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07/12/2009

On ne doit pas couvrir son cul de diamants

«  A Nicolas-Claude Thiriot

chez M. de La Popelinière.

 

 

6 Xbre 1738

 

Mon très cher ami, mitonnez-moi le manipulateur [le physicien-chimiste qui doit venir à Cirey], vous aurez dans peu notre décision.

 

                            Comme on imprimait en Hollande les 4 épitres [les Discours sur l’Homme], je  viens de les envoyer corrigées, très corrigées, surtout la première et mon cher T. est à la place d’Hermotime [dans le premier Discours V* s’adressait à « Hermotime »].

 

                            Vous me faites tourner la tête de me dire qu’il ne faut point de tours familiers. Ah ! mon ami, ce sont les  ressorts de ce style. Quelque ton sublime qu’on prenne, si on ne mêle pas quelques repos à ces écarts on est perdu. L’uniformité de sublime dégoûte. On ne doit pas couvrir son cul de diamants comme sa tête. Mon cher ami, sans variété jamais de beauté. Etre toujours admirable c’est ennuyer. Qu’on me critique, mais qu’on me lise. Passons du grave au doux, du plaisant au sévère [citation de Boileau, Art poétique]. Gare que le père Voltaire ne soit père Savonarole. Eh ! pour Dieu communiquez vite à M. d’Argental l’épitre sur la nature du plaisir, et envoyez-moi les 8 ou 10 vers que j’ai perdus après

C’est à la douleur même,

Que je connais d’un Dieu la justice suprême.

 

                            Envoyez S’Gravesende chez l’abbé [Thiriot doit envoyer chez l’abbé Moussinot les Philosophiae neutonnianae institutiones in usus academicos de S’Gravesende]. Il ne faut jamais attendre d’occasion pour un bon livre. L’abbé le mettra au coche sur-le-champ.

 

                            Il me faut le Borehave français [Institutiones et experimenta chemiae (Parisiis 1724) ? Non traduites en français. Ce sont ses traités de médecine qui seront traduits en 1739], je le crois traduit. Il y a une infinité de drogues dont je ne sais pas le nom en latin.

 

                            Ai-je souscrit pour le livre de M. Brémond ? [Il a demandé le 21 juillet à Moussinot de souscrire pour cette traduction des Transactions philosophiques] Aurai-je quelque chose sur les marées par quelque tête anglaise ?

 

                            Je crois que je verrai demain Wallis [John Wallis, traités de mathématique] et l’Algarotti français [Neutonianismo per le dame traduit en français par Duperron de Castera (Paris 1738)]. J’avais proposé à M. Algarotti que la traduction se fit sous mes yeux. Je vous réponds qu’il eût été content de mon zèle. Demandez si M. l’abbé Franquini lui a donné le Neuton que je lui ai adressé.

 

                            Je ne sache pas qu’on ait imprimé rien de mes lettres à Maffei, mais ce que j’ai écrit soit à lui soit à d’autres sur l’abbé Desfont. a beaucoup couru. Si on m’avait cru on aurait plus étendu, plus poli, et plus aiguisé cette critique [Le Préservatif ou Critique des Observations sur les écrits modernes. Desfontaines répondra par la Voltairomanie datée du 13 décembre]. Il était sans doute nécessaire de réprimer  l’insolente absurdité avec laquelle ce gazetier attaque tout ce qu’il n’entend point, mais je ne peux être partout et je ne peux tout faire.

 

                            Au reste je ne crois pas que vous balanciez entre votre ami, et un homme qui vous a traité avec le mépris le plus insultant dans le Dictionnaire néologique, dans un ouvrage souvent imprimé, ce qui redouble l’outrage. Il ne m’a jamais ni écrit ni parlé de vous que pour nous brouiller. Jamais il n’a employé sur votre compte un terme honnête .Si vous aviez la faiblesse honteuse de vous mettre entre un tel scélérat et votre ami, vous trahiriez également ma tendresse et votre honneur. Il y a des occasions où il faut de la fermeté. C’est s’avilir de ménager un coquin [Thiriot revint effectivement sur les accusations portées contre Desfontaines le 16 août 1726 : « Ce scélérat d’abbé Desfont…  dit que vous ne lui avez jamais parlé de moi qu’en termes outrageants… Il avait fait contre vous un ouvrage satirique  dans le temps de Bicêtre que je lui fis jeter au feu et c’est lui qui a fait une édition du poème de La Ligue dans lequel il a inséré des vers satiriques de sa façon ».]. Il a trouvé en moi un homme qui le fera repentir jusqu’au dernier moment de sa vie. J’ai de quoi le perdre. Vous pouvez l’en assurer. Adieu, je suis fâché que la colère finisse une lettre dictée par l’amitié.

 

                            M. des Alleurs, M. de Formont, M. Dubos ; M. Clément, quelles nouvelles ? Il faut absolument un autre portait en bague à la place de celui qui a été brûlé [reproduction sur bague du portrait fait par La Tour]. Je suis fâché de l’incident. N’est-ce point quelque dévot qui aura fait cette action ? Eh ! morbleu qu’on brûle le portrait de Rousseau. Depuis qu’il fait des sermons, il mérite mieux que jamais d’être brûlé. Mais moi ? et brûler ce qui devait être au doigt d’Emilie ? Cela est bien dur. Vale.

 

                            Voltaire. »

13/02/2009

Le trou du cul est quelque chose !

Je ne résiste pas  au plaisir de vous faire connaître cette lettre, vous trouverez sans doute de vous-même le passage qui m’a motivé.

 

« A Jean Le Rond d’Alembert

 

                Si j’ai lu la belle jurisprudence de l’Inquisition ! [envoyé par d’Alembert : Manuel des inquisiteurs à l’usage des inquisitions d’Espagne et du Portugal, ou Abrégé de l’ouvrage intitulé : Directorium inquisitorum…1762]! Eh ! oui, mordieu, je l’ai lue ; et elle a fait sur moi la même impression que fit le corps sanglant de César sur les Romains. Les hommes ne méritent pas de vivre puisqu’il y a encore du bois et du feu et qu’on ne s’en sert pas pour brûler ces monstres dans leurs infâmes repaires. Mon cher frère, embrassez en mon nom le digne frère qui a fait cet excellent ouvrage [l’abbé Morellet]. Puisse-t-il être traduit en portugais et en castillan !

 

                Plus nous sommes attachés à la sainte religion de notre sauveur Jésus-Christ, plus nous devons abhorrer l’abominable usage qu’on fait tous les jours de sa divine loi.

 

                Il est bien à souhaiter que vos frères et vous donniez tous les mois quelque ouvrage édifiant qui achève d’établir le royaume de Christ, et de détruire les abus. Le trou du cul est quelque chose [l’abbé Morellet pour l’article « Figures » de l’Encyclopédie dit que St Ambroise ou St Augustin a comparé «les dimensions de l’Arche à celles du corps de l’homme, et la petite porte de l’Arche au trou du derrière »]. Je voudrais qu’on mît en sentinelle un jésuite à cette porte de l’arche.

 

                On a imprimé en Hollande le Testament de Jean Meslier [Extraits des sentiments de Jean Meslier, adressés à ses paroissiens sur une partie des abus et des erreurs en général et en particulier , ed. Genève 1762]. Ce n’est qu’un très petit extrait du testament de ce curé [Voltaire demandait dès 1735 à Thiriot de lui fournir le manuscrit original ]. J’ai frémi d’horreur à la lecture [ «  Cet homme discute et prouve . Il parle au moment de la mort, au moment où les menteurs disent vrai… Jean Meslier doit convertir la terre . »V* 12 juillet 1762 ]. Le témoignage d’un curé qui en mourant demande pardon à Dieu d’avoir enseigné le christianisme peut mettre un grand poids dans la balance des libertins .Je vous enverrai un exemplaire de ce testament de l’antéchrist puisque vous voulez le réfuter. Vous n’avez qu’à me demander par quelle voie vous voudrez qu’il vous parvienne. Il est écrit avec une simplicité grossière qui par malheur ressemble à la candeur.

 

                Vraiment il s’agit bien de Zulime, et du Droit du seigneur ou de l’Écueil du sage, que le philosophe Crébillon [ censeur ] a mutilé et estropié en croyant qu’il égorgeait un de mes enfants ! Jurez bien que cette petite bagatelle est d’un académicien de Dijon [ ce qui au fond est vrai, car V* est aussi académicien de Dijon ]; soyez sûr que vous direz la vérité. Mais ces misères ne doivent pas vous occuper. Il faut venir au secours de la sainte vérité qu’on attaque de toutes parts. Engagez vos frères à prêter continuellement leur plume et leur voix à la défense du dépôt sacré.

 

                Vous m’avez envoyé un beau livre de musique à moi qui sait à peine solfier [ Elements de musique théorique et pratique sur les principes de M. Rameau éclaircis, développés et simplifiés ]. Je l’ai vite mis ès mains de notre nièce virtuose. Je suis le coq qui trouva une perle dans son fumier et qui la porta au lapidaire. Mlle Corneille a une jolie voix, mais elle ne peut comprendre ce que c’est qu’un dièse.

 

                Pour son oncle [Pierre Corneille, sur lequel V* écrit un livre critique ], le rabâcheur et le déclamateur, le cardinal de Bernis dit que je suis trop bon, et que je l’épargne trop.

 

                J’ai fait très sérieusement une très grande perte dans l’impératrice de toutes les Russies [Elisabeth, le 29 décembre 1762 ]. On a assassiné Luc, et on l’a manqué [fin 1761 : tentative d’enlèvement à Strhlen]. On prétend qu’on sera plus adroit une autre fois. C’est un maître fou que ce Luc .Un dangereux fou .Il fera une mauvaise fin, je vous l’ai toujours dit. Interim vale ; te saluto in christo salvatore nostro.

 

                Voltaire

                10 février 1762. »

 

 

 

 

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PS : comme je le craignais, - il est 12h45 -, TNT ne m'a pas fait sauter de joie . Je pense qu'ils ont mis une mèche lente...