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15/10/2019

j'ai fait quelques extraits, mais en très petit nombre, pour l'ouvrage dont vous me parlez ; je n'ai pu refuser cette complaisance au ministre qui le protège, et qui m'honore de ses bontés

...

 

« A Pierre Rousseau, Directeur du « Journal

encyclopédique »

à Bouillon

15è auguste 1764 à Ferney

Il est vrai, monsieur, que j'ai fait quelques extraits, mais en très petit nombre, pour l'ouvrage dont vous me parlez ; je n'ai pu refuser cette complaisance au ministre qui le protège, et qui m'honore de ses bontés ; mais j'ai été absolument hors d'état de continuer ce petit travail . Mon âge, ma mauvaise santé et quelques autres occupations ne me l'ont pas permis ; mais si je découvre quelque chose qui ne soit pas indigne de votre journal, je ne manquerai pas de vous l'envoyer . Vous savez combien les lettres me sont chères, et combien vous augmentez encore mon goût pour elles .

Comptez, monsieur, sur les sentiments de votre très humble et très obéissant serviteur.

V. »

14/10/2019

Plus on retranche en prose, en vers, en tout genre excepté en finance, moins on fait de sottises

...

 

« A Henri-Louis Lekain

[vers le 13 août 1764]1

Mon cher grand acteur, le petit ex-jésuite auteur de ce malheureux drame m'en est venu trouver . Il faut encourager la jeunesse . Je l'ai engagé à retravailler son ouvrage, et il doit vous être remis . Je doute fort que malgré tous ses soins vous trouviez un libraire qui veuille l'imprimer . Il n'y a que les succès qui enhardissent les libraires . Je crois que votre intérêt serait de rejouer la pièce, sans annoncer de corrections, mais en distribuant de nouveaux rôles . Il se pourrait que cette pièce bien représentée plût au moins à quelques amateurs . Je sais que le sujet n'en est pas fort touchant . Je sais même que l'opéra-comique où l'on joue les contes de La Fontaine et où il n'est question que de tétons, de baisers, et de jouissance, inspire beaucoup de froideur pour tout spectacle sérieux, mais il y a un petit nombre de gens qui aiment les sujets tirés de l'histoire romaine, et si ce petit nombre est content, vous tirerez alors quelque parti de l'impression . L'auteur m'a conjuré de vous engager à ne point demander de privilège . Il vous prie encore de supprimer ce titre emphatique de Partage du monde,2 titre qui promet trop, qui ne tient rien, et qui n'est pas le sujet de la pièce . Il prétend que vous pourriez obtenir un ordre des premiers gentilshommes de la chambre pour jouer sa pièce à Fontainebleau . C'est une vraie pièce de ministres . Vous en donneriez quelques représentations à Paris . Cela demanderait peu de travail . Voyez ce que vous pouvez faire, mandez-moi vos idées, afin que je les communique au jeune auteur . Je vous embrasse du meilleur de mon cœur .

N.B. – Si vous voulez absolument imprimer l'ouvrage du petit défroqué, je pense qu'il faudra changer ses a en o . Il a voulu suivre mon orthographe, cela lui ferait tort, on le prendrait pour mon disciple.

N.B. – Si vous prenez ce stérile parti d'imprimer sans jouer, si vous jouez sans imprimer, si vous gardez le manuscrit du prêtre sans imprimer ni jouer ; en un mot quelque chose que vous fassiez, il vous prie de retrancher au 4è acte scène 3 tout ce qui est entre ces deux vers ;

Elle coutera cher ; elle sera fatale

.................................................

Adieu que mon épouse en apprenant mon sort 3.

Plus on retranche en prose, en vers, en tout genre excepté en finance, moins on fait de sottises . »

1 L'édition de Kehl , après plusieurs tentatives pour dater le manuscrit, retient d'abord la date du 30 juin 1764, pour préférer celle de la fin de juillet lors de l'impression . La lettre peut avoir été écrite le même jour que celle destinée à la comtesse d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/10/12/j-ai-achete-assez-cher-la-liberte-tranquille-dans-laquelle-je-finis-mes-jou.html

2 Ce sous-titre fut effectivement supprimé .

3 Les vers intermédiaires furent supprimés, et les deux vers cités furent modifiés .

13/10/2019

J’ai acheté assez cher la liberté tranquille dans laquelle je finis mes jours, pour n’en pas faire le sacrifice

... J'aimerais en dire autant .

 

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

13è auguste 1764

Votre ami M. Tiepolo, madame, est arrivé très malade. J’ai envoyé tous les jours chez lui. Je lui ai mandé que j’étais à ses ordres. Je n’ai pu aller le voir ; et voici mes raisons. J’ai prêté les Délices à MM. les ducs de Randan et de Lorges. M. le prince Camille 1 arrive . Mme la présidente de Gourgues et Mme la marquise de Jaucourt sont à Genève . C’est une procession qui ne finit point. Je suis à deux lieues de cette ville. Si je faisais une visite, il faudrait que j’en fisse cent . Ma santé ne me le permet pas. Je passerais ma vie à courir, je perdrais tout mon temps, et je ne veux pas en perdre un 2 instant. Les tristes assujettissements auxquels mes maladies continuelles me condamnent me forcent à la vie sédentaire. Tout ce que je puis faire, c’est de bien recevoir ceux qui me font l’honneur de venir dans mon ermitage. J’ai acheté assez cher la liberté tranquille dans laquelle je finis mes jours, pour n’en pas faire le sacrifice. M. l’ambassadeur de Venise m’a promis qu’il viendrait à Ferney ; nous aurons grand soin de l’amuser et de lui plaire . Nous le promènerons . Il verra un pays plus beau que sa Brenta, et nous lui jouerons la comédie . C’est tout ce que je ferais pour un doge.

Je crois que vous recevrez à la fois M. d’Argental et ma lettre . Ainsi, madame, je vais parler à tous deux de mon petit ex-jésuite. Il m’est venu trouver avec une lettre de M. de Chauvelin l’ambassadeur, qui persiste toujours dans son goût pour les Roués. Je lui ai dit que votre avis était qu’ils fussent imprimés, mais qu’il fallait en retrancher des longueurs, et même des scènes qui font languir l’action ; qu’il fallait surtout y semer des beautés frappantes, et faire passer l’atrocité du sujet à la faveur de quelques morceaux saillants, fortifier le dialogue, retrancher, ajouter, corriger. Il n’en a point dormi ; il a réformé des actes entiers . Un peu de dépit peut-être lui a valu du génie. Il a voulu que ses anges en vinssent à leur honneur, et que ce qu’ils ont cru passable devînt digne d’eux. Je suis très content des sentiments de ce pauvre diable, qui paraît vous être infiniment attaché . Cela est tout jeune, et plein de bonne volonté.

Ayez donc la bonté, mes anges, de faire retirer l’exemplaire de Lekain aussi bien que les rôles. Je conseillerais à Lekain de faire imprimer l’ouvrage lui-même, et de le débiter à son profit . Peut-être y gagnerait-il plus qu’avec un libraire. Il y a tant de gens qui font des recueils de toutes les pièces bonnes ou mauvaises, qu’on ne risque presque rien. D’ailleurs le petit prêtre serait très fâché qu’il y eût un privilège . Ces privilèges entraînent toujours des procès. C’est assez que notre grand acteur fasse un profit honnête de cette édition . L’auteur compte vous envoyer l’ouvrage dès qu’il sera au net. Il ne faudra à Lekain qu’une permission tacite. On mettra une petite préface au-devant de l’ouvrage, le tout sous l’approbation des anges, à qui l’ex-jésuite a voué un culte d’hyperdulie pour le moins.

Je n’ai pas la moindre facétie italienne pour fournir à la Gazette. De plus, comment pourrais-je y pourvoir à présent que j’ai les Roués sur les bras ? Un petit jésuite à conduire n’est pas une besogne aisée. Toutefois, divins anges, daignez dire dans l’occasion un mot des dîmes. Je crains la Saint-Martin 3 autant que les buveurs l’aiment 4.

Je suis à vos pieds et au bout de vos ailes.

V. »

1 Le 15 aout 1764, Montpéroux devait informer Praslin de l'arrivée à Genève, la veille, du prince Camille de Rohan, du chevalier de La Tremblaye et du prince Louis de Wurtemberg .

2 Mot ajouté par V* au dessus de la ligne .

3 E poque de la rentrée des tribunaux .

4 On banquetait en famille ce jour-là .

12/10/2019

vous savez combien il est difficile de déranger l'ordre du tableau et d'obtenir des distinctions personnelles que vous méritez

... Ou : quand le piston ne marche plus , circulez, il n'y a rien a voir ! Sport très français pour illustrer le fameux "fraternité égalité" sans doute .

 

 

« [Destinataire inconnu]1

Je me ferai sans doute monsieur un honneur et un plaisir d'envoyer la substance de votre mémoire . J'en parlerai à MM. les ducs de Randan et de Lorges dès que ma mauvaise santé me permettra de leur faire ma cour . Je voudrais vous marquer mon zèle pour vous et pour toute votre famille mais vous savez combien il est difficile de déranger l'ordre du tableau et d'obtenir des distinctions personnelles que vous méritez . Vous savez aussi qu'un vieillard solitaire et inutile au monde a toujours bien peu de crédit . Je ne peux vous répondre que de mes sentiments et du respectueux attachement de votre très humble et très obéissant serviteur .

V.

12 août [1764] »

1 L'original a été donné à Seymour de Ricci par un collectionneur américain inconnu .

11/10/2019

Une malade pleine d'esprit et de raison, est infiniment supérieure à une sotte qui crève de santé

... Je fais des voeux pour que Olga Tokarczuk ne soit pas malade , bien que pleine de raison et d'esprit, elle qui vient de recevoir son prix Nobel avec un an de retard : https://www.huffingtonpost.fr/entry/olga-tokarczuk-a-recu...

Olga Tokarczuk reçoit son Nobel avec un an de retard, mais s'excuse de l'avoir annoncé...

 

 

« A Anne-Marie Cholier, baronne de Verna

11 auguste 1764, à Ferney 1

Nous nous écrivons, madame, d'un bord du Styx à l'autre . Nous sommes deux malades qui nous exhortons mutuellement à la patience . Mais la différence entre vous et moi, c'est que vous êtes jeune et aimable . Vous n'avez pas le petit doigt du pied dans l’eau du Styx, et j'y suis plongé jusqu'au menton . Vous écrivez de votre main, et avec la plus jolie écriture du monde, et moi, je peux dicter à peine . Je vous suis très redevable de votre recette . Il y a longtemps que j'ai épuisé tous les œufs de mes poules, et la couperose, et le nitre, et le sel, et l'eau fraiche, et l'eau de vie . Ayez la bonté de considérer, madame, que des yeux de soixante et onze ans ne sont pas comme les vôtres, et sont fort rebelles à la médecine . J'avoue, madame, qu'on a quelquefois la vie à d'étranges conditions ; mais vous avez une recette dont j'use avec plus de succès que des blancs d’œufs, c'est de savoir souffrir, d'opposer la patience aux maux, de vivre aussi doucement qu'il est possible, et de tenir son âme dans la gaieté quand le corps est dans la souffrance . Je voudrais, madame, pouvoir venir avec mon bâton de quinze-vingts auprès de votre chaise longue . Je vous crois philosophe, puisque vous faites tant que de m'écrire 2. Il faut que vous ayez bien de la force dans l'esprit, puisque la faiblesse du corps en donne très souvent à l'âme . Comptez, madame, que les vraies consolations sont dans la philosophie 3. Une malade pleine d'esprit et de raison, est infiniment supérieure à une sotte qui crève de santé . Vous ne pouvez pas danser, mais vous savez penser ; ainsi je vous félicite encore plus que je ne vous plains . Je souhaite cependant que vos yeux puissent vous voir usant de vos deux jambes . Mme Denis vous dit les mêmes choses, et j'y ajoute mon sincère respect . »

1 Selon l'édition « Trois lettres de Voltaire à Mme la baronne de Verna, à Grenoble », Almanach littéraire, 1786, incomplète comme on verra .

2 L'édition signale ici une omission par deux lignes et demie de points de suspension .

3 Une ligne de points dans l'édition .

10/10/2019

N’est-ce pas Hobbes qui a dit que l’homme était né dans un état de guerre ? Je suis fâché que cet Hobbes ait raison

...Résultat de recherche d'images pour "l'homme est né dans un état de guerre"

L'actualité lui donne malheureusement raison .

 

 

« A Charles Palissot de Montenoy

11 auguste [1764]

Si Paul avait toujours été brouillé avec Pierre et Barnabé, dont il parla si cavalièrement 1, vous m’avouerez, monsieur, que notre sainte religion aurait couru grand risque. La philosophie se trouvera fort mal de la guerre civile. J’ai toujours souhaité, comme vous savez, que les gens qui pensent bien se réunissent contre les sots et les fripons. Je voudrais de tout mon cœur vous raccommoder avec certaines personnes ; mais je crois que je n’y parviendrai que quand j’aurai regagné les bonnes grâces des Fréron et des Pompignan.

N’est-ce pas Hobbes qui a dit que l’homme était né dans un état de guerre ?2 Je suis fâché que cet Hobbes ait raison. On m’a fait voir je ne sais quel poème de l’abbé Trithème, intitulé la Pucelle ; il y a un chant 3 où tout le monde est fou ; chacun des acteurs donne et reçoit cent coups de poing. Voilà l’image de ce monde. Je conclus avec Candide qu’il faut cultiver son jardin. En voilà trop pour un pauvre malade. »

1 Paul ne semble pas avoir parlé cavalièrement de Barnabé, à moins qu'on n’interprète dans ce sens un passage de l’Épître aux Galates, II, 13 : https://www.aelf.org/bible/Ga/2

09/10/2019

J’ai renoncé à toute sorte de vanité pour ce monde et pour l’autre

... En toute franchise, surtout pour l'autre, et même, parfois uniquement pour l'autre .

Ils sont en route pour le Brexit, gonflés d'eux-mêmes , comme toujours .

 

 

« Au marquis Francesco Albergati

Capacelli Senatore di Bologna

à Bologna

10è auguste 1764 à Ferney

Croiriez-vous, monsieur, que j’ai eu toutes les peines du monde à trouver dans Paris un exemplaire du nouveau Corneille commenté ? Il n’y en a plus à Genève ; les libraires n’en avaient point assez imprimé. En un mot, vous en recevrez un de Paris. Mais il faut vous résoudre à ne l’avoir que dans deux mois . Vous savez que les voitures ne font pas une grande diligence.

Nous avons actuellement à Genève un Italien d’un grand mérite ; c’est M. Tiepolo, ambassadeur de Venise à Paris et à Vienne. Il est très malade entre les mains de Tronchin, et je suis assez malheureux pour ne pouvoir aller le voir, étant plus malade que lui à ma campagne.

On voulait, ces jours passés, me faire jouer un rôle de vieillard sur mon petit théâtre ; mais je me suis trouvé en effet si vieux et si faible, que je n’ai pu même représenter un personnage qui m’est si naturel. C’est à vous, monsieur, à vous livrer aux beaux-arts et au plaisir ; tout cela n’est plus pour moi. Le roi de Prusse passe donc pour avoir fait une épitaphe latine à ce pauvre Algarotti 1. Ce monarque est bien digne d’avoir le don des langues ; il n’a jamais appris un mot de latin. Pour moi, monsieur, je ne me soucie point d’épitaphe . J’ai renoncé à toute sorte de vanité pour ce monde et pour l’autre, et je me borne à vous aimer de tout mon cœur. »

1 Albergati la cite dans sa réponse : « Hic jacet Ovidis aemulus, Newtoni discipulus, », c'est-à-dire : Ci-gît un émule d'Ovide, un disciple de Newton .