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05/05/2010

une âme ... les sots n’en ont pas





« A Frédéric II roi de Prusse

5 mai [1741]



Je croyais autrefois que nous n’avions qu’une âme,
Encor est-ce beaucoup, car les sots n’en ont pas ;
Vous en possédez trente, et leur céleste flamme
Pourrait seule animer tous les sots d’ici-bas.

Minerve a dirigé vos desseins politiques ;
Vous suivez à la fois Mars, Orphée, Apollon ;
Vous dormez en plein champ sur l’affut d’un canon ;
Neiperg fuit devant vous aux plaines germaniques.

César, votre patron, par qui tout fut soumis,
Aimait aussi les arts, et sa main triomphale
Cueille encor des lauriers dans ses nobles écrits ;
Mais a-t-il fait des vers au grand jour de Pharsale ?

A peine ce Neiperg est-il par vous battu,
Que vous prenez la plume en montrant votre épée ;
Mon attente, ô grand roi ! n’a point été trompée,
Et non moins que Neiperg mon génie est vaincu.


Sire, faire des vers et de jolis vers après une victoire,[victoire de Molwitz le 10 avril ; V* dans ses Mémoires écrira : « … le maréchal de Schwerin … gagna la bataille aussitôt que le roi de Prusse se fut enfui. Le monarque revint le lendemain, et le général vainqueur fut peu après disgrâcié » !] est une chose unique et par conséquent réservée à Votre Majesté. Vous avez battu Neiperg et Voltaire. Votre Majesté devrait mettre dans ses lettres des feuilles de laurier, comme les anciens généraux romains. Vous méritez à la fois le triomphe du général et du poète, et il vous faudrait deux feuilles de laurier au moins.

J’apprends que Maupertuis est à Vienne ; je le plains plus qu’un autre [Maupertuis avait été pris, dépouillé et envoyé à Vienne avec les prisonniers. V* le 2 mai fait des plaisanteries à Valori sur ce sujet. Dans ses Mémoires, il mettra le savant « suiv[ant] Sa Majesté sur son âne, du mieux qu‘il p(o)u(vai)t« !] ; mais je plains quiconque n’est pas auprès de votre personne. On dit que le colonel Camus [Camas mort de maladie le 14 avril] est mort bien fâché de n’être pas tué à vos yeux. Le major Knobertoff [le 2 juin, Frédéric écrit à V* que c’est le major de dragons Knobelsdorff qui a été tué, et non l’architecte du même nom que connait V*] (dont j’écris mal le nom) a eu au moins ce triste honneur dont Dieu veuille préserver Votre Majesté. Je suis sûr de votre gloire, grand roi, mais je ne suis pas sûr  de votre vie ; dans quels dangers et dans quels travaux vous la passez, cette vie si belle ! des ligues à prévenir ou à détruire, des alliés à se faire ou à retenir, des sièges, des combats, tous les desseins, toutes les actions et tous les détails d’un héros ; vous aurez peut-être tout, hors le bonheur. Vous pourrez, ou faire un empereur ou empêcher qu’on en fasse un,[Charles VI, empereur, est mort en octobre 1740] ou vous faire empereur vous-même ; si ce dernier cas arrive, vous n’en serez pas plus sacrée Majesté pour moi.

J’ai bien de l’impatience de dédier Mahomet à cette adorable Majesté [dédicace qui figurera en 1743 dans l‘édition de Mahomet]. Je l’ai fait jouer à Lille,[par La Noue le 25 avril] et il a été mieux joué qu’il ne l’eût été à Paris,[« La Noue avec sa physionomie de singe a joué … bien mieux que n’eût fait Dufresne. »] mais, quelque émotion qu’il ait causée, cette émotion n’approche pas de celle que ressent mon cœur en voyant tout ce que vous faites d’héroïque. » [cf. lettre à Cideville du 13 mars]

il ne serait point de l’équité du roi de bannir un homme de sa patrie, pour avoir été assassiné

 

 

 

« A René Hérault

Ce 5è mai 1726 à Calais à neuf heures du matin
chez monsieur Dunoquet, trésorier des troupes.

J’arrive à Calais, Monsieur, fort reconnaissant de la permission que j’ai de passer en Angleterre,[« la permission d’aller incessamment en Angleterre » demandée par V* à Maurepas, suite aux coups de bâtons reçus de la part du chevalier de Rohan, et n’ayant pu obtenir réparation par duel, fut mis à la Bastille la nuit du 17 au 18 avril] très respectueusement affligé d’être exilé à cinquante lieues de la cour. D’ailleurs pénétré de vos bontés et comptant toujours sur votre équité.

Je suis obligé, monsieur, de vous dire que je n’irai à Londres que lorsque j’aurai rétabli ma santé assez altérée par les justes chagrins que j’ai eus. Quand même je serais en état de partir, je me donnerais bien garde de le faire en présence d’un exempt,[quand Hérault avait écrit au gouverneur de la Bastille de « faire sortir le sieur Voltaire », il avait précisé que « l’intention du roi et de S. A. Mgr le duc est qu’il soit conduit en Angleterre. Ainsi le sieur Condé l’accompagnera jusqu’à Calais, et le verra embarquer et partir de ce port ».] afin de ne pas donner lieu à mes ennemis  de publier que je suis banni du royaume. J’ai la permission et non pas l’ordre d’en sortir. Et je n’ose vous dire qu’il ne serait point de l’équité du roi de bannir un homme de sa patrie, pour avoir été assassiné [Rohan Chabot avait attiré V*dans un traquenard à la porte de l’hôtel de Sully et fait battre à coups de gourdin. Aucun des amis titrés de V* , y compris le duc de Sully qui avait servi d’appât, ne prit ouvertement parti de V* contre un descendant de la grande famille de Rohan.] . Si vous le voulez, monsieur, je vous notifierai mon départ lorsque je pourrai aller en Angleterre. D’ailleurs les ordres du roi qui me sont toujours respectables me deviendront chers quand ils passeront par vos mains. Je vous supplie d’être persuadé du respectueux attachement avec lequel je suis, indépendamment de tout cela, votre très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire »

04/05/2010

ordinairement si docile je me trouve d’une opiniâtreté qui me fait sentir combien je vieillis.





« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

4 mai 1767

Vous êtes plus aimable que jamais, mon cher ange, et moi plus importun et plus insupportable que ne l’ai été. Moi qui suis ordinairement si docile je me trouve d’une opiniâtreté qui me fait sentir combien je vieillis. Ce monologue  [dans Les Scythes] que vous demandez, je l’ai entrepris de deux façons. Elles détruisent également tout le rôle d’Obéide. Ce monologue développe tout d’un coup ce qu’Obéide veut se cacher à elle-même dans tout le cours de la pièce. Tout ce qu’elle dira ensuite n’est plus qu’une froide répétition de son monologue ; il n’y a plus de gradations, plus de nuances, plus de pièce. Il est de plus si indécent qu’une jeune fille aime un homme marié que quand vous y aurez fait réflexion, vous jugerez ce parti impraticable.

Il y a plus encore, c’est que ce monologue est inutile. Tout monologue qui ne fournit pas de grands mouvements d’éloquence est froid. Je travaille tous les jours à ces pauvres Scythes malgré les éditions qu’on en fait partout.

Lacombe vient d’en faire une qu’il m’envoie, mais il n’y a pas la moitié des changements que j’ai faits, il ne pouvait pas encore les avoir reçus. Il n’a fait cette nouvelle édition que dans la juste espérance où il était que la pièce serait reprise après Pâques. C’est encore une raison de plus pour que je [ne] puisse exiger de lui qu’il donne cent écus à Lekain. J’aime beaucoup mieux les donner moi-même.

Il est bien vrai que tout dépend des acteurs. Il y a une différence immense entre bien jouer et jouer d’une manière touchante, entre se faire applaudir et faire verser des larmes. M. de Chabanon et M. de La Harpe viennent d’en arracher à toutes les femmes dans le rôle de Nemours et dans celui de Vendôme, et à moi aussi [dans Adélaïde du Guesclin sur le théâtre de V*].

Je doute fort qu’on puisse faire des recrues pour Paris. On a écarté et rebuté les bons acteurs qui se sont présentés. Je ne crois pas qu’il y en ait actuellement deux en province dignes d’être essayés à Paris. Je vous l’ai déjà dit, les troupes ne subsistent plus que de l’opéra-comique. Tout va au diable, mes anges, et moi aussi.

Ma transmigration de Babylone me tient fort au cœur [il a prévu d’acquérir une propriété près de Lyon ; il le dira à Richelieu le 25 avril] . Ce que vous me faites entrevoir redoublera mes efforts, mais j’ai bien peur que la situation présente de mes affaires ne me rende cette transmigration aussi difficile que mon monologue. Je me trouve à peu près dans le cas de ne pouvoir ni vivre dans le pays de Gex ni aller ailleurs. Figurez-vous que j’ai fondé une colonie à Ferney ; que j’y ai établi un marchand, un chirurgien ; que je leur bâtis des maisons ; que si je vais ailleurs, ma colonie tombe ; mais aussi, si je reste, je meurs de faim et de froid. On a dévasté tous les bois ; le pain vaut cinq sols la livre. Il n’y a ni police ni commerce. J’ai envoyé à M. le duc de Choiseul, conjointement avec le syndic de la noblesse, un mémoire très circonstancié. J’ai proposé que M. le duc de Choiseul renvoyât ce mémoire à M. le chevalier de Jaucourt qui commande dans notre petite  province. Il a oublié mon mémoire, ou s’en est moqué ; et il a tort car c’est le seul moyen de rendre à la vie un pays désolé qui ne sera plus en état de payer les impôts. On a voulu faire, malgré mon avis, un chemin qui conduisit de Lyon en Suisse en droiture [le 10 février, V* écrit à Pierre Buisson, chevalier de Beauteville, un des médiateurs chargé de mettre fin aux troubles de Genève : « … il faudrait un port au pays de Gex ; ouvrir une grande route avec la Franche-Comté ; commercer directement de Lyon avec la Suisse par Versoix ;… »] ; ce chemin s’est trouvé impraticable.

Je vous demande pardon de vous ennuyer de ces détails ; mais je vois qu’avec la meilleure volonté du monde on nous ruinera sans en retirer le moindre avantage. Je me suis dégoûté de la Guerre de Genève [Guerre civile de Genève]; je n’ai point mis au net le second chant, et je n’ai pas actuellement envie de rire.

J’écris une lettre au sculpteur qui s’est avisé de faire mon buste [Rosset ; cf. lettre du 11 avril à d‘Argental]. C’est un original capable de me faire attendre trois mois au moins ; et ce buste sera au rang de mes œuvres posthumes.

Il peut être encore un acteur à Genève dont on pourrait faire quelque chose. Il est malade ; quand il sera guéri, je le ferai venir. La Harpe le dégourdira. Pour moi, je suis tout engourdi. D’ordinaire la vieillesse est triste ; mais la vieillesse des gens de lettres est la plus sotte chose qu’il y ait au monde. J’ai pourtant un cœur de vingt ans pour toutes vos bontés ; je suis sensible comme un enfant ; je vous aime avec la plus vive tendresse.

V »

03/05/2010

Il y a des gens qui craignent de manier des araignées, il y en a d'autres qui les avalent.


« A Jean le Rond d'Alembert

1 de mai [1768]

Mon cher ami, mon cher philosophe, que l'être des êtres répande ses éternelles bénédictions sur son favori d'Aranda, sur son très cher Mora, et sur son bien-aimé Villa-Hermosa [le marquis de Mora et le duc de Villa-Hermosa avaient été envoyés à V* par d'Alembert. Le même jour, V* écrit au marquis de Vieilleville : « Le marquis de Mora , fils du comte de de Fuentes ambassadeur d'Espagne à Paris, gendre de ce célèbre M. le comte d'Aranda qui a chassé les Jésuites d'Espagne et qui chassera bien d'autres vermines, est venu passer trois jours avec moi ... C'est un jeune homme d'un mérite bien rare...].

Un nouveau siècle se forme chez les Ibériens. La douane des pensées n'y ferme plus l'allée à la vérité, ainsi que chez les Velches. On a coupé les griffes au monstre de l'Inquisition [Charles III et ses conseillers n'osèrent pas supprimer l'Inquisition, mais ils soumirent ses décrets à l'approbation du Conseil royal et ils adoucirent procédures et pénalités. Dans la Princesse de Babylone, qui vient de paraitre, V* fait jeter au feu par le héros les Inquisiteurs de la « Bétique »], tandis que chez vous le bœuf-tigre [Pasquier, du parlement de Paris dont « la langue est si bonne à cuire » ; cf. lettre à d'Alembert du 16 septembre 1766] frappe de ses cornes et dévore de ses dents            .

L'abominable jansénisme triomphe dans notre ridicule nation, et on ne détruit des rats que pour nourrir des crocodiles. A notre avis, que doivent faire les sages quand ils sont entourés d'insensés barbares ? Il  y a des temps où il faut imiter leurs contorsions et parler leur langage. Mutemus clypeos [changeons de boucliers]. Au reste, ce que j'ai fait cette année [ses Pâques ; cf. lettre du 22 avril à d'Argental], je l'ai déjà fait plusieurs fois, et, s'il plait à Dieu, je le ferai encore. Il y a des gens qui craignent de manier des araignées, il y en a d'autres qui les avalent.

Je me recommande à votre amitié et à celle des frères. Pussent-ils être tous assez sages pour ne jamais imputer à leurs frères ce qu'ils n'ont dit ni écrit ![il pense en particulier à d'Holbach] Les mystères de Mitra ne doivent point être divulgués, quoique ce soient ceux de la lumière ; il n'importe de quelle main la vérité vienne, pourvu qu'elle vienne. « C'est lui, dit-on, c'est son style, c'est sa manière, ne le reconnaissez-vous pas ? » Ah ! Mes frères, quels discours funestes ! Vous devriez au contraire crier dans les carrefours : « Ce n'est pas lui ! » Il faut qu'il y ait cent mains invisibles qui percent le monstre, et qu'il tombe enfin sous mille coups redoublés. Amen.

Je vous embrasse avec toute la tendresse de l'amitié et toute l'horreur du fanatisme. »

02/05/2010

je ne veux point de querelle pour un livre. Je les brûlerais plutôt tous.





« A Nicolas-Claude Thiriot
[1er mai 1738]


Vous faites fort mal, mon cher ami, d’envoyer l’écrit en question [mémorandum de V* sur les Eléments de la Philosophie de Newton] à ce misérable journal très mal fait [La Bibliothèque française d‘Amsterdam], presque inconnu, qui ne se débite que tous les trois mois, qui ne sera dans Paris que dans un an, et dont il  vient tout  au plus une vingtaine d’exemplaires. Vous avez cent autres débouchés. On peut obtenir des permissions, on peut se servir des brochures hebdomadaires, vous devriez même consulter le R. père 
[ révérend père Castel, inventeur du clavecin oculaire, auteur des Nouvelles expériences d’optique et d’acoustique … (1735) et autres traités , quoique, le 28 mars, V* semble avoir déjà composé contre lui sa Lettre à Rameau datée du 21 juin  . Le 15 juin, V* écrit à Maupertuis qu‘il a été en « commerce«  avec le père Castel et lui a envoyé le morceau des Eléments où il est question de son clavecin oculaire. Il est peu probable qu‘il s‘agisse du père Porée à qui, le 17 novembre il écrira qu‘il a envoyé il y a quelques mois au père Castel deux exemplaires de ses Eléments dont un devait lui être présenté ] sur l’ouvrage, en lui faisant tenir une copie ; je suis sûr que la lecture lui fera impression. Il faudra consulter de la même façon les mathématiciens qui ont examiné les mêmes problèmes. J’abandonne le tout à votre prudhomie. Je reçois en même temps votre lettre du vingt cinq, et bien des nouvelles qui me chagrinent. Premièrement je suis assez fâché que Racine que je n’ai jamais offensé ait sollicité la permission d’imprimer une satire dévote de Rousseau contre moi. Je suis encore plus affligé qu’on m’attribue des épîtres sur la liberté [le deuxième Discours sur l‘Homme : De la Liberté, qui est bien de V*]. Je ne veux point me trouver dans les caquets de Molina ni de Jansénius. On m’envoie un morceau d’une autre pièce de vers, où je trouve un portrait assez ressemblant à celui du prêtre de Bicêtre [troisième Discours sur l‘Homme : de l‘Envie, où il attaque Desfontaines]. Mais en vérité il faut être bien peu fin pour ne pas voir que cela est de la main d’un académicien ou de quelqu’un qui aspire à l’être. Je n’ai ni cet honneur ni cette faiblesse et, si j’ai à reprocher quelque chose à ce monstre  d’abbé Desfontaines, ce n’est pas de s’être moqué de quelques ouvrages des quarante [Desfontaines a été condamné pour avoir écrit un libelle contre l‘Académie].

Je suis bien aise que vous ayez gagné un louis à Gentil Bernard, je voudrais que vous en gagnassiez cent mille à Crésus Bernard [Gentil Bernard = Pierre-Joseph Bernard, poète, avec qui Thiriot avait parié que V* était ou non l‘auteur des Epitres en question. Crésus Bernard = Samuel Bernard, le financier]. Je n’ai point vu l’Epître sur la liberté. Je vais la faire venir avec les autres brochures du mois. C’est un amusement qui finit d’ordinaire par allumer le feu.

Autre sujet d’affliction. On me mande que malgré toutes mes prières les libraires de Hollande débitent mes Eléments de la philosophie de Neuton quoique imparfaits. Or da mi consiglio [donne moi un conseil]. Les libraires hollandais avaient le manuscrit depuis un an à quelques chapitres près [cf. lettre du 20 juin 1737 à Pitot]. J’ai cru qu’étant en France je devais à M. le chancelier le respect de lui faire présenter le manuscrit entier. Il l’a lu, il l’a marginé de sa main. Il a trouvé surtout le dernier chapitre peu conforme aux opinions de ce pays-ci. Dès que j’ai été instruit par mes yeux des sentiments de M. le chancelier [d‘Aguessau], j’ai cessé sur le champ d’envoyer en Hollande la suite du manuscrit ; le dernier chapitre surtout qui regarde les sentiments théologiques  de M. Neuton n’est pas sorti de mes mains. Si donc il arrive que cet ouvrage tronqué paraisse en France par la précipitation des libraires, et si M. le chancelier m’en savait mauvais gré, il serait aisé par l’inspection seule du livre de le convaincre de ma soumission à ses volontés. Le manque des derniers chapitres est une démonstration que je me suis conformé à ses idées dès que je les ai pu entrevoir ; je dis entrevoir car il ne m’a jamais fait dire qu’il trouvât mauvais qu’on imprimât le livre en pays étranger.

En un mot, soit respect pour M. le chancelier soit aussi amour pour mon repos, je ne veux point de querelle pour un livre. Je les brûlerais plutôt tous.

Voulez-vous lire le petit endroit de ma lettre à M. d’Argenson ? Est-il à propos que je lui en écrive ? Conduisez-moi.

M. le bailly de Froulay est venu ici, et a été, je crois, aussi content de Cirey que vous le serez. Les Denis en sont assez satisfaits [Marie-Louise Mignot et son mari Nicolas-Charles Denis épousé le 25 février]. Je mets ma nièce Serizi [seconde nièce de V* qui va épouser Nicolas-Joseph de Dompierre de Fontaine] entre vos mains. Si elle est raisonnable, elle en fera autant, et vous prendra pour son directeur.

Le neutonisme pour les dames [d’Algarotti, traduit par Duperron de Castera, 1738] est pour Cirey, nous avons la lettre d’avis. Il faut envoyer cela chez M. le marquis du Châtelet. J’ai toujours Mérope sur le métier.

Vale, te amo.
V…

Rendez-moi le service, mon cher ami, de passer chez Hébert, rue Saint Honoré, et de lui marchander une tabatière en or émaillé et à fleurs, qu’il avait fait faire pour Mme du Châtelet, et dont elle, ou son mari n’a pas voulu parce qu’elle est trop chère. Faites le prix et si cela ne passe pas 600 livres tournois, dites-lui qu’il l’envoie sur-le-champ à l’abbé Moussinot qui paiera comptant. »

01/05/2010

assurer le bonheur de ma vie.

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

Hôtel d’Orléans [vers le 1er mai 1736]


Il s’agit mon aimable protecteur, d’assurer le bonheur de ma vie.


M. le Bailly de Froulay qui vint me voir hier m’apprit que toute l’aigreur du garde des Sceaux contre moi venait de ce qu’il était persuadé que je l’avais trompé dans l’affaire des Lettres philosophiques et que j’en avais fait faire l’édition. Je n’appris que dans mon voyage à Paris de l’année passée comment cette impression s’était faite. J’en donnai un mémoire. M. Rouillé, fatigué de toute cette affaire qu’il n’a jamais bien sue, demanda à M. le duc de Richelieu s’il lui conseillait faire usage de ce mémoire. M. de Richelieu plus fatigué encore et las du déchainement et du trouble que tout cela avait causé, persuadé d’ailleurs (parce qu’il trouvait cela plaisant) qu’en effet je m’étais fait un plaisir d’imprimer et de débiter le livre, malgré le garde des Sceaux, M. de R., dis-je, me croyant trop heureux d’être libre dit à M. Rouillé : l’affaire est finie, qu’importe que ce soit Jore ou Josse, qui ait imprimé ce f. livre ? que Volt. s’aille faire f. et qu’on n’en parle plus. Qu’arriva-t-il de cette manière légère de traiter les affaires sérieuses de son ami ? que M. de Rouillé crut que mes propres protecteurs étaient convaincus de mon tort, et même d’un tort très criminel. Le garde des Sceaux fut confirmé dans sa mauvaise opinion, et voilà ce qui en dernier lieu m’a attiré ces soupçons cruels de l’impression de la P. C’est de là qu’est venu l’orage qui m’a fait quitter Cirey.