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26/10/2024

J'ai la petite vanité de croire que je vais vite en besogne

... Dixit Macron ? Barnier ? Aucun des deux, la modestie n'est pas au programme .

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vanité des vanités, tout est vanité

 

 

« A Marie-Louise Denis

26è avril 1769

Perrachon arriva il y a quelques jours, ma chère nièce, et je reçois tous vos paquets 1 . Il y avait une lettre de M. d'Argental qui demandait une réponse prompte. Je lui écrivis sur-le-champ 2. J'ai été encore bien malade depuis . Enfin, je n'ai pu vous écrire qu'aujourd'hui .

Je vous dirai d'abord que je ne crois pas devoir faire aucune démarche avant que l'affaire des deux frères 3 soit faite ou manquée . J'ai prié M. d'Argental de m'envoyer sur-le-champ le mémoire des deux frères auxquels j'ai fait des additions et des corrections assez importantes . Dès que je les aurai fait porter sur le manuscrit qu'on me renverra je le ferai repartir sur-le-champ . Dans quelque saison que ce procès soit jugé, il ne m’importe ; il me suffira même de trois ou quatre audiences, et pourvu qu'elles me soient accordées, fut-ce dans la chambre des vacations, tout me sera bon . Ce procès est de nature qu'il est gagné s'il est plaidé ; et il en peut résulter des choses très agréables et très utiles .

Je ne sais si vous avez entendu parler d'un singulier procès qu'un prêtre dévot a fait à M. de La Borde, premier valet de chambre du roi , et à toute sa famille . La Borde prétend que son père en est mort de chagrin . Mais comme il avait quatre-vingt-quatre ans, il est à croire que le chagrin y a eu moins de part que la vieillesse . Cette affaire très désagréable a beaucoup nui à Pandore . Je ne sais pourquoi il ne songe à donner cette belle fête à madame la Dauphine . Cela coûterait quelque argent, mais du moins cet argent ne sort pas du royaume . On paie tous les ans quatre millions cinq cent mille livres aux Genevois, et des annates au pape : c'est là un argent qui ne revient plus .

On m'écrit de Versailles de très mauvaises nouvelles sur la caisse d'escompte . J'avais lieu de croire que c’était le meilleur effet de l'Europe ; nous nous étions trompés de même sur Bernard4 ; il ne faut compter sur rien.

Ferney commence à être beau, quoiqu’il y ait encore beaucoup de neige sur le mont Jura . Il est vrai que cette solitude est charmante l'été ; mais elle est horrible et mortelle l'hiver . Je ne sais pas encore quel parti je prendrai . Les deux frères me décideront . Je ne veux m'adresser d'ici à ce temps-là ni au notaire, ni à La Sourdière 5, ni à personne . Je pense même qu'un jour je pourrai faire mon affaire tout seul quand je voudrai . Nous raisonnerons de tout cela à loisir . Il faut d'abord que je cherche à raffermir un peu ma santé qui est bien délabrée . Si je n'en peux venir à bout tout est dit, il n'y a plus ni soins, ni crainte, ni espérance .

Vous savez que j'avais joué le pape aux trois dés, j'avais amené Stopani, et je le croyais pape ; je me suis trompé sur cela comme sur le reste . Je ne me trompe point en vous annonçant que Versoix ne va pas trop vite . Si on continue du même train, la ville ne sera bâtie que dans quatre générations . Le Châtelard va mieux car je m'en mêle . J'ai la petite vanité de croire que je vais vite en besogne, témoin le mémoire des deux frères qui fut fait en moins de quinze jours, et les épîtres qui n'en ont jamais conté que deux ou trois . Mais après ces efforts il faut se reposer longtemps .

Vous aurez dans un mois Mme Cramer, femme de Gabriel ; elle court à Strasbourg, de Strasbourg à Paris, de Paris à Prégny 6. Pour moi, mon plus grand voyage est au Châtelard, encore n'y vais-je que très rarement .

Adieu, je me flatte que vous vous portez très bien ce printemps . Mais mandez-moi donc quel projet de courir vous aviez . Aimez un peu ce pauvre vieux solitaire .

V.

La petite caisse que vous avez demandée 7 est partie hier par la diligence de Lyon, à votre adresse .»

1 Contenant une lettre importante de Mme Denis qui éclaire les relations entre les deux personnages :

« Ce 15 avril [1769] de Paris

Ce que vous me dites , mon cher ami au sujet de vos pâques est ce qu'on peut dire de mieux, et j'ai fait usage de votre lettre dans toutes les occasions . Chacun dit son mot et en général on ne sait ce que l'on dit . On parle des choses quatre jours puis on en parle plus . C'est un drôle de pays que celui-ci .

Votre santé m'inquiète . Il est très sûr que le genre de vie que vous avez pris n'est pas fait pour la rendre bonne . Vous avez moins besoin de société qu'un autre, j'en conviens, mais pourquoi vous attrister à plaisir et vous tuer de travail sans aucune dissipation que d'aller à la messe et d'avoir pour toute récréation le Père Adam ? Vous êtes né gai, la nature vous a prodigué tous les dons, ne perdez pas celui de la gaieté . Il fait vivre , il adoucit tous les maux, il ferait le bonheur de tous ceux qui vous approchent et qui vous aiment ( si vous vouliez vous laisser approcher ). Je vois que tous les vieillards qui poussent fort loin leur carrière sont gais et se dissipent . Vous m'avez reproché d’avoir rendu votre maison trop vivante . Autrefois cela ne vous déplaisait pas . Il y avait beaucoup de monde les jours de comédie, mais auriez-vous voulu qu'on jouât vos pièces aux chaises ? Enfin je l'ai fait pour vous, et croyant que cela pourrait vous plaire et vous délasser . Vous avez changé de façon de penser . Je crains que votre santé n'y perde . Du moins ne faudrait-il pas prendre le carême de haut, et avoir le soir quelqu'un avec qui vous puissiez vous délasser . Pourquoi attrister sa vie quand on a toutes les facilités possibles de la rendre agréable . Soyez sûr qu'il n'y a pas un homme tel qu’il soit qui ne voulût être dans votre position . En changeriez-vous avec un autre ? Certainement non .

Je ne sais ce que vous entendez en me disant que j'ai avancé mon voyage de trois jours pour revoir mes parents, mes amis,, les spectacles et pour jouir de tout ce que la capitale peut avoir d'agrément .

Vous savez mon cher ami que vous m’avez obligée et forcée de sortir de chez vous, que ne pouvant y rester malgré vous, je vous ai supplié de me permettre de me retirer à Lyon, que vous n'avez jamais voulu y consentir, qu'il m'a fallu aller de force à Paris, que vous me demandiez tous les jours si mes paquets étaient faits, que vous le faisiez demander à tous les gens de la maison . Voilà ce qui m'a fait partir la mort dans le cœur . Ce moment m'est toujours présent, il empoisonne ma vie, il me paraît aussi nouveau que le premier jour . Peut-être aurais-je dû vous résister ? Je n'en eus pas la force, j'avais le cœur crevé . Cependant, je ne vous fais aucun reproche, je n'ai pas cessé un moment de vous regretter et de vous aimer . Je sens jusqu'au fond de l'âme tout ce que vous faites pour moi et je suis toujours à vos ordres . Vous ne m'empêcherez pas de vous regarder comme mon père et comme mon meilleur ami . Il y a trente-deux ans que je vous aime de tout mon cœur, et il y en a vingt-six que je vous suis attachée uniquement . Je ne changerai jamais .

Vous devez avoir reçu ma lettre par Perrachon . Il mande ici qu'il est arrivé . Quand vous m'aurez répondu à cette lettre mon cher ami je vous dirai quels sont mes projets . Je les soumettrai à votre volonté . Je ne ferai rien que vous ne l'approuviez, mais je vous demande en grâce de me dire ce que vous comptez faire . Ne m'envoyez pas encore l'édition que je vous demande . Il faut auparavant que nous soyons concertés ensemble, et que je sache si vous approuverez mes desseins .

M. de Laborde n'a point eu de lettre de cachet, mais on l'a prié de rester dans ses terres . Il a emmené sa femme et ses enfants . Sa maison est fermée à Paris .

Mme la comtesse Du Barry a été présentée hier . On dit qu'elle était belle comme un ange .

Je ne louerai pas mon cher ami le petit appartement de Mme Dupuits . J'en aurais tout au plus cent écus, et comme je ne compte pas garder le mien encore longtemps, si j'en détachais celui-là cela pourrait m'empêcher de louer le grand . Malgré le goût que vous me croyez pour Paris je n'y resterai jamais que forcément et dès que vous me permettrez d'en sortir je ne perdrai pas de temps .

L'abbé Binet est dans une très mauvaise position . Je doute qu'il résiste longtemps . Cela est moralement impossible . M. de La Sourdière va être sur le pinacle .

J'ai reçu votre paquet de M. de La Borde . Je reçois très bien tous vos paquets . Mais La Borde passe sa vie avec une fille d'opéra et ne voit personne . Je l'ai fait prier cent fois de me venir voir sans avoir pu y parvenir . Je ne doute pas qu'il ne fasse de son mieux pour faire jouer son opéra . J'espère bientôt pouvoir vous dire des nouvelles des deux frères . Je vous embrasse bien tendrement . »

3Les Guèbres .

4Sur la faillite de Bernard, voir lettre du 11 avril 1754 à Mme Denis : « M. de Mauconseil [Etienne-Louis Guignot, marquis de Mauconseil, gouverneur de Colmar] m'assure que Bernard [Samuel-Jacques Bernard , qui par ses extravagances vint à bout de l'immense fortune accumulée par son père .] est mort absolument ruiné, qu'il le savait depuis trois ans, et que son notaire l'avertit alors de ne pas avoir à faire avec lui . Laleu, notaire de Bernard, nous a fait donner dans le traquet. »

5 Richelieu . Mme Denis emploie le même surnom dans sa lettre en parlant de lui .

6C'est-à-dire le château de Tournay .

7Apparemment les Œuvres complètes de V* que Mme Denis avait réclamées à son oncle par une lettre du 8 mars 1769.

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