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27/05/2010

Ce n’est que pour les autres que je vis avec opulence





« A Nicolas-Claude Thiriot

A Montriond 27 mai [1756]

Je crois, mon ancien ami, que le braiement de l’âne de Montmartre est aux Délices.[#1] Je verrai ce que c’est à mon retour dans cet ermitage. Ma nièce de Fontaine y arrive incessamment. J’aurais bien voulu qu’elle vous eût amené ; et que vous aimassiez la campagne comme moi. Il y en a de plus belles que la mienne. Mais il n’y en a guère d’aussi agréables. Je suis redevenu sybarite et je me suis fait un séjour délicieux, mais je vivrais aussi aisément comme Diogène que comme Aristippe.[ #2] Je préfère un ami à des rois. Mais en préférant une très jolie maison à une chaumière je serais très bien dans la chaumière. Ce n’est que pour les autres que je vis avec opulence. Ainsi je défie la fortune et je jouis d’un état très doux et très libre que je ne dois qu’à moi. Quand j’ai parlé en vers des malheurs des humains mes confrères, c’est par pure générosité. Car à la faiblesse de ma santé près, je suis si heureux que j’en ai honte. Je vous aimerais bien mieux encore compagnon de ma retraite qu’éditeur de mes rêveries.

Les faquins qui poursuivent la mémoire de Bayle méritent le mépris et le silence. Je vous remercie de supprimer la petite remarque qui leur donne sur les oreilles. [ #3] Tout le reste aura son passeport chez les honnêtes gens. Il est vrai que cette seconde édition parait bien tard, et qu’on a donné trop de temps aux sots pour répandre leurs préjugés sur la première. Celle-ci est aussi forte mais elle est mesurée et accompagnée de correctifs qui ferment la bouche à la superstition tandis qu’ils laissent triompher la philosophie.

Je vous ai déjà mandé que je ne suis pas partisan de ce vers : tandis que de la grâce etc., mais que j’aime mieux un vers hasardé qu’un vers plat. [à Thiriot, le 8 mai : « Je sais bien que De la grâce ardent à se toucher est une expression un peu hardie, mais elle est plus supportable que le vers qu’on a mis à la place. Le vers de substitution fut maintenu!]

Je ne sais pas ce qu’on veut dire par les prétendues dissensions des Cramer. Il n’y en a jamais eu l’ombre. Ce sont des gens d’une très bonne famille de Genève qui ont de l’éducation et beaucoup d’esprit. Ils sont pénétrés de mes bienfaits tout minces qu’ils sont, et ont fait un magnifique présent à mon secrétaire. Ce secrétaire par parenthèse est un florentin très aimable, très bien né, et qui mérite mieux que moi d’être de l’Académie de la Crusca. [Collini quittera V* le 12 juin, mais ils resteront en correspondance]

Vous voilà donc moine de Saint-Victor [le 28 novembre, V* félicitera Thiriot de quitter ce monastère]. Je l’ai été de Senones, j’ai travaillé avec dom Calmet pendant un mois. [un peu moins en juin-juillet 1754 ; à Mme Denis, il avait écrit : « je ‘passerai deux jours à Senones …» et y restera près de trois semaines] Je travaille actuellement avec des calvinistes, et je m’en trouve bien, excommunication à part. Mandez-moi où il faut vous écrire.

Interea vale et me ama.

V.»

 

 

#1 Les Pensées philosophiques d’un citoyen de Montmartre, 1756, de Pierre Sennemaud qu’il a demandées à Thiriot le 8 mai. Le 4 juin, après les avoir parcourues, il prétendra « savoir par une voie très sûre que Fréron et La Beaumelle ont composé ce … libelle »


#2 Cette double comparaison figure dans le portrait de V* qui a circulé en 1735, dont il parle à Thiriot le 15 juillet 1735 et qui reparait en juin 1756, notamment dans les journaux anglais.


#3 Le Parlement a condamné le 9 avril 1756 l’Analyse raisonnée de Bayle, ou abrégé méthodique de ses ouvrages, de François-Marie de Maray (1756), à la demande d’Omer Joly de Fleury. V* a demandé à Thiriot le 30 avril d’édulcorer dans l’édition de Lambert à Paris du Poème sur Lisbonne un passage d’une note concernant Bayle, et en particulier, une phrase où ceux qui critiquent Bayle étaient traités d’inconséquent et d’injustes, ce qui était « une prophétie ». Ces corrections ne sont que dans l’édition parisienne.

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