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18/08/2013

Il serait triste pour moi d'être obligé de perdre mon temps et mon repos à réfuter des impostures littéraires

... De même qu'il est rageant d'avoir à effacer de pseudo-commentaires qui sont de vrais spams dignes de la benne à ordures et  que je vois apparaitre depuis quelques semaines . Les fameuses scories du Net ...

Pour s'en défendre  voir : http://www.spammeur-bourrin.com/

spammeur-bourrin.jpg

 

 

« A Jean-Nicolas-Sébastien Allamand

professeur à Leyde 1

Aux Délices 13 mai [1758] route de Genève

Monsieur, un officier de son Altesse royale m'apprend qu’un nommé M. Marchand qui demeure dit-on à La Haye, fait une histoire des gens de lettres vivants, qu'il débite des calomnies contre moi dans cette histoire et que vous daignez en être l'éditeur 2. Je ne puis le croire . Je compte trop sur votre probité et je suis persuadé au contraire que loin de vous prêter à cette entreprise si au dessous de vous, vos sages conseils empêcheront l'auteur de se déshonorer par ces viles impostures qui sont aujourd'hui si méprisées et lues à peine par les laquais dans les antichambres . On dit que cet auteur est capable de faire mieux et que vous êtes plus à portée que personne de l’empêcher de mal faire . Il serait triste pour moi d'être obligé de perdre mon temps et mon repos à réfuter des impostures littéraires et je me flatte que je n'aurai que des grâces à vous rendre .

J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

gentilhomme ordinaire du roi

très chrétien, ancien chambellan

du roi de Prusse »

2 Dictionnaire historique concernant la vie et les ouvrages de divers personnages distingués de la république des lettres, de Prosper Marchand, par Allamand (Marchand était mort en 1756), chez Pieter de Hondt à La Haye . Il n'y a pas d'article sur V* mais plusieurs allusions à sa personne, la plupart forcées et toutes malveillantes . Dans la préface du tome II, Allamand déclare que plusieurs auteurs vivants se sont plaints des allusions faites par Marchand à leur personne . Les allusions à Voltaire sont dans ce tome II encore critiques mais cependant courtoises ; voir page 11, page 120, page 319 de http://books.google.fr/books?id=Oo1SyzOkLSIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

. Constituant une frappante exception par rapport au ton général, l'article « s'Gravesande » rédigé par Allamand lui-même, parle de V* avec la plus grande cordialité . Ces considérations font regarder comme extrêmement probable que cette lettre de V* fut écrite dans l'intervalle entre la publication des deux tomes . Le 1er juin Voltaire aura appris que l’œuvre de Prosper Marchand était posthume : voir la lettre correspondante à Allamand .

Prosper Marchand : http://fr.wikipedia.org/wiki/Prosper_Marchand

 

 

17/08/2013

Je peins le genre humain, et vous le jugerez

... Autre manière de dire "ne pas être juge et partie", avec cependant un bémol, le jugement dépend de ce que le peintre veut bien mettre en lumière ; sachant qu'il est impossible de tout montrer , que vaut alors le jugement ?

 genre humain.jpg


 http://www.katherinerey.odexpo.com/galerie_d.asp?galerie=18527&ng=GENRE%20HUMAIN

 

 

« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

Aux Délices près de Genève 12 mai [1758]

Si vous voulez plaider , madame, restez ; si vous voulez vivre tranquille, venez 1. La nouvelle proposition que vous faites pour la maison 2 n'est pas praticable . Mais quand vous voudrez bien sérieusement choisir une retraite dans un pays où des Français, des Anglais, des Hollandais, des Allemands, des Russes viennent vivre heureux, vous n'avez qu'à m’avertir et vous serez servie .

Je suis beaucoup plus affligé que cet homme supérieur que vous voyez quelquefois, car je ne vois point les ressources . Il les voit et il les fait .

Pour vous, madame, tachez de croire qu'un mauvais accommodement pourvu qu’il soit sûr, vaut mieux pour vous qu'un mauvais procès et même qu'un bon . Pardonnez surtout à mon tendre attachement si je vous dis la vérité .

J'ai cru la dire au moins dans une esquisse d'Histoire générale que vous daignez lire, mais les libraires de Genève l'ont remplie de fautes sans compter les miennes . Je voudrais que vous ne l'eussiez point lue . Vous verriez dans une édition que je prépare des choses qui pourront fournir des réflexions à un esprit tel que le vôtre . Je peins le genre humain, et vous le jugerez .

Que ne puis-je aller jusqu'à 1758 et dire ce que je pense ? que ne puis-je plaire à l'homme universel, au grand homme dont vous me parlez qui n'aura pas selon les apparences le temps de me lire ?

Vous me parlez d'un gouverneur pour un jeune homme . Ce gouverneur gouverne à présent à Strasbourg à moins qu'il ne soit parti pour Vienne avec son pupille . Il sera toujours fort aisé de s'informer soit à Vienne soit à Strasbourg, si on est content de l'éducation qu'il a donnée à son pupille autrichien .

Je crois connaître votre Strouganof 3. Du moins un jeune Russe en of m'a fait l'honneur de dîner dans mon ermitage en allant à Paris d'où il devait aller à Vienne .

Me voici actuellement dans mes Délices avec cette nièce qui dormait à Francfort entre quatre soldats la bayonnette au bout du fusil avec un sieur Freitag à leur tête, à peu près comme dort à présent la reine de Pologne à Dresde . Nous oublions nos petits mésaises dans une jolie maison avec de la musique, des amis, des livres, des jardins agréables et un bon cuisinier . Cet état vaut mieux que celui que vous m'avez vu . Cependant, madame, il s'en faut de beaucoup que je sois content et vous devinez bien pourquoi . Votre procès ne va pas bien . Celui de l'homme respectable à qui je m'intéresse sans avoir eu l'honneur de l'approcher est mêlé d'incidents qui me déchirent le cœur . Je connais quelques-uns des avocats pour et contre, mais je crains de parler chicane . Adieu, madame, puisse le goût du repos saisir votre cœur et nous amener votre personne . Recevez les tendres respects de l'ermite .

V. »

1 La comtesse répondra le 23 juin : « Je suis en route pour vous aller voir, et votre lac, et Montriond et la liberté […]. je m'en vais d'ici demain ou après-demain à Turin où je passerai quelques jours, après quoi je me munirai de courage et de vinaigre pour passer aussi gaillardement qu'Annibal les vilaines Alpes à l'issue desquelles vous me ferez trouver les Délices . »

2 Montriond que V* avait occupée auparavant .

3 Alexandre Sergeevitch Strogonof qui devint plus tard président de l'Académie des beaux Arts de Saint Pétersbourg . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Sergue%C3%AFevitch_Stroganov

 

16/08/2013

Je ne sais, Dieu merci, aucune nouvelle ; il me semble qu'il y a plus de quinze jours qu'on n'a massacré personne

... Et il faut bien être complètement isolé du monde moderne , source inépuisable et ininterrompue de nouvelles, pour pouvoir s'imaginer une période de quinze jours sans massacre humain .

Rien que les quelques minutes nécessaires à la rédaction de ces quelques lignes, combien d'humains sont passés de vie à trépas par la main et les armes d'autres humains ? Je ne sais, mais c'est surement un nombre qui donne le vertige à tout être sensé .

 jeu de massacre.jpg


Ah ! qu'il est bon le temps des vacances quand les évènements du monde restent virtuels, qu'il n'y a que le ici et maintenant qui compte, et que cet ici et maintenant est fort agréable, ou au pire pas désagréable  . Je vous souhaite de le vivre aussi souvent que possible .

 

 

 

« A M. Élie BERTRAND.

premier pasteur de l’Église française

à Berne

Aux Délices, 9 mai [1758].

Vraiment, mon cher philosophe, il vous est venu là une très bonne idée. Vous pouvez donner aisément une cinquantaine d'articles d'histoire naturelle, et surtout l'article Tremblement de terre vous est dévolu de droit. Je vais sur-le-champ écrire aux encyclopédistes, et leur donner part du service que vous voulez bien leur rendre. J'insisterai pour qu'on vous envoie les exemplaires déjà imprimés.

J'ai été fort malade à Lausanne. Les Délices réparent un peu le mal que Lausanne m'a fait. Je ne sais si M. de Freudenreich ne viendra pas cette année dans nos cantons; je me flatte qu'en ce cas vous serez du voyage, et que j'aurai l'honneur de recevoir dans mon petit ermitage les personnes à qui je suis le plus attaché. Vous verrez mes petites Délices un peu plus ajustées qu'elles n'étaient. Je cultive aussi l'histoire naturelle mais c'est en plantant des arbres, en faisant des terrasses, des allées, des potagers. Je fais plus de cas d'une bonne pêche que de toutes les coquilles du monde.

J'ai reçu votre Gazette italienne 1 des fantaisies qui passent par la tête de nous autres écrivains en Europe. On écrit tant que je suis honteux d'écrire; mais cela amuse. Quand faudra-t-il envoyer le payement de ce journal ? et à qui ?

Je ne sais, Dieu merci, aucune nouvelle ; il me semble qu'il y a plus de quinze jours qu'on n'a massacré personne. C'est une époque singulière.

Mille respects, je vous prie, à M. et à Mme de Freudenreich. Nous avons une assez bonne comédie aux portes de Genève. Cette ville n'a point encore de théâtre comme Amsterdam mais quand il y aura quelques millions de plus dans la ville, il faudra bien alors avoir du plaisir.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

V. »

 

15/08/2013

la place que j'abandonne Ne sera prise par personne Qui n'ait pissé sur son mouchoir

... ??? Mystère !

Est-ce ainsi que se passe le relais entre ministres et présidents ? Qui est chargé de contrôler le susdit mouchoir ? Est-ce comme pour le drap taché du sang de la jeune mariée, avec exposition à la fenêtre du ministère ou de l'Elysée ? Otez moi d'un doute lancinant , je veux, je dois savoir ...

mouchoir toilette.jpg

 

 

 

A M. Nicolas-Claude THIERIOT.

chez madame la comtesse de Montmorency,

rue Vivienne

à Paris

Aux Délices, 8 mai [1758].

Mon cher et ancien ami, il me paraît qu'on n'est pas plus instruit du secret de l'historiographe de toutes les Russies que de celui de la Pucelle. Ce sont les mystères de mon gouvernement. Si vous voulez y être initié, vous n'avez qu'à venir dans ma chancellerie mais je suis bien sûr qu'on ne quitte point de jeunes et belles et brillantes baronnes chrétiennes 1 pour des Suisses hérétiques.

L'énigme de Mme la duchesse d'Orléans 2 est une attrape-Foncemagne. Ce n'est pas la première fois que les belles se sont moquées des savants. Voici comme on pourrait lui répondre, en assez mauvais vers

Votre énigme n'a point de mot;

Expliquer chose inexplicable,

Est ou d'un docteur ou d'un sot

L'un et l'autre est assez semblable.

Mais si l'on donne à deviner

Quelle est la princesse adorable

Qui sur les cœurs sait dominer

Sans chercher cet empire aimable,

Pleine de goût sans raisonner,

Et d'esprit sans faire l'habile,

Cette énigme peut étonner,

Mais le mot n'est pas difficile.

Je serai fort aise que Marmontel, qui a certainement de l'esprit et du talent, et qu'on a dégoûté fort mal à propos, ait au moins le bénéfice du Mercure 3. Ce sera un antidote contre les poisons de Fréron.

Je doute fort que ceux qui vous ont dit que Fréret a mis Newton en poudre soient des connaisseurs. J'ai lu autrefois le manuscrit de Fréret 4 il fut composé avant que le système de Newton fût imprimé. Fréret et le jésuite Souciet 5, autre savantasse, écrivirent tous deux contre Newton, sur un faux exposé de son système, qui parut alors dans un de ces journaux dont l'Europe est accablée. Fréret ne savait ce qu'il disait, j'ignore s'il l'a mieux su depuis. Je ferai venir ce livre pour le joindre à tout ce que j'ai sur cette matière.

Il y a une excellente histoire des finances, depuis 1595 jusqu'en 1721. Si vous rencontrez l'auteur, qui est un M. des Fournez 6, directeur des monnaies, dites-lui que je le fais contrôleur général des finances.

Pourriez-vous à votre loisir me faire un petit catalogue des bons livres qui ont paru depuis dix ans? Je crois qu'il sera court mais je veux avoir tout ce qui peut être utile, et même les livres médiocres dans lesquels il y a du bon car on peut toujours tirer aurum ex stercore Ennii 7.

Interim vale, et mihi scribe.

V. »

1 Comme Mme de Montmorency .

2 Louise-Henriette de Bourbon, mariée, en décembre 1743, à Louis-Philippe d'Orléans, alors duc de Chartres; morte le 9 février 1759.

Moland donne cette note : L'énigme que cette princesse avait donnée à deviner à l'auteur d'OEdipe est dans le tome X (Poésies mêlées), avec les douze vers ci-dessus.

Mais ni l'énigme ni la réponse de V* ne se trouvent dans ce tome X . La référence à Beuchot montre que la note de Moland a été prise dans cette édition, à part l'attribution à Clogenson . Dans Clogenson on lit la note suivante signée Louis du Bois : « Voici cette énigme […]

Je suis des musulmans l'horreur et le modèle ;

J'ai suivi les Césars et suis encor pucelle ;

Soit qu'il pleuve, soit qu'il tonne,

Je vais à l'abreuvoir ;

Et la place que j'abandonne

Ne sera prise par personne

Qui n'ait pissé sur son mouchoir ... »

3 Marmontel fut effectivement , à la prière de Mme de Pompadour, directeur du Mercure de France d'août 1758 à janvier 1760 après une période de quelques mois au cours de laquelle il en eut seulement la charge nominale .

4 Fréret avait publié en 1725 un Abrégé de la chronologie de M. le chevalier de Newton, paru sans l'accord de Newton qui n'avait pas encore fait imprimer le texte anglais se son ouvrage . Celui-ci parut, développé sous le titre The Chronology of ancient kingdoms amended (1728) qui fut traduit la même année par l'abbé Granet sous le titre de La Chronologie des anciens royaumes corrigée . Plus tard Fréret revint à la charge dans un ouvrage qui parut, posthume, en 1758 : Défense de la chronologie contre le système chronologique de M. Newton ; Thieriot avait dû le commenter, mais sa lettre n'est pas connue .

5 Etienne-Augustin Souciet , , mort en 1744, frère ainé de deux autres jésuites ,: Recueil de dissertations critiques sur des endroits difficiles de l’Écriture sainte . Le second volume (1726) contient cinq dissertations dirigées contre la Chronologie de Newton .

6 Il s'agit en fait de François Veron de Forbonnais qui fut inspecteur général, et non directeur, des monnaies de France, et qui écrivit des Recherches et considérations sur le finances de France depuis 1595 jusqu’à l'année 1721 , Bâle 1758 .

7 Locution proverbiale venant de De institutione divinarum scriptorum où il est dit que Virgile qui lisait Ennius s’entendit demander ce qu'il faisait et qui répondit : « Je cherche de l'or dans du fumier. »

 

14/08/2013

On sera réduit à faire la paix . Dieu nous doint cette douce humiliation

... Mais, sacré nom de Zeus, quel gâchis en attendant cette paix, inéluctable pour peu que l'on y réfléchisse , en tout temps, en tout lieu .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

conseiller

d'honneur du parlement

rue 1 de la Sourdière

à Paris

Aux Délices 8 mai [1758]

Mon cher ange, il doit y avoir une petite caisse plate qui contient quelque chose d'assez plat à votre adresse au bureau des coches de Dijon . Cette platitude est mon portrait . Un gros et gras Suisse, barbouilleur en pastel qu'on m'avait vanté comme un Raphaël, me vint peindre à Lausanne il y a six semaines en bonnet de nuit et en robe de chambre . Je fis partir ma maigre effigie par le coche de Dijon ou par les voituriers . Une Mme Rameau commissionnaire de Dijon s'est chargée de vous faire tenir ce barbouillage . Je vous demande pardon pour ma face de carême , mais non seulement vous l'avez permis, vous l'avez ordonné, et j'obéis toujours tôt ou tard à mon cher ange . Est-il vrai que La Fille d'Aristide 2 le juste a été aussi maltraitée par le parterre parisien que son père le fut par les Athéniens ? cela n'est pas poli . Heureusement vous aurez bientôt Mme du Boccage 3 qui revient dit-on avec une tragédie . Mme Geoffrin ne nous donnera-t-elle rien ?

Et l'ouvrage bigarré de l'Encyclopédie , comment va-t-il ? Mon divin ange avez-vous vu Diderot ? Veut-il accepter les articles qu'on m'avait confiés ? Avez-vous eu la bonté de donner ces paperasses à Mme de Fontaine ? Notre Tronchin reste trop longtemps à Paris . Il faut le renvoyer au plus vite à Mme de Grolée .4

J'ignore ce qu'on fait sur mer et sur terre . Il paraît que les chiens de la guerre , comme dit Shakespeare 5, cessent de mordre et même d'aboyer . Les Anglais admirent cette expression . Je suis toujours émerveillé de ce qui se passe ; celui que vous appeliez tous Mandrin il y a deux ans, il y a un an, devient un homme supérieur à Gustave Adolphe, et à Charles XII par les évènements . On 6 sera réduit à faire la paix . Dieu nous doint 7 cette douce humiliation . Cependant nous avons une assez bonne troupe aux portes de Genève . La nièce et l'oncle vous baisent les ailes .

V. »

1   Suivi de Vivienne sur le manuscrit ; Thieriot à qui V* écrit le même jour habitait rue Vivienne .

2   La pièce de Mme de Graffigny n'eût que trois représentations et ne fut pas reprise .

4   Ce paragraphe omis dans la copie Beaumarchais manque dans l'édition de Kehl et suivantes .

5   Dans Jules César Ac.III, sc. 1,v. 273 :ANTOINE.- « O pardonne-moi, masse de terre encore saignante, … et alors seront lâchés les chiens de la guerre ... »

6  Il semble que V* a d'abord écrit Il .

7 Subjonctif archaïque bien connu du verbe donner ; on le trouve couramment chez Marot et ceux du même style jusqu'au XVIIè siècle, voire au XVIIIè ; on ne doit donc pas le changer en doit comme l'ont fait les éditeurs du XIXè siècle .

 

13/08/2013

Je n'ai Dieu merci rien à demander pour moi à aucun roi de ce bas monde, et je suis enchanté d'obtenir pour les autres .

... Ce devrait être le programme de tout député, sénateur, élu de tout grade ayant à coeur le bien commun . Sans vouloir être discourtois, à mes yeux peu ou pas d'élus n'ont assez d'altruisme . Je serais heureux de me tromper à ce sujet .

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« A Jean-Robert Tronchin

Aux Délices 5 mai [1758]

Mon cher correspondant, vendez, ne vendez point, troquez, ne troquez point, placez, ne placez point, vous ferez toujours très bien et je m'en rapporte entièrement à vous . Je ne m'en rapporte pas si aveuglément à ceux qui font des dépenses si immenses et si infructueuses pour la guerre de mer et de terre . Je vois notre commerce en train d'être ruiné ; et quoique M. le chevalier des Soupirs 1 m'envoie des triplicata de son arrivée sur la côte de Coromandel , je tremble pour nos affaires d'orient et d'occident . Je voudrais que le Canada fût au fond de la mer glaciale, même avec les révérends pères jésuites de Québec , et que nous fussions occupés à la Louisiane à planter du cacao, de l'indigo, du tabac et des muriers , au lieu de payer tous les ans quatre millions pour nos nez à nos ennemis les Anglais qui entendent mieux la marine et le commerce que MM. les Parisiens .

Le roi de Prusse m'a accordé un congé pour un de vos Genevois prisonniers 2 . C'est un Turretin, famille honorée ici presque comme les Tronchin . Cette petite aventure m'a fait un extrême plaisir . Je n'ai Dieu merci rien à  demander pour moi à aucun roi de ce bas monde, et je suis enchanté d'obtenir pour les autres .

J'ai répondu à M. de Gournay 3. C'est un homme dont je fais grand cas . Je crois que personne n'entend mieux le commerce en grand et ne mériterait mieux d'être écouté .

Voudriez-vous bien avoir la bonté de m'apporter de Paris de grandes et commodes tablettes à mettre en poche ? On a tant de choses à mettre sur ses tablettes par le temps qui court ! Grand merci des graines que vous annoncez . Vous trouverez votre jardin très beau . Puissent les vignes de Bourgogne que j'ai plantées sur votre terrain de terre à pot ne pas dégénérer si tôt ! Mais quoi qu'en dise d'Alembert 4 votre sol est un des mauvais que je connaisse . On voit bien qu'il appartient à des excommuniés . Vous serez cependant toujours de ma communion et de celle de Mme Denis . Nous vous embrassons l'un et l'autre de tout notre cœur .

V. »

2 Lettre du 8 avril 1758 de Frédéric II à V* : « J'ignore s'il y a un Turretin prisonnier à Berlin . Si cela est , il peut retourner à sa patrie sans que l’État coure le moindre risque . » Voir lettre du 28 avril 1758 à la duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/08/11/ii-y-a-malheureusement-plus-de-soldats-que-de-laboureurs-cha.html

3 Jean-Claude-Marie Vincent, seigneur de Gournay, économiste renommé qui mourra en 1759 , la lettre que lui adressa V* n'est pas connue . Voir : http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89loge_de_Vincent_de_Gournay

4 D'Alembert dit dans son article de l'Encyclopédie « Genève » : On remédie au peu de fertilité du terroir à force de soins et de travail . »

 

12/08/2013

ne perdons ni le sommeil ni l'appétit quand nous perdrions tous nos vaisseaux et nos armées

 ... Cynique, moi ? allons bon !

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

Lausanne 29 avril [1758]

Ce n'est point à mon cœur, ce n'est point à mon âme, ce n'est point à ma main, ce n'est point à mon visage, madame, que vous devez vous en prendre, si je n'ai pas eu l'honneur de vous écrire depuis si longtemps, c'est ne vous déplaise à mon derrière qui m'a joué de forts cruels tours . On souffre de partout, madame, dans ce monde-ci . Il y a pourtant du bon dans la vie . Le mariage de monsieur votre fils par exemple est une des bonnes choses que je connaisse . Vingt mille francs de pension pour épouser sa maitresse 1! Il n'y a rien assurément de si bien arrangé ni de si heureux . Mme Denis et moi nous vous en faisons, madame, les plus sincères compliments . Vous voilà très heureuse par monsieur votre fils . Soyez-le toujours par vous-même . Jouissez d'une santé toujours égale que vous devrez à votre sage régime et à votre tranquillité . Quelque chose qui arrive sur les bords du Rhin vers Vezel, soyez contente à l'île Jard ; quelques millions que le roi emprunte, soyez payée de vos revenus, voilà ce que je vous souhaite du meilleur de mon cœur . Si vous avez quelque nouvelle amusez-nous en et daignez m'en amuser . Mais ne perdons ni le sommeil ni l'appétit quand nous perdrions tous nos vaisseaux et nos armées . Supportons les malheurs du genre humain tout doucement . Adieu , madame, la philosophie est après la santé ce que je connais de mieux .

Je vous suis toujours attaché avec le plus grand respect .

V. »