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12/06/2010

Le cœur n'aime point à se voir dérouté




« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

12 juin [1740]



Mon adorable ami, vous savez que je n'ai jamais espéré un succès brillant de Zulime,[1ère représentation le 8 juin] je vous ai toujours mandé que la mort du père tuerait la pièce et la véritable raison à mon gré, c'est qu'alors l'intérêt change ; cela fait une pièce double [Une autre version a été envoyée par V* à Mlle Quinault et il lui reproche le 3 juillet de ne pas lui avoir donné la préférence ; la mort du père n'apparait pas dans les versions manuscrites ou imprimées postérieures à 1740]. Le cœur n'aime point à se voir dérouté, et quand une fois il est plein d'un sentiment qu'on lui a inspiré, il rebute tout ce qui se présente à la traverse. D'ailleurs les passions qui règnent dans Zulime ne sont point assez neuves. Le public qui a vu déjà les mêmes choses sous d'autres noms n'y trouve point cet attrait invincible que la nouveauté porte avec soi.[Le Blanc, entre autres, reproche à la pièce d'être « une rhapsodie d'Ariane (de Thomas Corneille), de Bajazet, d'Inès (de Houdar de La Motte) » et même de « douze »tragédies] Que vous êtes charmants , vous et Mme d'Argental, que vous êtes au-dessus de mes ouvrages, mais aussi je vous aime plus que tous mes vers !

Je vous supplie de faire au plus tôt cesser pour jamais les représentations de Zulime sur quelque honnête prétexte [représentées huit fois du 8 au 25 juin, elle sera reprise sous d'autres formes sur les scènes privées de V* et même en 1761 à la Comédie française]. Je vous avoue que je n'ai jamais mis mes complaisances que dans Mahomet. J'aime les choses d'une espèce toute neuve. Je n'attends qu'une occasion de vous envoyer la dernière leçon, et si vous n'êtes pas content vous me ferez recommencer. Vous m'enverrez vos idées, je tâcherai de les mettre en œuvre. Je ne puis mieux faire que d'être inspiré par vous.

En attendant voici une façon d'ode que je viens de faire pour mon cher roi de Prusse [treize stances sur l'avènement de Frédéric II, son père Frédéric-Guillaume étant mort le 31 mai]. De quelle épithète je me sers là pour un roi ! Un roi cher ! Cela ne s'était jamais dit . Enfin voilà l'ode ou plutôt les stances, c'est mon cœur qui les a dictées, bonnes ou mauvaises, c'est lui qui me dicte les plus tendres remerciements pour vous, la reconnaissance , l'amitié la plus respectueuse et la plus inviolable.

Je vous supplie que Mlle Quinault empêche qu'aucune copie de Zulime ne transpire [surtout par Minet, copiste de la Comédie française ; cette recommandation fait que la version jouée en 1740 n'est connue que par le résumé du Mercure et ce qui est dit dans la correspondance ]. Je serais bien fâché qu'elle fût imprimée.

Mme du Châtelet fait mille compliments à M. et Mme d'Argental.

Ne nous oubliez pas auprès de monsieur votre père, des d'Ussé, et de l'ambass. de Sard.[Solaro di Breglio, ambassadeur de Sardaigne] »

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