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10/03/2025

Toutes nos marchandises sont du cru de France

... Ce qui est loin d'être possible dans le monde de la restauration, tout autant que le "fait maison". On peut leur accorder une petite excuse quand on voit par ailleurs le succès, chez la ménagère pressée et les célibataires, des plats cuisinés aux ingrédients d'origines douteuses qui ne les arrêtent pas le moins du monde.

 

 

« A Jeanne-Louise Pavée de Provenchères de Rochefort d'Ally

Ferney 31 auguste 1769 1

Madame Clotier,

J’ai reçu la vôtre, qui m’a fait une grande joie : car, quoique vous n’ayez pas dix-huit ans, cependant vous raisonnez comme une femme de quarante, et outre cela vous avez un très bon petit cœur, ce qui vous attirera toujours beaucoup d’amis. Un homme qui vous a vue dans votre province nous disait l’autre jour en famille : « Cette Mme Clotier est très belle, mais elle pourrait se passer de beauté. »

Nous sommes toujours très attachés, ainsi que monsieur votre époux, à M. l’abbé Bigot 2 et à M. d’Ermide 3. MM. de Bruguières 4, nos ennemis, nous accuseraient en vain de vendre de la contrebande ; nous n’en vendons point. Toutes nos marchandises sont du cru de France ; et pourvu qu’on ne nous desserve pas auprès de M. Le Prieur 5, nous nous moquons de MM. de Bruguières et des financiers 6. Nous souhaitons seulement que vous n’ayez plus la peste 7 et nous espérons toujours que M. Bigot sera votre médecin ; qu’il conservera toujours sa bonne réputation, malgré la tante 8, qui est, je crois, une bonne femme.

Notre manufacture va toujours son petit train, et nous comptons dans quelques semaines pouvoir vous envoyer des échantillons.

Nous reçûmes, il y a un mois, un maroquin rouge fort propre : nous ne savions d’où il venait ; mais enfin nous avons jugé qu’il vient de votre boutique, car vous n’avez que du beau et du bon . C’est une justice qu’on rend à Mme Clotier et à monsieur son cher époux.

Je suis, madame Clotier, avec un profond respect, votre très humble servante et commère.

Girafou. »

1 Copie contemporaine . Ed. Vie privée, qui porte Brunière pour Bruguières.

2 Le duc de Choiseul.

3 Le prince de Beauvau.

4 Gens du parlement .

5 Louis XV

6 La chambre des comptes .

7  Le duc de Villeroi.

8 Mme Du Barry.

Se tromper est très ordinaire, insulter en se trompant est odieux

...

 

« A Paul Foucher

Au château de Tournay ce 31è auguste 1769 1

Monsieur,

La persévérance à défendre ceux à qui on est attaché est une vertu , l’acharnement à soutenir une critique injurieuse et injuste n'est pas si honnête .

Quand on veut faire une critique, il faut consulter toutes les éditions, voir si elles sont conformes, examiner si une faute d'imprimeur que la malignité rejette souvent sur un écrivain n'est pas corrigée dans les dernières éditions . Un censeur est une espèce de délateur ; plus son rôle est odieux, plus il a besoin d'exactitude ; il faut qu'il ait raison en tout .

Celui qui fait imprimer dans le recueil d'une académie des outrages contre un homme d'une autre académie, manque à toutes les bienséances . Il ne faut pas dire : Je parierais bien que M. de *** n'a pas lu le livre dont il parle, parce que cette expression , je parierais bien est d'un style très bas ; parce que dire à un homme : Vous ne connaissez pas les choses dont vous parlez, est une injure grossière, parce qu'il est évident que vous auriez perdu votre gageure ; parce que non seulement l'homme que vous outragez connaît les choses dont il parle, mais les fait quelquefois connaître au public d'une manière à faire repentir ceux qui l'insultent au hasard ; parce que ce n'est pas une excuse valable de dire , comme vous faites : son nom est venu au bout de ma plume . Vous sentez bien, monsieur, que le vôtre peut venir au bout de la sienne et être connu du public .

Permettez-moi, monsieur, de faire ici une réflexion générale . Une des choses qui révoltent le plus les honnêtes gens, c'est cette obstination à vouloir pallier son sort . Se tromper est très ordinaire, insulter en se trompant est odieux . Chercher mille prétextes pour faire accroire qu'on a eu raison d'insulter un homme à qui on devrait des égards est le comble du mauvais procédé . Au reste, la personne avec laquelle vous en avez si mal agi n'a jamais lu votre ouvrage, elle en a été avertie par quelques amis . J'ai vengé la vérité, j'ai fait mon devoir et vous n'avez pas fait le vôtre .

Je suis, monsieur, etc.

Bigex. 

P. – S. Vous pensez, à ce que je vois par votre dernière lettre, que l'on m'a dicté mes réponses . Vous vous trompez en cela comme dans tout le reste . Je ne suis d'aucune académie, mais je sais m'exprimer et je connais les devoirs de la société .»

1 Copie de la main de Bigex ; éd. Lefèvre . Ceci représente la dernière lettre connue de la main de ce copiste . La mention du château de Tournay est bizarre ; V* n'y habitait plus depuis plusieurs années . Voir lettre du 30 avril 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/10/30/j-espere-que-vous-serez-content-de-ma-politesse-6520988.html