21/10/2019
Je trouve très bon que les autres aient du plaisir quand je ne peux en avoir
... Ce qui n'est pas l'avis des cheminots !
« A Théodore Tronchin
Lundi [27 août 1764] à 4 heures 1
Mon cher Esculape, il faut que vous ayez le diable au corps, d'imaginer que dans l'état où je suis je puisse faire le baladin . Je suis dans mon lit fort malade ; il y a longtemps que je vous le dis . Je me prive depuis quinze jours du plaisir tumultueux d'être à table en grande compagnie , je n’oppose à mes maux que du régime, mais il [n'a ] pas encore été peut-être assez sévère . Il le sera, et vous êtes trop éclairé pour me conseiller autre chose . Je tâcherai d'être un petit Cornaro 2. Je vous conjure toujours de dire à M. Tiepolo que ma première sortie sera pour lui .
Vos Hollandais, vos Bordelais peuvent venir admirer Mme Denis demain, entre quatre et cinq, mais où souperont-ils ? ou coucheront-ils ? Je n'en sais rien ; les acteurs s'en vont aux Délices avec M. le duc de Randan, après la comédie . Moi , je reste au lit et je ferme ma porte . Je trouve très bon que les autres aient du plaisir quand je ne peux en avoir .
Je vous embrasse tendrement, mon très cher Esculape . »
1 L'édition Cayrol place la lettre en 1767-1769, corrigé par Moland en début d'août 1764 . Elle est datée par les allusions à Tiepolo, entre autres choses .
2 Voir lettre du 23 juin 1761 au cardinal Passionei : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/05/22/notre-eveque-est-savoyard-et-refuse-aux-savoyards-la-permiss-5805058.html
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Ce qu'il y a de cruel c'est que les empoisonneurs sont récompensés, et les bons médecins persécutés
...
« A Etienne-Noël Damilaville
24è auguste 1764 1
Mon cher frère, je reçois votre lettre du 15 . J'espère que vous verrez bientôt le Genevois anglais 2 qui vous apportera le paquet, à moins qu'il ne soit dévalisé par Belzébuth .
Je vous garderai assurément le secret sur ce que vous me mandez du secrétaire 3. Ce n'était pas ainsi qu'en usaient les premiers fidèles . Pierre et Paul se querellèrent, mais ils n'en contribuèrent pas moins à la cause commune . Quand je songe quel bien nos fidèles pourraient faire s'ils étaient réunis le cœur me saigne .
Je n'ai assurément nulle envie de lier aucun commerce avec le calomniateur 4; j'ai été bien aise seulement de vous informer qu'il commençait à se repentir .
Je sens bien qu'on aurait pu faire un ouvrage plus instructif que la lettre de Sainmore 5, mais il importe fort peu qu'on se charge d’éclairer les hommes sur de mauvais vers, sur des pensées alambiquées et fausses ; sur des personnages qui ne sont point dans la nature ; sur des amours bourgeoises et insipides ; c'est contre des erreurs plus importantes et plus dangereuses qu'il faudrait leur donner du contrepoison . Ce qu'il y a de cruel c'est que les empoisonneurs sont récompensés, et les bons médecins persécutés . Ne pourrai-je jamais faire avec vous quelque consultation ? Vous avez d'excellents remèdes, mais nos malades sont comme Pourceaugnac qui voulait battre son médecin 6.
Adieu, ne nous rebutons pas, nous avons fait quelques cures, et c'est de quoi nous consoler . Courage, écr l'inf. »
1 L'édition de Kehl , d'après une copie Beaumarchais, est un amalgame de deux versions abrégées de la présente lettre et de celle du 7 septembre 1764, suivie par les autres éditions .
2 Lors Abingdon .Voir : http://rycote.bodleian.ox.ac.uk/willoughby-bertie-4th-earl-of-abingdon
3 Pinot Duclos .
4 Palissot ; voir sa lettre à V* du 9 août 1764 , écrite en termes conciliants mais fermes . Il écrit notamment , à propos de Diderot, de Marmontel et d''autres « philosophes » : « J'avoue cependant que j’aimerais encore mieux me réconcilier avec quelques uns de ces messieurs qu'avec certains anti-philosophes . Mais pour rien au monde, je ne voudrais admettre à ma communion les écrivains scandaleux qui ont osé, dans une fougue imprudente, saper tous les fondements de la morale et de nos devoirs naturels . Il est possible, à la vérité, que le fanatisme et la superstition ne soient pas moins horribles ; mais les excès d’un parti ne justifient pas ceux de l'autre . »
5 Voir lettre du 9 août à Sainmore : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/10/07/pas-un-seul-qui-ose-imprimer-ce-qu-il-pense-jugez-si-dans-des-matieres-plus.html
6 Monsieur de Pourceaugnac, de Molière, I, 8 ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Monsieur_de_Pourceaugnac
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20/10/2019
il se peut que dans la disette du bon, il trouve le mauvais passable
... Faute de grives, on mange des merles . Ainsi devraient penser les Balkany à ce jour , délinquants notoires , qui vont enfin être jugés et condamnés, leur impunité n'ayant que trop duré .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
22 auguste [1764]
Vous avez probablement divins anges reçu le gros paquet adressé à M. le duc de Praslin . Vous devez être las des fatras de mon ex-jésuite . Il n'y a que vos excessives bontés soutenues de l’amour du tripot qui puissent combattre le dégoût que que doit vous donner cette œuvre très rapetassée . Pour moi je n'en suis plus juge, et à force de regarder, je ne vois plus rien . Monsieur l'ambassadeur persiste toujours dans son goût pour les Roués, mais il est comme moi chez les Allobroges, et il se peut que dans la disette du bon, il trouve le mauvais passable .
On me mande que le pauvre Comédie-Française est déserte, et qu'il faut que vous vous en teniez dorénavant à l'Opéra-Comique . Vous êtes, en tout sens, dans le temps de la décadence . Continuez ô Welches . Je viens de lire deux nouveaux tomes de l'Histoire de France 1. Maimbourg 2, Daniel 3, sont des Tite-Live en comparaison de cette rapsodie ampoulée . Tout est du même genre . Je ne veux plus rien écrire du tout de peur que la maladie ne me gagne .
Est-il vrai que le marquis frère de la marquise 4 n'a plus les bâtiments ? Et que tous les artistes le regrettent ? Les mémoires de ce fou de d’Éon courent l'Europe 5. Nouvel avilissement pour les Welches .
Que faire ? Cultiver son jardin, mais surtout conserver ses dîmes . Je vous implore contre la sainte Église . »
1 Les volumes XIII-XIV, par Claude Villaret, de l'Histoire de France de Paul Velly , 1764 . V* est plein de son sujet car il est en train de faire, pour la Gazette littéraire de l'Europe une critique de la façon dont il est traité de la bataille d'Azincourt et de Jeanne d'Arc ( 30 septembre 1764 )
2 V* parle en général de l’œuvre historique de Louis Maimbourg qui est considérable . Il a dans sa bibliothèque l'Histoire des croisades , 1684-1685, l'Histoire du calvinisme, 1682, l'Histoire du luthéranisme, 1680, l'Histoire du schisme des Grecs, 1682 . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Maimbourg
3 V* fait assez souvent allusion à l’œuvre historique du père Daniel à cette époque ; voir notamment le Pot pourri, chap. 1 et 3 : https://fr.wikisource.org/wiki/Pot-pourri
4 Le frère de Mme de Pompadour ; voir lettre du 16 décembre 1762 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/10/25/je-n-ai-confie-a-personne-qu-a-vous-mes-propositions-politiques-tachez-de-f.html
5 Voir lettre du 18 août 1764 à Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/10/13/j-ai-eu-le-plaisir-pour-vous-faire-enrager-d-avoir-trois-acces-de-fievre-ma.html
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j'ai rompu, Dieu merci, tout commerce avec les rois
... On croirait entendre Boris Johnson ! Queenexit , en attendant le Johnsexit (vous le lisez comme vous le sentez, "John s'excite" si vous voulez ), qui ne devrait pas tarder .
« A Élie Bertrand, Premier pasteur de l’Église française, membre de plusieurs
académies
à Berne
24 auguste 1764 à Ferney
Mon cher philosophe, j'ai rompu, Dieu merci, tout commerce avec les rois, ainsi je me trouve dans l'impuissance de servir votre parent . C'est la première fois qu'il m'arrive de me repentir de ma philosophie . Heureusement je prévois que vous n'aurez nul besoin de mon secours ; M. de Kat 1 est à portée de vous rendre service , et vous ne manquerez pas d'attestations de vos compatriotes . Un homme de votre nom ne peut être que très bien reçu . Plaignez-moi de vous être inutile, et conservez-moi une amitié qui est très utile à l'agrément de ma vie .
V[oltai]re. »
1 Cart, secrétaire de Frédéric II .
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18/10/2019
C’est un titre de charlatan
... Christian Jacob : président des Républicains ! Il n'a pas fini de brasser du vent pour réussir à unifier ce parti . Combien de chefaillons seront capables de mettre leurs poings dans leurs poches pour progresser enfin ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
20 auguste [1764] 1
Mes divins anges, j’ai montré votre lettre et votre savant mémoire au petit défroqué. Je lui ai dit : vous voyez que les anges pensent comme moi. Combien de fois, petit frère, vous ai-je averti qu’il ne fallait pas qu’on envoyât Julie prier Dieu, quand on va assassiner les gens ? Cela seul serait capable de faire tomber une pièce. Je m’en suis bien douté, m’a-t-il répondu, et j’ai eu toujours de violents scrupules. Que n’avez-vous donc supprimé cette sottise ai-je répliqué ? Elle est corrigée, a dit le pauvre enfant, aussi bien que tous les endroits que vos anges reprennent. J’ai pensé absolument comme eux, mais j’ai corrigé trop tard. Je m’étais follement imaginé que la chaleur de la représentation sauverait mes fautes . Je suis jeune, j’ai peu d’expérience, je me suis trompé. J’ose croire que si la pièce, telle qu’elle est aujourd’hui, était bien jouée à Fontainebleau, elle pourrait reprendre faveur.
Je vous avoue, mes anges, que la simplicité, la candeur, et la docilité de ce bon petit frère, m’ont attendri. Je vous envoie son drame, que je crois assez passablement corrigé. Je le mets sous l’enveloppe de M. le duc de Praslin, et je vous en donne avis.
Je n’ai point encore pu voir votre aimable ambassadeur vénitien. Il est malade à Genève, et moi à Ferney. Des pluies horribles inondent la campagne, et interdisent tout voyage. J’envoie savoir tous les jours de ses nouvelles.
Vous ne m’aviez pas dit que vous feriez bientôt un tour à Villars. M. le duc de Praslin a sans doute le plus beau palais qui soit autour de Paris, et dans la plus vilaine situation. On dit que tout est horriblement dégradé.
Je compte bien sur ses bontés pour nos pauvres dîmes. Gare la Saint-Martin !
Respect et tendresse.
J’oubliais de vous dire que ce pauvre ex-jésuite a été très fâché qu’on ait intitulé son drame le Partage du Monde. C’est un titre de charlatan. »
1 Sur le manuscrit, la date est portée en tête de la troisième page .
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17/10/2019
J'ai eu le plaisir, pour vous faire enrager, d'avoir trois accès de fièvre, mais le dernier a été si médiocre, que je ne peux pas m'en vanter
... Ou "comment ne pas encombrer le service des urgences" .
« A Théodore Tronchin
à Genève
Mon cher Esculape, vous allez mettre fin à vos plaisanteries et à vos calomnies, vous ne me direz plus que mon corps de coton est un corps de fer . J'ai eu le plaisir, pour vous faire enrager, d'avoir trois accès de fièvre, mais le dernier a été si médiocre, que je ne peux pas m'en vanter .
Heureusement je suis d'une si grande faiblesse, qu'il ne vous est plus permis de parler de ma force , je vis pourtant du plus grand régime, et je fais ce que je peux pour que vous ayez raison . Je vous demande en grâce, mon cher Esculape, de présenter mes sincères respects à M. Tiepolo ; je le félicite d'être entre vos mains, et j'espère qu'il sera bientôt en état de venir prendre l'air à Ferney , si nous avons de beaux jours . Ayez la charité, je vous en prie, de me renvoyer les folies d’Éon 1.
18è auguste [1764] »
1 Lettres , mémoires et négociations particulières du chevalier d’Éon […] avec MM. les ducs de Praslin, de Nivernais [etc.] : http://natsaw.co/telecharger/B001C9UN32-lettres-memoires-et-negociations-particulieres-du-chevalier-deon-avec-mm-les-ducs-de-praslin-de-nivernois-de-sainte-foy-et-regnier-de-guerchy-etc
Le Catalogue Ferney fait figurer précisément les œuvres de cet auteur sous la rubrique « folies de Déon ».
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16/10/2019
soyez bien persuadé que de douze heures j'en souffre treize ... Douleur allonge le temps
... Combien sont-ils ceux qui attendent la conclusion du test sur le cannabis thérapeutique et qui comptent les heures où ils ne souffrent pas sur les doigts d'une main ?
« A Théodore Tronchin
[vers le 15 août 1764]
Mon cher Esculape, vous avez deux malades auprès de qui je voudrais être . Je vous supplie instamment de dire à M. l’ambassadeur de Venise et à M. le duc de Lorges combien je regrette de ne leur pas [avoir]1 fait ma cour . J'oublierais volontiers mon âge pour venir jouir chez eux de votre conversation . Mais soyez bien persuadé que de douze heures j'en souffre treize . Vous me direz que le compte n'y est pas . Il y est . Douleur allonge le temps .
V. »
1 Ce mot a été omis, sans doute par hésitation entre faire et avoir fait .
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