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08/07/2010

Il n'y a de bas que les expressions populaires, et les idées du peuple grossier




 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

Conseiller d'honneur du parlement, rue Saint -Honoré à Paris



A Cirey ce 11 juillet [1744]





Le convalescent fait partir aujourd'hui sous enveloppe de M. de La Reynière le plus énorme paquet dont jamais vous ayez été excédé. C'est mes anges, toute la pièce avec ses divertissements [La Princesse de Navarre, composée en l'honneur du mariage du dauphin avec l'infante d'Espagne], telle à peu près que je suis capable de la faire. Je ne vous demande pas d'en être aussi contents que Mme du Châtelet et M. le président Hénault, mais je vous demande de l'envoyer à M. le duc de Richelieu,[V* dit que c'est Richelieu qui lui a demandé ce divertissement , et il en suivra de près le travail, ainsi que les d'Argental, d'où de nombreuses discussions et remaniements que l'on suit ua fil des lettres depuis le mois d'avril] et d'en paraître contents.



Je souhaiterais pour le bien de votre âme que vous voulussiez faire grâce à Sancette dont vous m'avez paru d'abord si mécontents. Tenez-moi quelque compte d'avoir mis au théâtre un personnage neuf dans l'année 1744, et d'avoir dans ce personnage comique mis de l'intérêt et de la sensibilité. Comment avez-vous pu jamais imaginer que le bas pût se glisser dans ce rôle ? Comment est-ce que la naïveté d'une jeune personne ignorante, et à qui le nom seul de la cour tourne la tête, peut tomber dans le bas ? Ne voulez-vous pas distinguer le bas du familier et le naïf de l'un et de l'autre ?



Il n'y a de bas que les expressions populaires, et les idées du peuple grossier. Un Jodelet est bas , parce que c'est un valet, ou un vil bouffon à gages.



Morillo est d'une nécessité absolue. Il est le père de sa fille, une fois, et on ne peut se passer de lui. Or s'il faut qu'il paraisse, je ne vois pas qu'il puisse se montrer sous un autre caractère, à moins de faire une pièce nouvelle.



Je pourrai ajouter quelques airs aux divertissements et sutout à la fin ; mais dans le cours de la pièce je me vois perdu si on souffre des divertissements trop longs. Je maintiens que la pièce est intéressante et ces divertissements n'étant point des intermèdes mais incorporés au sujet, et faisant partie des scènes, ne doivent être que d'une longueur qui ne refroidisse pas l'intérêt.



Enfin vous pouvez, je cois, envoyer le tout à M. de Richelieu, et préparer son esprit à être content. S'il l'est ne pourrait-on pas alors lui faire entendre que cette musique continuellement entrelacée avec la déclamation des comédiens est un nouveau genre pour lequel les grands échafaudages de symphonie ne sont point du tout propres ? Ne pourrait-on pas lui faire entendre qu'on peut réserver Rameau pour un ouvrage tout en musique ? Vous me direz ce que vous en pensez et je me conformerai à vos idées .



Que de peines vous avez avec moi ! et que d'importunités de ma part ! En voici bien d'un autre . Vous souvenez-vous avec quels serments réitérés ce fripon de Prault vous promis de ne pas débiter l'infâme édition [Recueil de pièces fugitives en prose et en vers, Prault, 1740 (1739), saisi en novembre 1739; cf. lettre à Feydeau de Marville du 22 octobre] qu'il a fait faire à Trévoux ? M. Pallu [Bertrand-René Pallu, intendant à Lyon] me mande qu'elle est publique à Lyon. Je le supplie de la faire séquestrer, mais je vous demande en grâce d'envoyer chercher ce misérable et lui dire que ma famille est très résolue à lui faire un procès criminel, s'il ne prend pas le parti de faire lui-même ses diligences pour supprimer cette oeuvre d'iniquité. Il a assurément grand tort , et on ne peut se conduire avec plus d'imprudence et de mauvaise foi. Je travaillais à lui procurer une édition complète et purgée de toutes les sottises qu'il a mises sur mon compte dans son indigne recueil ; et c'est pendant que je travaille pour lui qu'il me joue un si vilain tour. Il ne sent pas qu'il y perd, que son édition se vendrait mieux et ne serait point étouffée par d'autres si elle était bonne.



Mais presque tous les libraires sont ignorants et fripons ; ils entendent leurs intérêts aussi mal qu'ils les aiment avec fureur. La mauvaise foi de Prault me fait d'autant plus de peine que je me flattais que cette même édition corrigée selon mes vues serait celle dont je serais le plus content. Vous allez trouver ma douleur trop forte, mais vous n'êtes pas père. Pardonnez aux entrailles paternelles, vous qui êtes le parrain et le protecteur de presque tous mes enfants [= ses oeuvres, bien entendu]; adieu mon cher et respectable ami, Mme du Châtelet vous dit toujours des choses bien tendres, car comment ne pas vous aimer tendrement ? Mille tendres respects à tous les anges.

V.



Permettez que le bavard dise encore un petit mot de la Princesse de Navarre et du Duc de Foix. Il m'est devenu important que cette drogue soit jouée, bonne ou mauvaise. Elle n'est pas faite pour l'impression, elle produira un spectacle très brillant et très varié, elle vaut bien La Princesse d'Elide [de Molière, composée en 1664 pour les fêtes de Versailles] et c'est tout ce qu'il faut pour le courtisan. Mais c'est aussi ce qu'il me faut, cette bagatelle est la seule ressource qui me reste, ne vous déplaise, après la démission de M. Amelot [le 26 avril], pour obtenir quelque marque de bonté qu'on me doit pour des bagatelles d'un autre espèce dans lesquelles je n'ai pas laissé de rendre service [sa mission diplomatique en Prusse; cf. lettre à Amelot le 7 avril]. Entrez donc un peu, mon cher ange, dans ma situation, et songez plutôt ici à votre ami qu'à l'auteur et au solide qu'à la réputation. Je ferai pourtant de mon lmieux pour ne pas perdre celle-ci.

V.

Autre bavarderie. Je suis pourtant toujours pour cet arbre chargé de trophées dont les rameaux se réunissent. Est-ce encore ce coquin de M. LE CHEVALIER ROY [Pierre-Charles Roy, chevalier de Saint-Michel] qui m'a volé cette idée ? Je viens de lire Nérée [Nirée, entrée ajoutée au Ballet de la paix de Roy]. Je ne sais si je ne me trompe, mais cela ne me parait écrit ni naturellement ni correctement, ces deux choses manquant font détestablement [cf. Les femmes savantes de Molière]. J'en demande pardon à M. LE CHEVALIER. »

 

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