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17/07/2015

Vingt mille Français tués ! C'est trop .

... Et que dire de plus de quarante mille ?

 

Mis en ligne le 12/11/2020 pour le 17/7/2015

 

 

« A Gabriel Cramer

[16 ou 17 juillet 1760]

Votre lettre caro Gabriele est un petit chef-d’œuvre . On n'y peut reprendre que les louanges dont vous charmerez votre ami le solitaire des Délices . J'enverrai la lettre à Thieriot qui la rendra à Corbi 1, et je l'appuierai de mes petites réflexions . Avez-vous le 14è chant de Jeanne ? Nous serions bien embarrassé si vous ne l'aviez pas . On nous donna hier une belle alarme . Le courrier de Nyon a une grande imagination . Vingt mille Français tués ! C'est trop . »

1 Sur Corbi, représentant en librairie, voir lettre du 26 mai 1755 à François Grasset : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/01/26/il-ne-vous-resterait-apres-avoir-perdu-votre-argent-que-la-h.html

et lettre du 18 juillet 1760 à Thieriot : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1760/Lettre_4194

un bon catholique comme moi ne croit pas que les discours des Genevois soient des paroles de l’Évangile

... Mis en ligne le 12/11/2020 pour le 17/7/2015

 

 

« Au comte Alexandre Romanovitch Vorontsov

La lettre dont vous m'honorez, monsieur, m'a fait bien plus de plaisir que vous ne pensez ; elle achève de me convaincre que Pierre le Grand n'a fait que cultiver un des meilleurs terrains de la terre . On n'est point créateur ; on ne donne point de l'esprit ; on ne fait que développer ce que la nature a formé . Ce grand homme avait bien raison de dire que les arts faisaient le tour du monde ; je ne vois que des Russes qui parlent mieux notre langue que nous , et qui pensent mieux que nous sur bien des choses .

J’attends le reste des mémoires de Pétersbourg, pour m’occuper uniquement de Pierre le Grand ; en attendant, j'ai lu avec grand plaisir le petit ouvrage de M. Alethof . Ce secrétaire d'ambassade m'a paru extrêmement poli . Il ne dit pas aux Parisiens la dixième partie de ce qu'il pouvait leur dire, et encore s'exprime-t-il avec une circonspection qui fait voir combien il est civil et honnête . Je suis très fâché qu'une fluxion de poitrine l'ait enlevé de ce monde ; mais aussi de quoi s'avisait-il de lire le discours du sieur Lefranc de Pompignan ? Je conçois qu'il dût être saisi d'un froid mortel, et qu'ensuite, s'étant mis en colère, il s'en est ensuivi une révolution qui lui a causé la mort . Il faut que l'abbé Trublet devienne sage par cet exemple, qu'il prenne de bons bouillons, et qu'il ne s'échauffe plus le sang à compiler, compiler, ce qu'il a jadis entendu dire .

Divertissez-vous, monsieur, de toutes nos folies ; il y en a quelquefois d’amusantes . Je me flatte que nos troupes guerrières réussiront mieux que nos troupes de comédiens, et qu'elle remporteront quelques victoires pour imiter les vôtres . Le bruit courait hier dans Genève que nous avions été battus, mais un bon catholique comme moi ne croit pas que les discours des Genevois soient des paroles de l’Évangile .

J'ai l'honneur d'être, avec bien du respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

L'ermite des Délices

16 juillet [1760] »

Moquez-vous de tous ces gens-là, et surtout de ceux qui vous ennuient

...

Mis en ligne le 12/11/2020 pour le 17/7/2015

 

« A Gabriel Sénac de Meilhan

16 juillet 1760 1

Vous m'écrivez, monsieur, comme l’Église ordonne qu'on fasse ses Pâques, à tout le moins une fois l'an . Je voudrais que vous eussiez un peu plus de ferveur ; mais aussi, quand vous vous y mettez vous êtes charmant . Je vous remercie très sincèrement de votre poésie et de votre prose ; vous avez raison dans l'un et dans l'autre, et certains raisonneurs ont un peu tort .

Je suis très fâché que Palissot se soit déclaré l’ennemi des philosophes, il ne faut pas se moquer des gens qu'on persécute ; passe pour les gens heureux et insolents, c'est un grand soulagement de rire à leurs dépens .

On dit que Lefranc de Pompignan est heureux, qu'il est gros et gras, qu'il est très riche, qu'il a une belle femme, mais il a été fort insolent en parlant à ses confrères, et cela n'est pas bien . Je ne peux m'empêcher de savoir gré au cousin Vadé, et à M. Alethof, et même encore à un certain frère de la doctrine chrétienne d'avoir rabattu l’orgueil de ce président de Quercy . Ce n'est pas le tout d'avoir fait la prière du déiste, il faut encore être modeste . Fi ! que cela est vilain de se faire délateur de ses confrères ! Son frère l'évêque devrait lui refuser l'absolution .

Moquez-vous de tous ces gens-là, et surtout de ceux qui vous ennuient . Vivez avec votre maîtresse ; goutez les plaisirs, et chantez-les . Faites mes compliments, je vous en prie, à monsieur votre père, et à monsieur votre frère que j'ai vu dans un pays où certainement je ne le reverrai jamais . Si vous êtes fermier général en titre d'office 2, demandez le département du pays de Gex . Vous trouverez les Délices un peu plus agréables qu'elles n'étaient . Vous serez mieux logé, et nous tâcherons de vous faire les honneurs de la maison mieux que nous n'avons fait . J'ai bâti un château dans le pays de Gex, mais ce n'est pas avec la lyre d'Amphion, son secret est perdu ; je me suis ruiné pour avoir l'impertinence d'être architecte ; je crois mon château fort joli, parce qu'un auteur aime toujours ses ouvrages ; mais il me paraitra bien plus agréable , si jamais vous me faites l'honneur d'y venir .

J'admire l'impudence des ennemis de la philosophie qui prétendent qu'il ne m'est pas permis de revenir à Paris ; il ne tient qu'à moi, assurément, d'y être, et d'y souper avec MM. Favart, Poinsinet et Colardeau, mais je suis trop vieux, j'aime le repos, la campagne, la charrue et le semoir .

Quand il vous prendra fantaisie de m'envoyer des vers ou de la prose, ayez la bonté de donner le paquet à M. de Chennevières qui me l'enverra contresigné .

Votre très humble obéissant serviteur

V.

16 juillet. »

1 Pour la date, V* avait d'abord écrit 15 en tête de lettre puis 17 à la fin . Le copie de Beaumarchais édition de Kehl omet : « Je vous remercie ...un peu tort ; Vivez avec votre maitresse .... chantez les . » Et :  « Si vous êtes fermier... Gex . ». «Quand il vous prendra ... contresigné . » Palissot est remplacé par des astérisques .

2 C'est le frère de Gabriel, Jean Sénac qui devint fermier général .

 

Il faut savoir oser ; la philosophie mérite bien qu'on ait du courage . Il serait honteux qu'un philosophe n'en eût point quand les enfants de nos manœuvres vont à la mort pour quatre sous par jour . Nous n'avons que deux jours à vivre ,

...  ce n'est pas la peine de les passer à ramper sous des coquins méprisables 

 

Mis en ligne le 12/11/2020 pour le 17/7/2015

 

 

« A Clause-Adrien Helvétius

16 juillet 1760 au château de Tournay

par Genève 1

J'ai reçu mon cher philosophe, votre paquet de Voré 2 avec le même plaisir que ressentaient les premiers fidèles quand ils recevaient des nouvelles de leurs frères confesseurs et martyrs . Je suis toujours inconsolable que vous n'ayez pas imité le président de Montesquieu, qui se donna bien de garde de faire imprimer son ouvrage en France 3, et qui se réserva toujours le droit de le désavouer en cas que les monstres de la bigoterie se soulevassent contre lui .

Je suis d'ailleurs convaincu qu'en y corrigeant une centaine de pages on aurait émoussé les glaives du fanatisme, et le livre n'y aurait rien perdu 4. Je l'ai relu plusieurs fois, avec la plus grande attention, j'y ai fait des notes ; si vous le vouliez, on en ferait une seconde édition, dans laquelle on confondrait les ennemis du bon sens .

Il faudrait que vous donnassiez la permission d'éclaircir certaines choses et d’en supprimer d'autres . Me Joly de Fleury n'aurait rien à répliquer si on lui coupait les deux mains,5 et si on lui faisait voir que ce sont ces deux mains qui ont procuré aux hommes les idées de tous les arts, puisque sans les deux mains, aucun art n'eût pu être exercé . La main droite de Me Joly de Fleury a écrit un réquisitoire qui pêche contre le sens commun, d'un bout à l'autre . Vous avez donné malheureusement prétexte à tous les ennemis de la philosophie, mais il faut partir d’où l'on est .

A votre place, je ne balancerais pas à vendre tout ce que j'ai en France ; il y a de très belles terres dans mon voisinage, et vous pourriez y cultiver en paix les arts que vous aimez .

Il est bien plaisant, ou plutôt, bien impertinent et bien odieux qu'on persécute dans les Gaules ceux qui n'ont pas dit la centième partie de ce qu'ont dit à Rome les Lucrèce, les Cicéron, les Pline, et tant d'autres grands hommes .

Je vous prie instamment de m'envoyer tout votre poème 6 ; je vous en dirai mon avis, si vous le voulez , avec la sincérité d'un homme qui aime la vérité, les vers et votre gloire . Ayez la bonté de m'écrire sous le couvert de M. de Villemorien, directeur et intendant des postes à Paris . Les paquets me seront rendus plus promptement, plus sûrement, et d'une manière plus commode . Vous pourrez lui écrire quatre lignes, par lesquelles vous lui direz que je vous ai prié d'envoyer vos paquets sous son enveloppe .

C'est une chose fort triste que le succès de la pièce des Philosophes . Cette prétendue comédie est en général bien écrite, c'est son seul mérite , mais ce mérite est grand dans le temps où nous sommes . Les oppositions qu'on a voulu faire aux représentations, n'ont fait qu'irriter la curiosité maligne du public ; il fallait rester tranquille et la pièce n'aurait pas été jouée trois fois , elle serait tombée dans le néant de l'oubli , qui engloutit tout ce qui n'est que bien écrit , et qui manque de ce sel, sans lequel rien ne dure ; mais les philosophes ne savent pas se conduire, magis magnos clericos, non sunt magis magnos sapientes 7.

M. Palissot m'a envoyé sa pièce reliée en maroquin, et m'a comblé d'éloges injustes qui ne sont bons qu'à semer la zizanie entre les frères . Je lui ai répondu 8 qu'à la vérité je croyais faire des vers aussi bien que MM. d'Alembert, Diderot et Buffon ; que je croyais même savoir l’histoire aussi bien que M. Daubenton 9, mais que dans tout le reste je me croyais très inférieur à tous ces messieurs et à vous . Je lui ai conseillé d'avouer qu'il avait eu tort d’insulter très mal à propos les plus honnêtes gens du monde . Il ne suivra pas mon conseil, et il mourra dans l'impénitence finale .

Tachez de vous procurer Le Pauvre Diable, Le Russe à Paris, et L’Épître d'un frère de la doctrine chrétienne ; ce sont des ouvrages très édifiants . Je crois que M. Saurin peut vous les faire tenir . On m'a dit que dans Le Russe à Paris, il y a une note importante qui vous regarde 10. Les auteurs de tous ces ouvrages ne paraissent pas trop craindre les persécuteurs fanatiques . Il faut savoir oser ; la philosophie mérite bien qu'on ait du courage . Il serait honteux qu'un philosophe n'en eût point quand les enfants de nos manœuvres vont à la mort pour quatre sous par jour . Nous n'avons que deux jours à vivre , ce n'est pas la peine de les passer à ramper sous des coquins méprisables . Adieu mon cher philosophe, ne comptez pour votre prochain que les gens qui pensent, et regardons le reste des hommes comme les loups, les renards et les cerfs 11 qui habitent nos forêts . Je vous embrasse de tout mon cœur .

V. »

1 Pour le jour, V* avait d’abord noté 15 ; Le passage Ayez la bonté […] sous son enveloppe supprimé dans l'édition de Kehl manque aussi dans les éditions suivantes .

2 La maison de campagne (actuellement Orne) dont V* avait entendu parler dans une lettre de Thieriot du 26 septembre 1758 où Helvétius s'était retiré .

3 L'Esprit des lois fut d'abord publié à Genève .

4 Le Livre de l'Esprit . Implicitement, V* marquait déjà ici un certain désaccord avec les thèses athées d'Helvétius ; ses réserves grandiront pour aboutir à une réfutation de l'athéisme dans l'Histoire de Jenni .

5 Voir De l'Esprit, , 1, sur le rôle des mains dans l'évolution de l'humanité .

6 Le poème du Bonheur que Marivaux mentionne dans Le Miroir (1755) et qui ne parut pas du vivant d'Helvétius .

7 Les plus grands clercs ne sont pas les plus sages ; réminiscence de Rabelais, voir lettre du 25 février 1758 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/07/23/temp-9e2fbb75f17d2b7f9de6124f28ff7479-5127775.html

8 Voir lettre du 23 juin 1760 à Palissot : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire...

9 Le jésuite Guillaume Daubenton avait connu une grande popularité par La Vie du bienheureux Jean-François Régis, 1716 ; V* ne le mentionne pas dans la lettre du 23 juin à Palissot , mais il avait cette ouvreuse dans sa bibliothèque .

10 Cette note sur Helvétius est ainsi conçue : « M. Helvétius, admirable (ce mot n'est pas trop fort) par une action unique : il a quitté deux cent mille livres de rente pour cultiver les belles-lettres en paix », voir Le Russe à Paris , vers 65 .

11 Les loups sont les jansénistes, les renards les jésuites ; la même idée apparait dans le Pot-pourri dans un passage composé à peu près à la même époque : «  ... s'ils [les jésuites] sont perdus [...] vous n'y gagnerez rien : vous serez accablé par la faction des jansénistes . Ce sont des enthousiastes féroces [...] Songez que les fanatiques sont plus dangereux que les fripons . »