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08/10/2024

Je déteste le fatras et le petit

... Aussi ne supportè-je ni un Mélenchon ni un Ciotti  qui sont maîtres dans la petitesse d'esprit et le souk de leurs projets .

 

 

« A Jean-François de Saint-Lambert

De F[erney] ce 4 avril 1769 1

De la coquetterie ! Non, pardieu ! mon cher confrère ou mon cher successeur ; ma franchise suissesse n’a ni rouge ni mouches. Quand je vous dis que votre ouvrage 2 est le meilleur qu’on ait fait depuis cinquante ans, je vous dis vrai. Quelques personnes vous reprochent un peu trop de flots d’azur, quelques répétitions, quelques longueurs, et souhaiteraient, dans les premiers chants, des épisodes plus frappants. Je ne peux ici entrer dans aucun détail, parce que votre ouvrage court tout Genève, et qu’on ne le rend point ; mais soyez très certain que c’est le seul de notre siècle qui passera à la postérité, parce que le fond en est utile, parce que tout y est vrai, parce qu’il brille presque partout d’une poésie charmante, parce qu’il y a une imagination toujours renaissante dans l’expression. Je déteste le fatras et le petit, et tout ce que je vois ailleurs est petit et fatras.

Qui diable vous a donné la Canonisation de saint Cucufin 3 ? Il faut que ce soit quelque capucin. On pourra bientôt me canoniser aussi, car, depuis un mois, je ne vis que de jaunes d’œufs comme saint Cucufin. J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai reçu bravement le viatique, en dépit de l’envie. Cela s'est passé avec une décence charmante 4 . J’ai déclaré expressément que je mourais dans la religion du Roi Très Chrétien mon maître 5 et de la France ma patrie, as it is established by act of parliament 6. Cela est fier et honnête 7.

Ma maladie m’a empêché d’écrire à M. Grimm, mais je ne l’en aime pas moins, lui et ma philosophe Mme d’Épinay. Je vous ai la plus sensible et la plus tendre obligation de vouloir bien engager M. le prince de Beauvau 8 à daigner 9 solliciter de toutes ses forces en faveur des Sirven. Votre cœur aurait été bien ému si vous aviez vu cette déplorable famille, père, mère, filles, enfants : la mère rendant les derniers soupirs en me venant voir, les filles dans les convulsions du désespoir, le père en cheveux blancs, baigné de larmes. Et qui a-t-on persécuté ainsi ? la plus pure innocence et la probité la plus respectable. La destinée m’a envoyé cette famille ; il y a six ans que je travaille pour elle. Enfin la lumière est parvenue dans les têtes de quelques jeunes conseillers de Toulouse, qui ont juré de faire amende honorable. Cuistres fanatiques de Paris, misérables convulsionnaires, singes changés en tigres, assassins du che. d. L. B. 10, apprenez que la philosophie est bonne à quelque chose !

Je vous conjure, mon cher successeur, de presser la bonne volonté de M. le prince de Beauvau. Voici le moment d’agir. Sirven, condamné à mort, est actuellement devant ses juges, ses filles sont auprès de moi ; je les ferai partir, si ses juges veulent les interroger. Je me recommande à vos bontés et à celles de M. le prince de Beauvau.

Je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie ; mais c’est avec la plus profonde estime et la plus sincère amitié.

V. »

1 Original, initiale et corrections autographes ; édition de Kehl qui pratique des coupures à la suite de la copie Beaumarchais qui porte en note : « A M. de La Harpe probablement. », corrigé en « A M. de Saint-Lambert probablement.'

2 Le poème des Quatre Saisons.

4 Phrase supprimée dans édition de Kehl .

5 Ces deux mots sont supprimés dans l'édition de Kehl .

6 Telle qu'elle est établie par acte du Parlement ; allusion aux sommations que V* a adressées au curé Gros, d'après les ordonnances parlementaires édictées à l'occasion de l'affaire des billets de confession ; voir Candide, chap. XXII : https://fr.wikisource.org/wiki/Candide,_ou_l%E2%80%99Opti... .

7 Voltaire étant malade, dans le temps de Pâques, fit avertir le curé de Ferney de lui apporter le viatique. Le curé répondit qu’il ne le pouvait qu’après que Voltaire aurait rétracté les mauvais ouvrages qu’il avait faits.

8 Le nom est supprimé dans la copie Beaumarchais et les éditions .

9 V* a corrigé de vouloir bien , dicté d'abord .

10 Assassins du chevalier de La Barre ; V* a ajouté ces mots au-dessus de la ligne .

 

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