Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/10/2013

quand les déesses de l'Ostfrise daigneront honorer notre cabane de leur présence, nous leur présenterons les légumes de notre jardin , et l'eau de notre lac

 ...

DSCF9259 eau de notre lac.JPG

 

 

 

« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck etc.

à Lausanne

Aux Délices 29 août [1758]

Je ne crois pas , madame, qu'il y ait quinze mille Anglais dans notre sale Westphalie, mais je crois qu'il y en a assez pour nous battre . Je n’ai point de nouvelle de la prise de Louisbourg , mais je crois Louisbourg pris . Je pense que la France est couverte de honte et d'infortune, et que le roi de Prusse n'aura que la gloire .

J'ai envoyé au plus vite votre beau pro memoria au sieur Cathala à qui il ne faut pas de si belles choses . On escomptera votre lettre de change selon l’usage , et voilà tout .

Ma nièce Denis et moi nous sommes des gardeurs de dindons, dans le goût de Philémon et de Baucis,1 et quand les déesses de l'Ostfrise daigneront honorer notre cabane de leur présence, nous leur présenterons les légumes de notre jardin , et l'eau de notre lac . Baucis ne peut avoir l'honneur de vous écrire parce qu’elle ne se porte pas bien et moi, j'écris quoique malade . Jouissez, madame, de votre belle santé . C'est un bien que la cour aulique 2 ne vous ôtera pas , c'est le plus grand de tous et celui que je connais le moins . Si je le possédais, je vous écrirais des volumes, mais je n'en peux plus et je finis malgré moi en vous assurant de mon respect, et de l'envie de venir au plus tôt vous faire ma cour .

V. »

2 La comtesse est en procès avec son ex-mari et est dépossédée d'une partie de ses biens . Aulique. Se dit en parlant d'une certaine Cour supérieure qui a une Juridiction universelle et en dernier ressort, sur tous les sujets de l'Empire pour tous les procès qui y sont intentés.

 

09/10/2013

Il faut en physique se contenter toujours des à peu près . C’est la marche de la nature

 ... Dans la nature il est peu de choses ou êtres qui soient définitivement fixés pour toute éternité . Il est des constantes qui ne sautent pas toujours aux yeux et qui sont du domaine des savants spécialistes .

Le peu de physique que je connais est certainement diablement fourré d'à peu près, comme mes professeurs me l'ont confirmé à moult reprises en corrigeant mes devoirs boiteux . Le pourquoi et le comment gardent leurs parts de mystère, les résultats ne tiennent debout que par la béquille d'un facteur hypothétique .

 A peu près en physique: représentation graphique

 a peu près physique.png

 

« A monsieur l'abbé Charles Bossut,1

professeur royal,

aux écoles du génie, à Mézières .

Aux Délices 28 août [1758]

Je trouve, monsieur, au retour d'un assez long voyage que j'ai fait chez l’Électeur palatin, la lettre 2 dont vous m'avez honoré en date du 28 juin . Je me hâte de vous remercier . Je suis bien sensible à vos politesses et plus encore à votre mérite . Vous joignez le goût à la vraie philosophie . Je crois que la ville de Mézières n'est guère accoutumée à posséder de tels avantages 3 . L'Académie des sciences paraît devoir être votre vrai séjour mais il est bon que la lumière s'étende un peu dans les provinces, et qu'à la longue tout l'horizon soit éclairé : vos rayons pénètrent jusqu'au lac de Genève . Les observations que vous avez la bonté  de faire sont très justes . La parallaxe des étoiles fixes est une exagération , mais je ne sais si Broadley 4 ne s'est pas servi de cette expression . Il appelait autant que je peux m'en souvenir l'instrument dont il se servit tube parallactique 5.

Quand à la différence entre une sphère changée en ovale, il est certain que physiquement parlant la circonférence est toujours la même . C'est ce qui fait que les boulangers vous vendent le même pain rond ou ovale le même prix . Il faut en physique se contenter toujours des à peu près . C’est la marche de la nature . Il lui importe peu que ses ouvrages soient dans la rigueur mathématique . Au reste, monsieur, de toutes les vérités il n'y en a point dont je sois plus convaincu que des sentiments d'estime que je vous dois et avec lesquels j'ai l'honneur d'être

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi »

2 Lettre inconnue .

3 A l'âge de vingt-deux ans, en 1752, Bossut avait été nommé professeur de mathématiques à l'école du Génie de Mézières et il avait publié quelques études .

4 James Bradley surtout connu pour sa découverte de l'aberration des rayons lumineux . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/James_Bradley

5 Nommé de nos jours télescope équatorial . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Monture_%C3%A9quatoriale

 

 

08/10/2013

entre le succès et la gloire la différence est grande. Je connais des armées et des généraux qui n'ont eu ni l'un ni l'autre

 .... Faut-il vous faire un dessin ?

https://www.youtube.com/watch?v=ucxd2Ano6vM

Gagner une bataille, une guerre, c'est un succès .

Où est la gloire dans ces meurtres ordonnés ?

http://voiretmanger.fr/sentiers-gloire-kubrick/

 sentiers-de-la-gloire-kubrick.jpg

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, 28 août [1758]. 1

Me voilà rendu à mon ermitage des Délices, mon divin ange, après un voyage à la cour palatine, aussi agréable qu'il était nécessaire. Votre lettre, qui m'attendait, redouble le seul chagrin que je puisse avoir, en m'ôtant l'espérance de vous embrasser. Les tantes 2 et les débarbouillées sont donc d'étranges personnes . Il ne faut pas songer à réformer des têtes aussi mal faites. D'ailleurs, mes établissements et les dépenses considérables que j'y ai faites ne me permettent pas de me transplanter. J'avais voulu acheter une terre, uniquement dans la vue d'avoir un bien solide que je pusse laisser à mes héritiers, comptant fort peu sur la nature des autres biens qui peuvent périr en un jour; mais cela est encore aussi difficile que de faire entendre raison à des dévotes.3

Je me flatte que votre ami 4 a parlé de lui-même, je serais fâché qu'on crût que je l'ai prié de faire cette démarche; mais je n'en aurais pas moins d'obligation à vos bontés et aux siennes. Vous avez donc aussi des coliques, mon respectable ami ! Ce serait bien le cas de venir consulter Tronchin, en dépit des tantes; mais ces mêmes coliques vous empêchent de venir dans le temple d'Épidaure, et c'est ce qui me désespère. Je vous conjure de me mander des nouvelles de votre santé, ne me laissez pas sans consolation.

Mme du Boccage vous a donc montré notre Femme qui a raison. Elle nous a amusés en Savoie mais il se pourrait, à toute force, que le goût des Parisiens fût un peu différent de celui des Savoyards. Mme Denis ne m'a point encore fait voir vos commentaires critiques. Je ne crois pas, en général, que Fanime et Mme Du Ru 5 soient des personnes bien merveilleuses: elles peuvent avoir quelque succès par le mérite des actrices mais entre le succès et la gloire la différence est grande. Je connais des armées et des généraux qui n'ont eu ni l'un ni l'autre. Toutes les pièces des Français sont aujourd'hui sifflées de l'Europe. On dit que nous n'avons ni auteurs, ni acteurs, ni argent pour payer les places. Nous voilà in fœce Romuli.6 Où est le temps où l'on donnait Iphigénie 7 au retour de la campagne de 1672 ?

Il ne faut songer qu'à vivre dans la retraite et, si les choses continuent à aller du même train, on n'aura plus même de quoi y vivre. Comment se porte Mme d'Argental ? Mille tendres respects à tous les anges. Mme Denis et Mme de Fontaine vous font mille compliments; et moi, je suis pénétré de reconnaissance. 

V.»

1 Date complétée par d'Argental qui ajoute « Re le 5 septembre 1758 »

2 Allusion à Mme de Grolée .

3 On peut penser que la lettre de d'Argental que nous ne connaissons pas, contenait quelque avis de Mme de Pompadour selon lequel le retour de V* en France serait mal accueilli . La tristesse de V* paraît évidente dans cette lettre qui  parait même un peu décousue ; on a ici un moment important dans l'évolution de ses sentiments à l'égard de la patrie, marquant le début de son détachement.

4 Le chevalier de Chauvelin, qui portait le titre de marquis depuis son mariage.

5 Personnage de La Femme qui a raison .

6 Romains descendus au niveau de la lie du tonneau ; Cicéron , Lettres à Atticus .

7 Iphigénie de Racine .

07/10/2013

On a du moins le plaisir de se plaindre et de crier contre tous ceux qui conduisent notre mauvaise barque.

... Sport national français dans lequel nous excellons, la grogne !

La concurrence est rude entre les grognons syndiqués, encartés, grognons de quartiers chics, grognons de comptoirs, grognons de tous poils et toutes plumes, grognons pelés, grognons du chaud, grognons du froid, grognons impénitents ,  grognons nés grognons .

 http://www.dailymotion.com/video/xanvea_alexis-hk-la-maison-ronchonchon_music

 grognon.jpg

 http://www.marclefrancois.net/article-grognon-104537928.html



« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG.

Aux Délices près de [Genève vers le 27 août 1758] 1

Une lettre de vous, madame, que j'ouvre en arrivant à ma cabane des Délices, me rend mon séjour plus agréable; mais aussi elle me fait regretter l'ile Jard. Puissiez-vous, madame, n'être pas noyée une seconde fois dans votre île . Puissiez-vous n'y recevoir que d'agréables nouvelles de l'armée où est monsieur votre fils .

Je plains fort ceux qui ont des maisons de campagne à Louisbourg 2. Ils s'en sont défaits, comme vous savez, en faveur des Anglais, qui sont maîtres de l'ile, de la ville, de la garnison, de nos vaisseaux, etc. Il ne nous restera bientôt plus rien dans l'Amérique septentrionale. Mais afin de ne point faire de jaloux, ils vont caresser toutes nos côtes de France les unes après les autres. Vous savez que la désolation de Paris est grande, non parce que Louisbourg est pris, non parce que nous sommes battus partout, et que nous allons l'être encore, mais parce qu'on manque d'argent, et qu'on craint de nouveaux impôts. On a du moins le plaisir de se plaindre et de crier contre tous ceux qui conduisent notre mauvaise barque.

Je ne dois plus penser à Champignelle 3, madame, j'apprends que la terre est substituée 4. La maison du prince Esterhazy ou comte Esterhazy est, je pense, une maison de fille, un petit pavillon pour souper et pour ne point dormir. Ce n'est pas là mon fait; il me faut une belle et bonne terre, bien vivante. Mais on passe sa vie en projets, et on meurt au milieu de ses rêves. Je vous remercie bien vivement, madame, de la bonté que vous avez eue de faire mention de moi dans votre lettre à votre amie de Versailles 5; j'en suis d'autant plus aise que je ne lui demande rien, et je me bornais à souhaiter qu'elle sût que je conserverai toute ma vie de la reconnaissance pour elle. Un tel sentiment est toujours assez bien reçu mais il doit l'être encore mieux quand il passe par vos mains il en a l'air plus vrai. C'est un véritable service que vous m'avez rendu, et auquel je suis très sensible.

J'ai envoyé au margrave de Bade-Dourlach la note des tableaux de Van der Meulen et du beau Van Dyck1. L'immensité de ces tableaux ne leur permet de place que dans une galerie de prince. Les galeries genevoises ne sont pas faites pour eux.

Adieu, madame; je serai toujours fâché que Genève soit si loin de Strasbourg. Mme Denis vous assure de son attachement. Vous connaissez les sentiments de l'oncle, qui vous est dévoué pour la vie.

V. »

1 V* a laissée inachevée la ligne de la date .

2 Pris par les Anglais le 27 juillet 1738.

3 Ou Champigneulle., commune aux environs de Nancy.

4 « Substitution » : disposition par laquelle un testateur substitue un héritier à un autre qui n'a que l'usufruit et non pas la propriété du bien laissé .

5 Mme de Pompadour .

 

06/10/2013

ma tête n'est pas si bonne que la sienne

... Et à tous ceux qui en douteraient encore, je demanderai de me lire, et de lire ensuite mon cher Voltaire . Plus de doute ? je m'en doutais !

 Ma tête... dans les nuages

DSCF4947 ma tete .JPG

 

 

« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches

[vers le 25 août 1758] 1

J'ai l'honneur d 'envoyer à monsieur d'Hermenches la lettre de Mme la margrave de Bade .

En voici encore une autre . Si le soupers me réussissaient, je viendrais ce matin lui demander des nouvelles de son bandeau 2 mais ma tête n'est pas si bonne que la sienne .

Mes respects à madame .

V. »

1 Date estimée en supposant que la lettre de Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt, dont il est question dans la lettre du 12 août 1758 [http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/10/02/j... ] fut envoyée par V* dès son retour de voyage .

2 Est-ce un bandeau mis en cas de maux de tête ? Le seigneur d'Hermenches a été souffrant , voir lettre de juillet-août 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/09/26/j-ai-attendu-que-vous-fussiez-entierement-retabli-5182026.html

 

 

05/10/2013

Je désire fort que la nécessité où l'on est de chercher des diversions à tant de désastres ramène un peu les hommes aux belles-lettres, qui sont toujours consolantes

 ... Hélas ! cent fois hélas ! comment trouvera-t-on quelque consolation dans les belles lettres face au drame de Lampedusa ?

Les belles lettres ont leurs limites face à la misère et face à l'exploitation des miséreux . Il faudra chercher une autre consolation, une vie décente, avant que de pouvoir goûter la beauté et l'intérêt d'écrivains tels que Voltaire . Combien de générations seront nécessaires ? Il y en a déjà eu trop de perdues . Je rêve/cauchemarde à l'idée que tous les salauds armés s'entretuent au plus tôt et laissent vivre aussi heureusement que possible les peuples asservis enfin libres . On dansera sur leurs tombes, ce n'est pas très chrétien, ni philosophique, mais comme on dit "y'en a marre !"

 http://xalimasn.com/podcasts/videos/ecoutez-lhymne-de-yen-a-marre/

 

y-en-a-marre-le-27.jpg

 

« A M. Pierre ROUSSEAU,

à Liège.

A Lausanne, 24 août 1758

En revenant de Shuuetzingen, monsieur, j'ai reçu à mon passage les deux lettres 1 que vous avez bien voulu m'écrire. Il est vrai que les choses écrites à M. Darget 2 avec la liberté de l'amitié ne devaient pas être publiques, et que ma lettre n'a pas été imprimée bien fidèlement mais c'est là un des plus légers chagrins qu'on puisse avoir dans ce monde. Ces bagatelles sont confondues dans la foule des malheurs publics.

Je désire fort que la nécessité où l'on est de chercher des diversions à tant de désastres ramène un peu les hommes aux belles-lettres, qui sont toujours consolantes. Votre Journal,3 monsieur, sera continuellement une des plus agréables lectures qui puissent amuser les gens de goût. Je n'aurais guère que des fleurs très-fanées à vous offrir pour votre parterre et d'ailleurs on dit qu'il y a des épines qui blesseraient certains lecteurs délicats. Si jamais je fais des psaumes, je vous prierai d'en farcir votre livre, mais je le ferais tomber. En attendant, je le lis avec un très-grand plaisir.

J'ai l'honneur d'être etc . »

1 Qui ne nous sont pas parvenues .

 

04/10/2013

Vive la paix et l'indépendance appuyée sur l'aisance et embellie par les belles lettres

... Pour les belles lettres, je suis gâté car je lis chaque jour les écrits de Voltaire, sa correspondance, et tout ce qu'il plait à Mam'zelle Wagnière  [LoveVoltaire] de mettre en ligne .

Pour l'aisance, j'ai au moins celle de l'avoir dans mes jeans et T- shirts et mes doigts de pieds sont à l'aise dans du 43 .

Pour l'indépendance, j'ai surtout celle des idées, la vie et ses aléas se chargeant d'apporter sa dose de dépendance .

Pour la paix , est-il nécessaire qu'on la fiche ? Que vivre en pAix n'aie pas de pRix .

 Pablo-Picasso-L-homme-en-prole---la-paix-.jpg

 

 

« A Marie-Louise Denis 1

A Soleure 17 août 1758

Le pigeon avance toujours vers le colombier quoi que ce ne soit pas à tire d'aile 2, il arrivera pourtant plus tôt qu'il ne l'avait promis . Rien n'est si fidèle qu'un vieux pigeon . Je pourrai bien prendre ma route par Neufchâtel ma chère enfant . Il n'y a guère plus loin par ce chemin que par Berne . Je serai bien aise de causer avec milord maréchal et de savoir des nouvelles véritables de la position du roi de Prusse . Il est bon d'avoir des amis partout . Non , je passerai par Berne .3

J'ai toujours Champignelle dans la tête, il me faut des châteaux et j'en fais en Espagne . Ne m'écrivez point à Soleure .

Les Russes sont à Francfort-sur-l'Oder, chez notre bon ami, mais il a toujours une forte armée . Dix mille Anglais avancent par l'Ost Frise . La balance est égale quoi qu'on dise et le résultat de tout ceci est que la France se ruine et que les marquets 4 auront bientôt de quoi l'acheter . Pour nous autres tâchons d'acheter un château, on n'est bien que chez soi, loin des folies et des horreurs et des sottises du monde . Vive la paix et l'indépendance appuyée sur l'aisance et embellie par les belles lettres . Vive surtout la Thessalie, je crois que vous l'habitez quelquefois . J'espère vous y voir bientôt entre Admète et Alceste [...] »

1 Encore extraits de manuscrit passé à la vente Cornuau le 21 février 1936 .

2 Rappel des Deux Pigeons de La Fontaine : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/deuxpig.htm

3 Ce rectificatif est noté en marge .

4 Si le texte a été correctement lu ( ?!) il faudrait comprendre « des marquis » (comme Frédéric II l'est de Brandebourg), d'après la graphie anglaise marquess.