14/02/2011
Comptez que c'est une femme charmante, et que personne n'a plus de goût, plus de raison, et plus de douceur
Titre spécial St Valentin !
Avec un sourire spécial pour Mam'zelle Wagnière ...
« A Claude-Etienne Darget
[mi-février 1751]
Mon cher ami, quand je vous écris c'est pour vous seul, c'est à vous seul . Je suis si malade que je ne sens plus mes afflictions. Mon âme est morte, et mon corps se meurt. Je vous conjure de vous jeter s'il le faut aux pieds du roi, et d'obtenir de lui que je me retire au Marquisat i à la fin de ce mois, et que j'y reste jusqu'au mois de mai . Il est vrai que je ne pourrai guère m'y passer des mêmes bontés et des mêmes générosités dont il daigne m'honorer à Berlin ii, et qu'il est impertinent à moi d'en abuser à ce point . Mais mon cher ami,tachez d'obtenir bien respectueusement, bien tendrement, que ma pension soit retranchée à compter depuis février jusqu'au temps de mon retour . J'aime infiniment mieux raccommoder ma santé au Marquisat que de toucher de l'argent. Ce que le roi daigne faire pour moi coûte autant qu'une forte pension . Ce double emploi n'est pas juste . Je n'ai que faire d'argent, mon cher ami iii, je veux la campagne, du petit-lait, de bon potage, des livres, votre société et les nouveaux ouvrages d'un grand homme qui m'a juré de ne me pas rendre malheureux . Ce que je lui demande adoucira tous mes maux . Qu'il dise seulement à M. Federcsdoff iv qu'on ait soin de moi au Marquisat ; j'ai des meubles que j'y ferai porter. J'ai presque tout ce qu'il me faut hors un cuisinier et des carrosses . Je n'aurai cela que quand je reviendrai avec ma nièce qui prend enfin pitié de mon état, et qui consent de se retirer avec moi à la campagne pour me consoler . En un mot il dépend du roi de me rendre la vie . J'ai tout quitté pour lui ; il ne peut refuser ce que je lui demande . Il s'agit de rétablir ma santé pendant deux mois et demi au Marquisat, et d'y vivre à ma fantaisie . Mais je veux absolument que la pension me soit retranchée pendant tout ce temps-là, et pendant celui de mon absence jusqu'à mon retour avec ma nièce .
Elle fera partir tous mes meubles de Paris le 1er juin, et je vous réponds que le reste de ma vie sera tranquille et philosophique . Soyez sûr que son amitié et la mienne contribueront à la douceur de votre vie . Elle ne me parle que de vous . Elle vous aime déjà de tout son cœur ; et je vous demanderai bientôt votre protection auprès d'elle . Comptez que c'est une femme charmante, et que personne n'a plus de goût, plus de raison, et plus de douceur . Elle est plus capable de sentir le mérite des ouvrages du Salomon du Nord que tout ce qui l'entoure . Si je veux espérer de rester au Marquisat avec elle, ma vie sera aussi heureuse qu'elle a été horrible depuis trois mois v.
Je vous embrasse tendrement, réussissez dans votre négociation . Il le faut absolument .
V.
La vraie amitié réussit toujours . »
i Le Marquisat est une maison d'été devant la porte de Brandebourg, assez près du château de Potsdam .
ii A Berlin, V* est logé (au château), nourri, « voituré, défrayé de tout ».
iii Cf. lettre à Darget du 10 février :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/10/l...
iv Federsdorf, ancien soldat devenu valet de chambre et favori du roi .
v Cf. lettre du 10 février 1751 , et le mémoire sur l'affaire Hirschel dans le lettre à Cocceji du 5 février 1751, l'affaire d'Arnaud, etc., dans la lettre à d'Argental du 28 novembre 1750 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/11/28/i...
Note pour le baron Samuel de Cocceji :
http://en.wikipedia.org/wiki/Samuel_von_Cocceji12:48 | Lien permanent | Commentaires (0)
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