Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/10/2013

Sa présomption le rangea dans la classe de ces hommes odieux nés pour le malheur de leur patrie qui, à quelque prix que ce soit, veulent être fameux

 ... C'est le sentiment que j'ai eu en apprenant l'existence de Patrick Elineau, qui, directeur de l'ANPAA (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), tout nourri par nos impôts et imbu de son titre, se permet de descendre en flammes la consommation et publicité de tout ce qui est alcoolisé, donc sa production . Comment ? tout simplement si je peux dire, en mettant en place une censure de la publicité dont le modèle est, ni plus ni moins, copié sur la censure à la chinoise . Voir l'article d'Etienne Gernelle dans le Point du 17 octobre 2013 .

Ce type d'individus qui n'ont que leurs menaces à offrir pour se faire mousser sont de bien tristes sires  .

 

 

« A Charles-Louis-Auguste Fouquet, duc de Belle-Isle

A vous seul

Aux Délices près de Genève 4 septembre 1758

Monseigneur,

Mon devoir de sujet, mon estime et mon attachement pour vous dont j'ai donné plus d'une preuve publique m'obligent de confier à vos lumières et à votre prudence l'avis suivant :

« Il y a dans Bruxelles à présent un aventurier qui se nomme Maubert 1 . Cet homme a été capucin à Paris . Il s'est enfui de son couvent il y a longtemps . Il a été en Saxe avant la guerre, il a été mis en prison pour ses intrigues . Échappé de sa prison il est venu à Lausanne où il a fait imprimer un mauvais livre intitulé Le testament du cardinal Alberoni . Dans ce livre il déchire la France, il s'attaque à la personne sacrée du roi, et voici comme il parle de M. le maréchal de Belle-Isle, page 253 : Sa présomption le rangea dans la classe de ces hommes odieux nés pour le malheur de leur patrie qui, à quelque prix que ce soit, veulent être fameux etc . Ce misérable a été chassé de Lausanne ; et a passé en Angleterre depuis le commencement de la guerre présente . Il a écrit publiquement à Londres contre la France et il sert actuellement d'espion à la cour de Bruxelles, de la part des Anglais . On le croit chargé même de quelque négociation dangereuse . »

Je croirais, monseigneur, manquer à ce que je dois au roi et à vous si je ne vous communiquais pas cet avis qui peut être important .

Tout ce qu'on mande de cet homme est d'autant plus vraisemblable, que je viens de vérifier ce qu'on lui impute de la manière punissable dont il ose parler de votre personne .

Je sais que les injures personnelles ne vous touchent pas, mais l'intérêt de l’État vous touche, et vos soins infatigables en ont été la preuve dans un temps où il vous était permis de ne vous livrer qu'à la douleur 2.

Daignez recevoir ce témoignage de mon zèle avec autant de bonté, que je suis avec attachement et avec respect,

Monseigneur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi . »

1 Jean-Henri Maubert de Gouvest, auteur du Testament politique du cardinal Alberioni, et divers autres ouvrages . Sur les rai=sons de la haine de V* envers lui, voir lettre du 29 juillet 1755 à Clavel de Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/03/je-n-ai-jamais-rien-vu-de-plus-plat-et-de-plus-horrible-cela.html

Voir aussi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Henri_Maubert_de_Gouvest

2 Le fils unique de Belle-Isle, le comte de Gisors avait été tué à la bataille de Crefeld le 23 juin 1758 .

 

16/10/2013

On n'entend point, à cent lieues, le petit bruit des louanges, celui des sifflets est perçant, et porte au bout du monde.

...  Qu'il me soit permis, ici, d'offrir mes louanges à LoveVoltaire en lui souhaitant un bon cinquième anniversaire pour la création de http://www.monsieurdevoltaire.com/ .

Mon "petit bruit", à cent lieues de vous, grâce au Net devrait porter au bout du monde avant que j'aie eu le temps de dire  "bravo et merci" . Nul sifflet, si ce n'est d'admiration, pour vous et Voltaire, surtout pour vous oserais-je avouer .

Coeur d'or , tempérament de feu, comme vous

 DSCF4778 or et feu.png

 Mille voeux de longue vie à Monsieur de Voltaire

 

« A Marie-Anne Fiquet du BOCCAGE.

Aux Délices, 3 septembre[1758] .

En revoyant, madame, mon petit ermitage, mon premier devoir est de vous remercier, vous et M. du Boccage, de l'honneur que vous avez bien voulu faire aux ermites. Je pourrais en concevoir bien de la vanité, je pourrais vous redire ici tout ce que vous avez entendu de Paris jusqu'à Rome mais vous devez être lasse de compliments. Permettez-moi seulement de vous dire que, malgré tous vos talents et tout votre mérite, je vous ai trouvée la femme du monde la plus simple, la plus aisée à vivre, la plus digne d'avoir des amis, quoique vous soyez très-faite pour avoir mieux. Si l'intérêt que j'ai toujours pris, madame, à vos succès et à votre gloire, pouvait me donner quelques droits à votre amitié, j'oserais vous la demander instamment. Il y a grande apparence que je finirai dans la retraite une vieillesse infirme mais ce sera pour moi une grande consolation de pouvoir compter sur la bienveillance d'une personne qui fait tant d'honneur à son siècle et à son sexe. Quel triste siècle, madame et que la disette des talents en tous genres est effrayante ! Je ne vois que des livres sur la guerre, et nous sommes battus partout; que des brochures sur la marine et sur le commerce, et notre commerce et notre marine s'anéantissent ; que de fades raisonneurs qui ont un peu d'esprit, et il n'y a pas un homme de génie. Notre siècle vit sur le crédit du siècle de Louis XIV. On parle, il est vrai, dans les pays étrangers, la langue que les Pascal, les Despréaux, les Bossuet, les Racine, les Molière, ont rendue universelle et c'est dans notre propre langue qu'on dit aujourd'hui dans l'Europe que les Français dégénèrent. S'il y a quelque homme de mérite en France, il est persécuté . Diderot, d'Alembert, n'y trouvent que des ennemis. Helvétius a fait, dit-on, un excellent ouvrage 1, et on s'efforce de le rendre criminel. Il faut, madame, que le petit nombre des sages ne s'expose pas à la méchanceté des fous il faut qu'ils vivent ensemble, et qu'ils fuient le public.

J'ai eu la faiblesse, madame, de laisser sortir de notre petit coin des Alpes cette Femme qui a raison. Si elle avait raison, elle n'aurait pas fait le voyage de Paris, c'est un amusement de société mais vous avez voulu la porter à M. d'Argental. J'ai été trop flatté de vos bontés pour résister à vos ordres mais il faudra que cette bagatelle, qui a servi à nous amuser, reste dans les mains de nos amis. Je suis las du triste métier de paraître en public, cela est pardonnable dans le temps des illusions, et ce temps est passé pour moi. J'aime les Muses pour elles-mêmes, comme Fénelon voulait qu'on aimât Dieu mais je redoute le public. Que revient-il de se commettre avec lui ? de l'embarras, des tracasseries de comédiens, des jalousies d'auteurs, des critiques, des calomnies. On n'entend point, à cent lieues, le petit bruit des louanges, celui des sifflets est perçant, et porte au bout du monde. Pourquoi troubler mon repos, que j'ai cherché, et que j'ai trouvé après tant d'orages ?

Vos bontés pour moi sont plus précieuses sans doute que toute la petite fumée de la vaine gloire dont il n'arrive pas un atome dans mon ermitage, j'y ai vu la vraie gloire, quand je vous y ai possédée je n'en veux pas d'autre.

Tous les habitants de notre retraite se joignent à moi, madame, pour vous dire combien vous êtes aimable. Conservez quelque bonté, je vous en conjure, pour le vieux Suisse Voltaire, à qui vous faites encore aimer la France, et qui est plein pour vous de respect, d'estime, et de tous les sentiments que vous méritez. »

1 De l'Esprit, 1758, in-4°. Le privilège accordé le 12 mai pour l'impression de ce livre avait été révoqué le 10 août. Voir : http://gallica.bnf.fr/dossiers/html/dossiers/Voltaire/D3/Stenger_VF.htm

 

 

15/10/2013

la première place qui vaquera sera pour vous, mais vous savez qu'on attend quelquefois longtemps.

...C'est à n'en pas douter une phrase qui doit être au top ten dans tous les partis en période pré-électorale (je ne me fais aucune illusion car en ce domaine, il me semble que les faux jetons sont légions, avec peut-être/certainement une majorité côté UMP ) , -à savoir tout le temps -, dans toutes les entreprises où les PDG et DRH distribuent les postes comme on fait l'aumone (avec parcimonie), à Pôle Emploi le si mal nommé côté emploi et si près de la vérité côté pôle, glacial, immuable, hostile , désespérant .

 Qui veut la première place vacante ?

 la première place vacante DSCF1402.JPG

 J'ai hésité entre la semaine du blanc, -avec trois mois d'avance-, ou Halloween ; je dois être complètement givré !

 

 

« A Cosimo Alessandro COLLINI

gouverneur de M. le comte de Sauer [à Strasbourg] 1

Aux Délices, 2 septembre [1758]

Mon cher Collini, je n'ai que le temps de vous dire, en partant pour Lausanne, que ma lettre à Pierron 2 a été lue par l'Électeur, que la première place qui vaquera sera pour vous, mais vous savez qu'on attend quelquefois longtemps. Je vous assure que je ne négligerai aucune occasion de vous trouver quelque place qui vous convienne. Je vous prie de faire pour moi les plus tendres remerciements à M. l'amtmeister 3 [sic] Langhans 4, dont je n'oublierai jamais les procédés charmants. Souvenez-vous de moi auprès de M. Schœpling et de M. de Gervasi.

Si Marie-Thérèse et mes Russes ont quelques succès, ne me les laissez pas ignorer . Il faut avoir de quoi se consoler de tout le mal qui nous arrive.

Quel est donc l'aimable Italien qui m'envoie des choses si agréables ? Quel qu'il soit, je le remercie de tout mon cœur, et je lui dois autant d'estime que de reconnaissance. »

2 Nicolas Pierron était le secrétaire privé et chambellan de l’Électeur Charles-Théodore . Une lettre du 2 août 1758, de Montpéroux à Collini , disait : «  Ce que vous me demandez serait bien aisé, puisqu’il ne s'agirait que de dire un mot . Mais il y a deux observations,l'une que pour dire ce mot il faut que M. de Voltaire me parle de vous puisque vous ne voulez pas que je le prévienne, l'autre que ce mot sera peut-être dit trop tard si j'attends son retour […] il serait mieux et plus simple que vous lui écrivissiez pendant qu'il est à Manheim […] vous saurez plus tôt ce qu'il veut et peut faire pour vous . Son séjour à cette cour le mettra plus en état de vous y procurer un établissement [...]. »

3 Le mot est écrit la'mestre par Wagnière recouvre Amtmeister, maitre de corporation .

4 Johann Georg Langhans, que Wagnière écrit Langman et qui est corrigé par Voltaire ou Collini en Langhans .Voir : http://www.alsatica.eu/alsatica/domain/label,identifier.html?alsaticaParam[domain]=bnus&alsaticaParam[identifier]=1%2F636178&alsaticaParam[label]=Johann+Georg+Langhans+der+177.+Ammeister+1752%2C+58%2C+64

A revoir dans la lettre du 14 décembre 1758 à Collini :page 549 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f552.image

 

 

 

14/10/2013

Eh par tous les saints, pourquoi ne pas venir dans notre pays libre ? Vous qui aimez les voyages, vous qui goûtez l'amitié, les applaudissements et les nouvelles amours

 ... Bon, bon, calmez-vous ! ceci n'est pas un appel à une immigration sauvage à fin souvent dramatique .

Tout au mieux, ce pourrait être un appel des professionnels du tourisme et des organisateurs de spectacles .

Ne vous emballez pas non plus au sujet des "novi amori", contentez vous d'Amora qui mettra du piquant dans votre vie assiette .

 Coup-de-foudre.jpg


Oserai-je ajouter, car nous parlons ici de la France éternelle, vous qui aimez les fonctionnaires et le gaspillage des fonds publics, venez, vous trouverez votre bonheur .

 

 

 

« Au comte Francesco ALGAROTTI. 1

Aux Délices, 2 septembre [1758].

Ritorno dalle sponde del Reno alle mie Delizzie ; qui vedo la signora errante 2 ed amabile, qui leggo, mio caro cigno di Padova, la vostra vezzoza lettera. Siete dunque adesso a Bologna la grasse, ed avete lasciato Venezia la ricca. E 3, per tutti i santi, perchè non venire 4 al nostro paeze libero ? voi che vi dilettate nel viaggiare 5, voi che godete d' amici, d' applausi, di novi amori, dovunque andate? Vi è più facile di venire tra i Pappafighi che non è a me di andare fra i Papimani 6. Ov' è la raccolta delle vostre leggiadre opere? dove la potrô io trovare? dove l' avete mandata? per qual via? non lo so. Aspetto li figlioli per consolarmi dell' offenza 7 del padre. Voi passate i 8 vostri belli anni tra l' amore e la virtù. Orazio vi direbbe

Quod tu, inter scabiem tantam, et contagia lucri,

Nil parvi sapias, et adhuc sublimia cures.9

Ed il Petrarca 10 soggiungerebbe

Non lasciar la magnanima tua impresa.

La signora di Bentinck è, come il re di Prussia, condannata dal Consiglio aulico, e questa povera Marfisa 11 non è seguita da un esercito per difendersi 12 .Cette pauvre milady Blakaker,13 ou comtesse de Pimbesche 14, va encore plaider à Vienne. C'est bien dommage qu'une femme si aimable soit si malheureuse mais je ne vois partout que des gens à plaindre, à commencer par le roi de France, l'impératrice, le roi de Prusse, ceux qui meurent à leur service, ceux qui s'y ruinent, et à finir par d'Argens.

Felix qui potuit rerum cognoscere causas

fortunatus et ille deos qui novit agrestes 15

Le premier vers est pour vous, le second pour moi.16 Pour milady Montaigu 17, je doute que son âme soit à son aise. Si vous la voyez, je vous supplie de lui présenter mes respects.

Farewell, flos Italioe, farewell, wise man whose sagacity has found the secret to part from Argaleon 18 without being molested by him. 19

Si jamais vous repassez les Alpes, souvenez-vous de votre ancien ami, de votre ancien partisan

le Suisse Voltaire »

1 Il y a des différences entre la version de l'édition de Kehl et celle d'Algarotti ; elles sont signalées ci-après .

2 La comtesse Bentinck .

3 Algarotti donne Ma pour E .

4 Algarotti donne venite pour venire .

5 Algarotti donne : voi che vi dilettate di viaggiare .

6 Pour Rabelais, les papimanes sont les catholiques et les papefigues sont les protestants.

7 Algarotti : assenza .

8 Algarotti : li .

9 Citation approximative d'Horace, Épîtres, I, xii, 14-15.

10 C'est la première fois que V* cite Pétrarque dans sa correspondance ; c'est ici le dernier vers du sonnet La Gola, e'il sonno . Le mot tua est omis dans l'édition de Kehl, à la suite de la copie .

11 Vierge guerrière dans le Roland furieux de l'Arioste .

12 Traduction :  « Je reviens des rives du Rhin à mes Délices ; ici je vois l'aimable vagabonde ; ici je lis, mon cher cygne de Padoue, votre charmante lettre . Vous voici donc de nouveau dans Bologne la grasse, et vous avez laissé Venise l'opulente . Eh par tous les saints, pourquoi ne pas venir dans notre pays libre ? Vous qui aimez les voyages, vous qui goûtez l'amitié, les applaudissements et les nouvelles amours, partout où vous allez ; il vous est plus facile de venir chez les Papefigues qu'à moi d'aller chez les Papimanes . Où est le recueil de vos charmantes œuvres ? Où puis-je le trouver ? Où l'avez-vous envoyé ? Par quelle voie ? Je ne le sais . J'attends les enfants pour me consoler de l'offense [selon le texte d'Algarotti ; l'absence semble préférable] du père . Vous passez vos belles années entre l'amour et la vertu . Horace vous dirait : /Parmi une telle lèpre et contagion du lucre, /Ne te soucie de rien de petit, et continue à ne t'occuper que des pensées les plus hautes / Et Pétrarque ajouterait : / N'abandonne pas ta magnanime entreprise. / Mme de Bentinck est, comme le roi de Prusse, condamnée par le Conseil aulique, et cette pauvre Marphise n'est pas suivie d'une armée pour la défendre .

13 Personnage de lady Blackacre dans The Plain dealer, de Wycherley .

14 Dans Les Plaideurs de Racine ; le mot est dur, de la part de V* visant Mme la comtesse Bentinck .

15 Virgile, Georgiques , II,v,490 et 493 : Heureux celui qui a pu connaître la raison des choses . / Fortuné aussi celui qui connait les dieux des champs .

16 Phrase omise par Algarotti .

17 Lady Mary Wortley Montagu qui était éprise d'Algarotti depuis leur rencontre en Angleterre en 1736, était alors établie à Venise .

18 Ici, Frédéric II, en grec, argaleon signifie « terrible »

19 Adieu, fleur de l'Italie, adieu, homme d'esprit dont la sagesse a découvert le secret de quitter Argaleon sans encourir ses foudres .

13/10/2013

Nos mœurs changent, Brutus il faut changer nos lois.

... Dans la mesure du raisonnable, comme pour le mariage pour tous qui met enfin à égalité les humains homosexuels  désireux de s'allier officiellement et leurs compatriotes hétéro. Pour une fois une loi qui autorise et non qui interdit, ce n'est pas si fréquent , l'option répressive ayant trop d'adeptes à mes yeux .

 Brigitte Bardot et Frigide Barjo peuvent faire gonfler leurs rancoeurs, en pure perte, elles ne laisseront pas de traces dans l'Histoire .

 http://celeblog.over-blog.com/

nos-moeurs-inconsequentes.jpg


« On est libre de choisir de quelle manière on va devenir esclave. » Jean-Rémi Girard 

 

« A Jean le Rond d'ALEMBERT.

Aux Délices, 2 septembre 1758

Vous vouliez, mon cher philosophe, aller voir le saint-père, et vous restez à Paris. Je ne voulais point aller en Allemagne, et j'en reviens. Je trouve, en arrivant, votre Dynamique.1 Je lis le Discours préliminaire 2; je vous admire toujours, et je vous remercie de tout mon cœur.

Comment va l'Encyclopédie . Est-il vrai que Jean-Jacques écrit contre vous, et qu'il renouvelle la querelle de l'article de Genève 3 ? On dit bien plus, on dit qu'il pousse le sacrilège jusqu'à s'élever contre la comédie, qui devient le troisième sacrement 4 de Genève. On est fou du spectacle dans le pays de Calvin.

Nos mœurs changent, Brutus il faut changer nos lois.5

On a donné trois pièces nouvelles faites à Genève même, en trois mois de temps, et de ces pièces je n'en ai fait qu'une.

Voilà l'autel du dieu inconnu à qui cette nouvelle Athènes sacrifie. Rousseau en est le Diogène, et, du fond de son tonneau, il s'avise d'aboyer contre nous. Il y a en lui double ingratitude. Il attaque un art qu'il a exercé lui-même, et il écrit contre vous, qui l'avez accablé d'éloges. En vérité, magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes 6.

N'êtes-vous pas à Paris dans la consternation ? Le roi de Prusse est dans l'embarras, Marie-Thérèse est aux expédients, tout le monde est ruiné. Rousseau n'est pas le plus grave fou de ce monde. Ah quel siècle ! quel pauvre siècle ! Répondez à mes questions, et aimez un solitaire qui regrette peu d'hommes et peu de choses, mais qui vous regrettera toujours, qui vous admire et qui vous aime. »

2 De l'Encyclopédie .

3 La chronologie de la Lettre sur les spectacles de JJ Rousseau est importante ; elle fut commencée en octobre 1757 et achevée le 9 mars 1758 ; Rousseau l'envoya à l'éditeur le 15 mai et informa d'Alembert de son existence le 25 juin ; d'Alembert chargé de l'examiner, l'approuva le 22 juillet ; le 11 août l'éditeur en fit parvenir de nombreux exemplaires d'Amsterdam à Paris ; le livre fut largement connu à la mi septembre . Voir Histoire de l'impression et de la publication de la Lettre à d'Alembert de J-J. Rousseau .

4 Calvin ne reconnaissait que deux sacrements : le baptême et la communion .

5 La Mort de César, de Voltaire acte III, scène iv.

 

12/10/2013

vous ne paraissez pas trop content de Paris et je crois fermement que vous avez raison.

... Peut on me souffler à l'oreille depuis quelque temps !

 Que d'interdits !

 ach paris interdit DSCF3768.JPG

 

« A Pierre -Robert Le Cornier de CIDEVILLE.

Aux Délices, 1er septembre [1758].

Mon cher et ancien ami, je reviens dans mes chères Délices, après un assez long voyage à la cour palatine. Je trouve, en arrivant, vos jolis vers 1, dans lesquels vous ne paraissez pas trop content de Paris et je crois fermement que vous avez raison. Mais avez-vous, dans votre Launay, un peu de société? Il me semble que la retraite n'est bonne qu'avec bonne compagnie. Vous savez, mon cher Cideville,

Que ce fantôme ailé qu'on nomme le bonheur

N'habite ni les champs, ni la cour, ni la ville.

Il faudrait, nous dit-on, le trouver dans son cœur;

C'est un fort beau secret qu'on chercha d'âge en âge.

Le sage fuit des grands le dangereux appui,

Il court à la campagne, il y sèche d'ennui

J'en suis bien fâché pour le sage.

Ce n'est pas des sages comme vous et moi que je parle; je suis bien sûr que l'ennui n'approche pas plus de votre Launay que de mes Délices. Je prends acte surtout que je n'ai pas quitté mes pénates champêtres par inquiétude, pour aller chez l'électeur palatin par vanité. Je vous avouerai que j'ai mis dans cette cour, et entre les mains de l'électeur, une partie de mon bien, qu'on pille presque partout ailleurs. Il a bien voulu avoir la bonté de faire avec moi un petit traité qui me met en sûreté, moi et les miens, pour le reste de ma vie. Le bon Horace dit Det vitam, det opes; æquum mi animum ipse parabo.2

Il aurait dû ajouter det amicos 3; mais vous me direz que c'est notre affaire, et non celle du ciel. C'est l'amitié de mes nièces qui fait de près le bonheur de ma vie c'est la vôtre qui le fait de loin Excepto quod non simul essem, caetera laetus.4

Je vous ai bien souvent regretté, et votre souvenir m'a consolé. Vous n'êtes pas homme à franchir les Alpes, et à me venir voir sur les bords de mon lac, comme Mme du Boccage 5 . Vous vous contentez de cueillir les fleurs d'Anacréon dans vos jardins; vous n'allez pas chercher comme elle la couronne du Tasse au Capitole.

Satis beatus unicis Sabinis.6

Adieu, mon cher et ancien ami mes deux nièces, toute ma famille, vous font les plus tendres compliments.

V.

Eh bien, les Anglais ont donc quitté vos côtes normandes, nonobstant clameur de haro.  Est-il vrai qu'ils ont pris beaucoup de canons, de vaches, de filles, et d'argent? Le Canada va donc être entièrement perdu, le commerce ruiné, la marine anéantie, tout notre argent enterré en Allemagne ? Je vous trouve très heureux, mon cher Cideville, de posséder la terre de Launay. Je n'ai aux Délices que l'agréable, et vous possédez l'agréable et l'utile.

Beatus ille qui, procul ridiculis,

Fœcunda rura bobus exercet suis 7»

1 Lettre du 26 juillet 1758 consistant en une douzaine de quatrains ; extraits : «  Que laissai-je à Paris ? Des masques politiques / Cachant leur air d'avidité/ Et le Luxe en son char, dans les places publiques / Insultant à la Pauvreté […] / Je reviens sans regrets, en ce coin de la terre , / Où mes aïeux s'étaient bannis […] Le Sage, indépendant du joug des artifices, / Règne heureux, chez soi confiné:/ Vous illustre, opulent, vrai seigneur des Délices, / Moi, sans nom, peu riche à Launay. […] Oh ! Si j'écoutais l'oncle , en lorgnant ses deux nièces, / Tous trois charmants, peintres tous trois : / Si volant leurs crayons, j'en prenais leurs finesses, / Mon sort serait selon mon choix . »

2 Que [Jupiter] me donne la vie, qu'il me donne des ressources : pour l'égalité d’âme ,c'est à moi-même à me l'assurer ; Épîtres I, xviii, 112.

3 Qu'il me donne des amis .

4 Si ce n'est que nous ne sommes pas ensemble, pour le reste, je suis heureux .Horace, Épîtres I, x, 50

5Voir la lettre de Mme du Boccage à Mme du Perron du 8 juillet 1758 : page 464 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411355v/f467.image

6 Assez heureux avec mon seul domaine sabin. Horace, Odes II, i, 14.

7 Heureux qui, loin des ridicules, travaille sa terre féconde avec ses propres bœufs . Horace, Épodes, II,i,3 .

 

11/10/2013

voir les affaires plus brouillées, et les bourses plus vides que jamais

 ... Honni soit qui mal y pense !

Les affaires ? quelles affaires ?

 Vides ... ou presque  !

 DSCF4759 vides ou presque.JPG

 

« A Jean-Robert Tronchin

Aux Délices 29 août , retardé jusqu'à samedi 2 septembre 1758

Je reviens, mon cher monsieur, à votre petit ermitage avec deux chagrins, celui de vous avoir point vu, et celui de voir les affaires plus brouillées, et les bourses plus vides que jamais . Il ne s'agit dans cette maladie épidémique de l’Europe que de conserver sa santé autant qu'on le peut dans son obscurité . Le naufrage parait général , il faut que chaque particulier se sauve sur sa planche .

J'apprends qu'on a voulu négocier aussi vainement entre Berne et Lyon qu'entre les puissances belligérantes . Tout le monde cherche de l'argent et je suis aussi chargé d'en négocier . J'ai déjà fait une petite affaire assez bonne, pour notre ami Labat et pour moi . Vous voulez bien lui fournir pour mon compte quatre-vingt dix mille livres . C'est un peu plus aisé à trouver que cinq cent mille livres de l'emprunt desquelles je suis chargé . On ne peut avoir une plus rude commission .

J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint quelques rafraichissements très légers de Cadix . Il y a entre autres un billet de change de 410 livres quinze sous du 22 juin 1757 . Il est étrange que je l'envoie aujourd'hui . Il avait été oublié dans mes papiers, et je l'ai retrouvé en faisant ma revue . Je ne sais si vous envoyez ces lettres de change en droiture à M. Gilli de Montaud à Paris 1, ou si vous les adressez à un tiers . En tout cas il vous sera aisé de spécifier que ce petit billet avait été oublié .

J'ai été sur le point d'acheter auprès de Nancy une très jolie terre ce qui aurait assuré à mes héritiers un fonds plus solide que les papiers sur le roi et sur la Compagnie des Indes . Le marché était très avantageux et c'est pour cela qu'il a manqué . C'est un fort mauvais marché à ce que je vois que d'avoir à présent des billets de loterie et des annuités . Qu'en pensez-vous ?

On prétend que Louisbourg est pris 2. Je le crois quoique je n'en aie aucune nouvelle et quant aux bonnes nouvelles de nos armées, je ne les crois pas . Une planche, vite une planche dans le naufrage ! Vendons nos effets royaux dès que nous le pourrons honnêtement . Si la flotte arrivée à Cadix ne nous apporte pas quelque consolation, je n'en espère plus ni du nouveau monde, ni de l'ancien .

Adieu mon cher monsieur . Quand nous aurons donné au baron de Grandcour les 90 000 livres nous verrons ce qui nous reste . Votre amitié est le meilleur de mes effets .

Votre très humble et très obéissant serviteur .

V...

2 septembre

J'ai laissé cette lettre sur ma table en attendant que j'eusse quelques nouvelles . Je ne vous parle pas de Louisbourg dont vous savez tous les funestes détails 3. Il y a actuellement à ce qu'on m'assure douze mille anglais joints au prince de Brunswick . Tout se déclare contre la France sur mer et sur terre . La nouvelle que les Russes on détruit près de Rupin un corps de six mille Prussiens ne se confirme pas encore . Si elle était vraie le roi de Prusse serait encore plus embarrassé que la France .

Vous passez vous autres Lyonnais pour avoir été refusés net à Berne au sujet d'un emprunt d'un million, et le landgrave de Hesse passe pour avoir eu ce million, ce que je ne crois point du tout . Bonjour mon cher correspondant.

V »

1 Gilly de Montaud : voir : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1984_num_258_1_1088 en faisant Rechercher « gilly »

2 La nouvelle était fausse .