 12 novembre 1768 : page 181 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_%28d%E2%80%99Alembert%29/Correspondance_avec_Voltaire/Texte_entier

à quoi Mme Du Deffand apporte une confirmation en écrivant les 7 décembre 1768 à Walpole que le roi ne dit rien qui vaille la peine d'être rapporté « excepté quelques louanges qu'il donne de temps en temps à Voltaire et au feu président de Montesquieu »

3 L'expression montre à quel point V* sait donner un tour aux événements qu'il rapporte . Mme Du Deffand s’exprime à cet égard comme suit dans une lettre à Walpole du 23 novembre 1768 : « Il y a dans cette brochure [l'Examen de la nouvelle histoire de Henri IV ] une critique amère et cinglante de la Chronologie du président ; nous avons été occupés pendant quatre mois à empêcher qu’il en eût connaissance […] Il y a six semaines ou deux mois que le président reçoit une lettre de Voltaire qui lui parle de cette brochure et lui transmet l'article qui le regarde, et une autre qu'on peut appliquer à une personne bien considérable . Nous fûmes bien déconcertés ; le président ne fut pas aussi troublé que nous l'appréhendions . Il fait une réponse fort sage : Voltaire lui a récrit trois lettres depuis cette première ; il veut absolument qu’il réponde, et comme le président persiste à ne le vouloir pas, il lui offre de répondre pour lui . Le président y consent, pourvu que Voltaire y mette son nom. » Mme Du Deffand ajoute qu'on soupçonne Voltaire lui-même d'avoir fait cet Examen, ce qui est très invraisemblable .

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