31/05/2010
Quelquefois on se sert (et surtout en semblables occasions) de gens sans conséquence
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
A Ferney, 30 mai [1772] à vous seul je vous en supplie
Mon héros,
L’impératrice de Russie qui me fait l’honneur de m’écrire plus souvent que vous, me mande par sa lettre du 10 avril qu’elle enverra en Sibérie les prisonniers français. [« …je sais un remède qui … guérira (ces fous de soi-disant Confédérés polonais). J’en ai aussi pour ces petits-maitres sans aveu qui quittent Paris pour venir servir de précepteurs à des brigands. Ce dernier remède vient en Sibérie ils le prendront sur les lieux. Ses secrets ne sont point ceux d’un charlatan : ils sont efficaces. » Parmi les prisonniers se trouvait Claude-Gabriel de Choisy] On les croit déjà au nombre de vingt quatre.
Il se peut qu’il y en ait quelques-uns auxquels vous vous intéressiez. Il se peut aussi que le ministère ne veuille pas se compromettre en demandant grâce pour ceux dont l’entreprise n’a pas été avouée par lui.
Quelquefois on se sert (et surtout en semblables occasions) de gens sans conséquence. J’en connais un [V*] qui n’est de nulle conséquence et que même quelquefois vous appelâtes inconséquent. Il serait prêt à obéir à des ordres positifs, sans répondre du succès, mais assurément il ne hasarderait rien sans un commandement exprès. Il se souvient qu’il eut le bonheur d’obtenir la liberté de quelques officiers suisses pris à la journée de Rosback. Il ne se flatte pas d’être toujours aussi heureux. Mais il est plus ennemi du froid que des mauvais vers, et tient que les Français sont très mal à leur aise en Sibérie.
Il attend donc les ordres de Monseigneur le maréchal, supposé qu’il veuille lui en donner de la part du ministre des Affaires étrangères ou de celui de la Guerre.
Oserais-je, Monseigneur, vous demander ce que vous pensez du procès de M. de Morangé [Morangiès]? Il court dans Paris la copie d’une lettre de moi sur cette affaire. [Le 27 avril à Marin : « J’ai lu le mémoire en faveur de M. le comte de Morangiès. J’ai été fort lié dans ma jeunesse avec madame sa mère … je ne peux pas imaginer qu’il perde son procès. Il est vrai qu’il a commis une grande imprudence en confiant à des gredins des billets pour cent mille écus. Les grandes affairent se traitent souvent ainsi à Lyon et à Marseille. Oui, mais c’est avec des banquiers et des négociants accrédités et non pas avec des gueuses qui prêtent sur gage. » Il rappelai ensuite l’histoire « d’une friponne de janséniste… nommée Genep » à Bruxelles en 1740. Morangiès aurait donné un reçu pour de l’argent qu’il n’aurait pas touché ; affaire très complexe] Cette copie est fort infidèle, et celui qui l’a divulguée n’est pas discret. Quoi qu’il en soit, je me mets aux pieds de mon héros avec soumission profonde.
V. »
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30/05/2010
Je ne m’étonne point qu’il ait trouvé tout d’un coup le secret de se faire des ennemis
« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d’Hornoy
Conseiller au Parlement
rue d’Anjou, au Marais à Paris
30è mai à Ferney [1766]
Je vous suis sensiblement obligé des mémoires pour et contre Lally, et encore plus de l’espérance que vous me donnez de vous voir cet automne. J’avais fort connu ce Lally autrefois, [Lally et V* militaient ensemble pour le prétendant Charles-Edouard en 1745-1746 ; la France avait préparé un débarquement en Angleterre avec Richelieu comme commandant des troupes. Lally a été condamné à mort et conduit bâillonné au supplice le 9 mai 1766] et je l’avais connu pour un jeune homme violent et absurde. Je ne m’étonne point qu’il ait trouvé tout d’un coup le secret de se faire des ennemis de tous les officiers, et de tous les habitants de Pondichéry. Je ne doute pas qu’il n’ait été légitimement condamné, mais j’avoue que je ne vois pas pourquoi. Les mémoires ne contiennent que des injures assez vagues, et des récits confus d’opérations militaires dont un conseil de guerre aurait bien de la peine à juger. Il faut qu’il y ait eu des concussions, et cependant ses nombreux ennemis n’en articulent aucune. Le terme de concussion ne se trouve pas même dans l’arrêt. Vous avez, Dieu merci, Messieurs, la coutume de ne jamais motiver vos jugements, et vous êtes, je crois les seuls dans l’Europe qui soyez dans cet usage. Vous me feriez un extrême plaisir de me dire précisément sur quoi il a été condamné et à quoi se montait son bien. Je présume qu’il ne vous sera pas difficile de la savoir de vos confrères.
Je vous demande une autre grâce, c’est de vouloir bien m’instruire de l’édifiante affaire des capucins. [« Est-il vrai que les capucins ont assassiné leur gardien à Paris » demande V* à Damilaville le 23 mai ; déception quand il apprendra que le supérieur s’est simplement suicidé] J’ai un goût si décidé pour les gens de cette espèce que je m’intéresse vivement à tout ce qui regarde la sainteté de leur ordre, surtout quand il y a mort d’homme. Je souhaite que pareille aventure puisse arriver chez tous les moines ; on les rendrait tous à la charrue qu’ils ont quittée. Votre tante et moi, y gagnerions beaucoup; nous sommes au rang des meilleurs cultivateurs du royaume et nous manquons de manœuvres. Nous attellerions d’un côté six bœufs et de l’autre six moines, et nous verrions qui labourerait le mieux. On pourrait aussi trouver parmi leurs jeunes gens quelques bons sujets pour la comédie. Les cordeliers, surtout, ont la voix forte et sonore, et on prétend que c’est-ce qui manque à vos acteurs.
Adieu, Monsieur, j’embrasse tendrement neveux [la mère et le beau-père du destinataire, marquise et marquis de Florian] et arrière-neveux [le destinataire et le neveu du marquis de Florian, futur fabuliste, (« neveu par ricochet. »de V*) ; Alexandre habite chez le marquis]. Songez, je vous en prie à mes deux requêtes.
V »
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29/05/2010
vous êtes dans une place où vous pouvez faire du mal
« A Nicolas-Jean-Baptiste Ravot d’Ombreval
Lieutenant général de la police
Monsieur,
Je vous aurai obligation toute ma vie de ce que vous avez bien voulu faire en faveur du pauvre abbé Desfontaines [accusé de sodomie, Desfontaines a été mis au Châtelet le 18 décembre 1724, puis enfermé à Bicêtre -prison des sodomites- le 25 avril 1725 ; malgré le témoignage digne de foi d‘un jeune homme de seize ans, il fut libéré le 24 mai 1725. V* était intervenu en sa faveur auprès d‘Ombreval et aussi auprès de Mme de Prie ; M. de Bernières, vaguement parent de Desfontaines était aussi intervenu]; tous les gens de lettres qui connaissent son mérite supérieur [il a relancé le Journal des savants qu’on lui a confié en 1724] partageront ma reconnaissance. S’il a été coupable de quelque indiscrétion,[le témoignage du jeune homme est accablant ; de plus, il a fait une édition de La Henriade, à Evreux (adresse fictive Amsterdam) où il comble des lacunes par des vers de sa façon] il en a été bien cruellement puni ; mais je puis vous assurer qu’il est incapable du crime infâme qu’on lui attribue,[V* n’oubliera cepandant pas de ressortir cette accusation plus tard] et que d’ailleurs il mérite par sa probité, et j’ose dire par son malheur, que vous lui donniez votre protection et que vous daigniez parler en sa faveur à Mgr le duc,[le duc de Bourbon, premier ministre ; Desfontaines, dans ses remerciements à V*, demande de faire lever sa condamnation à l’exil à trente lieues de Paris ; V* l’obtiendra le 4 juin] vous êtes dans une place où vous pouvez faire du mal, mais votre cœur vous porte à faire du bien. Pour moi, Monsieur, je n’ai que des grâces à vous rendre, et je joins les sentiments de la plus vive reconnaissance au respect que j’ai pour votre personne et avec lequel je suis votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire.
A Versailles ce mardi matin [29 mai 1725] »
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28/05/2010
on va créer un nouvel impôt pour avoir de quoi acheter des dentelles et des étoffes pour la demoiselle
« A Marguerite-Madeleine du Moutier, marquise de Bernières
A Versailles ce lundi à onze heures [28 mai 1725]
Hier à dix heures et demie le roi déclara qu’il épousait la princesse de Pologne,[27 mai, ce qui permet de dater la lettre] et en parut très content ; il donna son pied à baiser à M. d’Epernon et son cul à M. de Maurepas, et reçut les compliments de toute sa cour qu’il mouille tous les jours à la chasse par la pluie la plus horrible. Il va partir dans le moment pour Rambouillet, et épousera Mlle Lesinzka à Chantilly. Tout le monde ici fait sa cour à Mme de Bézeval [née Catherine de Bielenska, mère de Pierre de Bésenval qui écrira des nouvelles, des Mémoires et en temps que commandant des troupes à Paris, n’enpêchera pas la prise de la Bastille le 14 juillet 1789] qui est un peu parente de la reine. Cette dame qui a de l’esprit reçoit avec beaucoup de modestie les marques de bassesse qu’on lui donne. Je la vis hier chez M. le maréchal de Villars, on lui demanda à quel degré elle était parente de la reine, elle répondit que les reines n’avaient point de parents. Les noces de Louis XV font tort au pauvre Voltaire, on ne parle de payer aucune pension [il a une pension de 2000 livres], ni même de les conserver. Mais en récompense on va créer un nouvel impôt pour avoir de quoi acheter des dentelles et des étoffes pour la demoiselle Lesinzka. Ceci ressemble au mariage du soleil qui faisait murmurer les grenouilles [fable de La Fontaine : « le soleil et les grenouilles. »]. Il n’y a que trois jours que je suis à Versailles et je voudrais déjà en être dehors. La Rivière-Bourdet [résidence du marquis en Normandie] me plaira plus que Trianon et Marly, et je ne veux dorénavant d’autre cour que la vôtre. Mandez-moi des nouvelles de votre santé. Digérez-vous bien, allez-vous souvent aux spectacles, avez-vous fait dire à Dufresne et à la Couvreur [Adrienne Lecouvreur] de jouer Mariamne,[échec de la première version en mars 1724 ; remaniée, devenue Hérode et Mariamne, elle eut du succès dès la première représentation du 10 avril 1725 et par la suite, à la cour et à la ville ; la cour y reconnaissait ses conflits élevés à la tragédie] . l’abbé Desfontaines est-il en liberté [cf. lettre du 29 mai à d‘Ombreval], Thiriot est-il toujours bien sémilllant ? Mes respects à M. de Bernières, et conservez-moi toujours votre amitié don[t] je fais plus de cas que de m[a] pension et de ceux qui la don[nent]. »
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27/05/2010
Ce n’est que pour les autres que je vis avec opulence
« A Nicolas-Claude Thiriot
A Montriond 27 mai [1756]
Je crois, mon ancien ami, que le braiement de l’âne de Montmartre est aux Délices.[#1] Je verrai ce que c’est à mon retour dans cet ermitage. Ma nièce de Fontaine y arrive incessamment. J’aurais bien voulu qu’elle vous eût amené ; et que vous aimassiez la campagne comme moi. Il y en a de plus belles que la mienne. Mais il n’y en a guère d’aussi agréables. Je suis redevenu sybarite et je me suis fait un séjour délicieux, mais je vivrais aussi aisément comme Diogène que comme Aristippe.[ #2] Je préfère un ami à des rois. Mais en préférant une très jolie maison à une chaumière je serais très bien dans la chaumière. Ce n’est que pour les autres que je vis avec opulence. Ainsi je défie la fortune et je jouis d’un état très doux et très libre que je ne dois qu’à moi. Quand j’ai parlé en vers des malheurs des humains mes confrères, c’est par pure générosité. Car à la faiblesse de ma santé près, je suis si heureux que j’en ai honte. Je vous aimerais bien mieux encore compagnon de ma retraite qu’éditeur de mes rêveries.
Les faquins qui poursuivent la mémoire de Bayle méritent le mépris et le silence. Je vous remercie de supprimer la petite remarque qui leur donne sur les oreilles. [ #3] Tout le reste aura son passeport chez les honnêtes gens. Il est vrai que cette seconde édition parait bien tard, et qu’on a donné trop de temps aux sots pour répandre leurs préjugés sur la première. Celle-ci est aussi forte mais elle est mesurée et accompagnée de correctifs qui ferment la bouche à la superstition tandis qu’ils laissent triompher la philosophie.
Je vous ai déjà mandé que je ne suis pas partisan de ce vers : tandis que de la grâce etc., mais que j’aime mieux un vers hasardé qu’un vers plat. [à Thiriot, le 8 mai : « Je sais bien que De la grâce ardent à se toucher est une expression un peu hardie, mais elle est plus supportable que le vers qu’on a mis à la place. Le vers de substitution fut maintenu!]
Je ne sais pas ce qu’on veut dire par les prétendues dissensions des Cramer. Il n’y en a jamais eu l’ombre. Ce sont des gens d’une très bonne famille de Genève qui ont de l’éducation et beaucoup d’esprit. Ils sont pénétrés de mes bienfaits tout minces qu’ils sont, et ont fait un magnifique présent à mon secrétaire. Ce secrétaire par parenthèse est un florentin très aimable, très bien né, et qui mérite mieux que moi d’être de l’Académie de la Crusca. [Collini quittera V* le 12 juin, mais ils resteront en correspondance]
Vous voilà donc moine de Saint-Victor [le 28 novembre, V* félicitera Thiriot de quitter ce monastère]. Je l’ai été de Senones, j’ai travaillé avec dom Calmet pendant un mois. [un peu moins en juin-juillet 1754 ; à Mme Denis, il avait écrit : « je ‘passerai deux jours à Senones …» et y restera près de trois semaines] Je travaille actuellement avec des calvinistes, et je m’en trouve bien, excommunication à part. Mandez-moi où il faut vous écrire.
Interea vale et me ama.
V.»
#1 Les Pensées philosophiques d’un citoyen de Montmartre, 1756, de Pierre Sennemaud qu’il a demandées à Thiriot le 8 mai. Le 4 juin, après les avoir parcourues, il prétendra « savoir par une voie très sûre que Fréron et La Beaumelle ont composé ce … libelle »
#2 Cette double comparaison figure dans le portrait de V* qui a circulé en 1735, dont il parle à Thiriot le 15 juillet 1735 et qui reparait en juin 1756, notamment dans les journaux anglais.
#3 Le Parlement a condamné le 9 avril 1756 l’Analyse raisonnée de Bayle, ou abrégé méthodique de ses ouvrages, de François-Marie de Maray (1756), à la demande d’Omer Joly de Fleury. V* a demandé à Thiriot le 30 avril d’édulcorer dans l’édition de Lambert à Paris du Poème sur Lisbonne un passage d’une note concernant Bayle, et en particulier, une phrase où ceux qui critiquent Bayle étaient traités d’inconséquent et d’injustes, ce qui était « une prophétie ». Ces corrections ne sont que dans l’édition parisienne.
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26/05/2010
il mourra content
Dernier écrit de la main de Voltaire :
« Au chevalier Trophime-Gérard de Lally-Tollendal
Le 26 de mai [1778]
Le mourant ressuscite en apprenant cette grande nouvelle ;[l’arrêt du parlement qui avait condamné le père naturel du chevalier venait d’être cassé . V* « ressuscite » effectivement . Les éditeurs de Kehl notent que V* « était au lit de mort… sembla se ranimer pour écrire ce billet ...; il retomba après l’avoir écrit, dans l’accablement dont il n’est plus sorti… »] il embrasse bien tendrement M. de Lally ; il voit que le roi est le défenseur de la justice ; il mourra content. »[le 30 mai]
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25/05/2010
à Lausanne, il y a six semaines, en bonnet de nuit et en robe de chambre.
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Aux Délices 24 mai [1758]
Mon divin ange, je vous envoie de la prose. Vous aimeriez mieux une tragédie. Je le sais bien, et j’aimerais mieux travailler pour vous que pour l’Encyclopédie. Mais entre nous il est plus aisé de faire le métier de Diderot que celui de Racine. Je vous demande en grâce de lire cet article Histoire. [Nouvelle version de l’article] Il me semble qu’il y a quelque chose d’assez neuf et d’assez utile. Mais si vous n’en jugez pas ainsi, j’en jugerai comme vous. J’ai plus de foi à votre goût que je n’ai d’amour propre.
Je n’en ai point sur mon portrait, [demandé par l’Académie française (cf. lettre du 17 décembre 1757) ; V* voulait donner une copie du Quentin de La Tour. Il disait, le 8 mai, de ce nouveau portrait - exécuté par Liotard- : « Cette platitude est mon portrait. Un gros et gras Suisse, barbouilleur en pastel, qu’on m’avait vanté comme un Raphaël, me vint peindre à Lausanne, il y a six semaines, en bonnet de nuit et en robe de chambre. »] c’est l’amour-propre dont je parle. Vous dites que le portrait ne me ressemble pas. Vous êtes la belle Javotte [une parodie de Mérope, Javotte de Valois d’Orville a été jouée au Théâtre de la Foire] et moi le beau Cléon. Vous croyez qu’après huit ans la charpente de mon visage n’a point changé. [En fait quatre ans ; ils se sont vus à Plombières] Je vous jure en toute humilité que le portrait ressemble. Je le trouve encore bien honnête à mon âge de soixante et quatre ans et si vous vouliez vous entendre avec mon patron d’Olivet pour en faire tirer une copie et la nicher dans l’Académie au dessous de la grosse et rubiconde face de M. l’abbé de Bernis vous empêcheriez nos amis les dévots de dire qu’on n’a pas osé mettre la mine d’un profane comme moi au -dessous de celle du plus gras des abbés. Laleu paierait ce qu’il faudrait, [notaire à Paris] peintre et bordure. J’aurais plus de raisons, mon cher et respectable ami, de vous demander votre effigie, que vous de demander la mienne. Mais j’espère vous voir en personne. Je ne peux pas concevoir que Mme de Grolée ne vous prie pas à mains jointes de venir la voir. Et alors je serai un homme heureux.[V* encourage d’Argental à venir voir sa tante, Mme de grolée, sœur du cardinal de Tencin, pour « mitonner » l’héritage du riche cardinal, son oncle ; cf. lettre du 21 avril] J’aurais bien des choses à vous dire à présent ; et surtout sur le ridicule dont je suis affublé de ne pouvoir venir qu’après la paix.[en marge V* a écrit « secreto » valable pour la suite de sa lettre. Il avait été jugé indésirable à cause de sa correspondance avec Frédéric pour essayer de négocier une paix séparée qui déplaisait à l’alliée autrichienne ; cf. lettres du 2 décembre 1757, 10 décembre, 17 et 24 décembre] Cette aventure est d’un très bon comique.
Il est vrai, mon cher ange, que dans les horreurs et les vicissitudes de cette guerre il y a eu des scènes bouffonnes comme dans les tragédies de Shakespeare. Premièrement le roi de Prusse, qui a un petit grain dans la tête, fait un opéra en vers français de ma tragédie de Mérope en faisant son traité avec l’Angleterre, et m’envoie ce beau chef d’œuvre. Ensuite quand il est battu, et que les Hanovriens sont chassés d’Hanovre, [pour la situation de Frédéric avant Rossbach, cf. lettres du 19 juillet 1757 à Richelieu et 2 septembre à François Tronchin.] il veut se tuer, il fait son paquet, il prend congé en vers et en prose. Moi qui suis bon dans le fond, je lui mande qu’il faut vivre, [lettre du 15 octobre 1757 à Frédéric] je le conseille comme Cinéas conseillait Pyrrhus. [Cinéas conseille à Pyrrhus de mettre fin à ses conquêtes et de profiter de la vie] J’aurais voulu même qu’il se fût adressé à M. le maréchal de Richelieu pour finir tout en cédant quelque chose. Arrive alors l’inconcevable affaire de Rosback, et voilà mon homme qui voulait se tuer tue en un mois Français, Autrichiens, et est le maître des affaires. Cette situation peut changer demain, mais elle est très affermie aujourd’hui. Or maintenant je suppose que les Autrichiens ont intercepté mes lettres, y a-t-il là de quoi leur donner la moindre inquiétude ? n’est-ce pas le lion qui craint une souris ? qu’ai-je affaire à tout cela, s’il vous plait ? Tout le monde, je crois, souhaite la paix. Si on empêche de venir dans votre ville tous ceux qui désirent la fin de tant de maux, il ne viendra chez vous personne.
J’avoue que je voudrais que M. de Staremberg fût bien persuadé que personne n’a plus applaudi que moi au traité de Versailles [traités d‘alliance entre la France et l‘Autriche signés le 1er mai 1756 et le 1er mai 1757 avec Staremberg, représentant l‘Autriche à Paris]. En qualité de spectateur de la pièce, j’ai battu des mains dans un coin du parterre.
C’est une chose bien rare que le roi de Prusse m’ayant fait tant de mal, les Autrichiens m’en fassent encore. Patience, Dieu est juste. Mais en attendant que je sois récompensé dans l’autre monde, votre ami M. le chevalier de Chauvelin l’ambassadeur ne pourrait-il pas à votre instigation dire un petit mot de moi à cet ambassadeur impérial et royal ? [Bernard-Louis (alias François-Claude) de Chauvelin, ambassadeur à Turin, accepta] Ne pourrait-il pas lui glisser qu’il y a un barbouilleur de papier qui a trouvé son traité admirable, et qui désire d’en écrire un jour les suites heureuses ? Ce serait là une belle négociation. M. de Chauvelin verrait ce que M. de Staremberg pense.
Pour moi je pense que ce monde est fou, et que vous êtes le plus aimable des hommes.
Si vous trouvez l’article Histoire passable, voulez-vous bien en parler à Diderot, secundo magnam prudentiam tuam, [selon ta grande prudence] car il serait dur de perdre ses peines. » [Voir lettre du 19 mai ; « Avez-vous vu Diderot ? Veut-il accepter les articles qu’on m’avait confiés ? »]
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