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08/07/2010

Il est bon que ceux qui sont nés pour être les soutiens du pouvoir absolu voient les républiques.

 

 

 

« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay

[à Madame de La Live d'Epinay, rue Nicaise, place du Carrousel à Paris]


 

8è juillet 1774


 

Quoi ! Ma philosophe a été comme moi sur la frontière du néant et je ne l'ai pas rencontrée ! Je n'ai point su qu'elle fût malade : je ne doute pas que son ancien ami Esculape Tronchin ne lui ait donné dans ce temps funeste des preuves de son amitié pour elle , et de son pouvoir sur la nature. Si cela est, je l'en révérerai davantage, quoiqu'il m'ait traité un peu rigoureusement.[i]


 

Mes misérables quatre-vingts ans sont les très humbles serviteurs de vos étouffements et de vos enflures, et sans ces quatre-vingts je pourrais bien venir me mettre à côté de votre chaise-longue.


 

J'ai reçu, il y a longtemps, des nouvelles d'un de vos philosophes datées du pôle arctique, mais rien de l'autre qui est encore en Hollande [Grimm et Diderot]. Je ne sais pas actuellement où est M. Grimm ; on dit qu'il voyage avec MM. De Romanzof [Roumiantsev]. Il devrait bien leur faire prendre la route de Genève. Il est bon que ceux qui sont nés pour être les soutiens du pouvoir absolu voient les républiques.


 

J'admire le Roi de s'être rendu à la raison, et d'avoir bravé les cris du préjugé et de la sottise.ii Cela me donne grande opinion du siècle de Louis XVI. S'il continue, il ne sera plus question du siècle de Louis XV . Je l'estime trop pour croire qu'il puisse faire tous les changements dont on nous menace [pense-t-il au retour de l'ancien parlement ? cf. lettre à d'Argental du 18 juin]. Il me semble qu'il est né prudent et ferme. Il sera donc un grand et bon roi. Heureux ceux qui ont vingt ans comme lui et qui goûteront longtemps les douceurs de son règne ! Non moins heureux ceux qui sont auprès de votre chaise longue ! Je suis fixé sur le bord du lac, et c'est de ma barque à Charon que je vous souhaite du fond de mon cœur la vie la plus longue et la plus heureuse. Agréez, Madame, mes très tendres respects.


 

V. »

iAllusions à Théodore Tronchin :

-qui réagit dans l'affaire de « l'âme atroce de Calvin » et de l'article « Genève » de l'Encyclopédie ;

-une indiscrétion possible en 1766, concernant le projet d'établissement à Clèves d'une colonie philosophique cf. lettre de 4 août 1766 à Damilaville:

-au bruit que T. Tronchin répandait en 1767 sue la part prise par V* dans la « guerre civile » de Genève et la manière dont ce dernier le desservit auprès du roi (cf. lettre du 3 avril 1767 à Florian) et auprès de Choiseul;

-à la mésentente de 1768 après qu'il eût circulé dans Paris une copie de La Guerre civile de Genève, dans laquelle Th. Tronchin se trouve raillé (cf. lettre du 1er mars 1768 à Mme Denis et du 6 mars à d'Alembert).



ii Le 26 juin : à Cramer et à Ribote-Charron : « … les protestants de la Gascogne ayant fait une assemblée extraordinaire dans laquelle ils ont prié Dieu pour la guérison de Louis XV et ensuite pour la prospérité de Louis XVI , Montillet,archevêque d'Auch, a écrit au roi une grande lettre dans laquelle il lui a remontré que ces prières étaient contre les lois du royaume, et qu'on ne pouvait punir trop sévèrement une telle prévarication. Le roi a demandé quelles étaient ces lois . On lui a répondu que c'étaient d'anciens édits donnés dans des temps difficiles, qu'ils n'étaient plus d'usage et qu'ils dormaient. Le roi a répondu qu'il ne fallait pas les éveiller, et s'est fait inoculer le moment d'après. » Louis XVI fut inoculé (variole) le 18 juin.

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