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06/10/2016

je m'aperçois depuis longtemps que rien n'est si rare que de faire ce que l'on veut

... Ah c'est bien vrai, ça !

[Mise en ligne le 4 pour le 6 depuis une médiathèque]

 

 

« A Alexis-Jean Le Bret

Au château de Ferney près Genève

le 18 octobre 1761 1

J'ai parlé aux frères Cramer, monsieur, plus d'une fois, en conformité de ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire . Ils me paraissent surchargés d'entreprises, et je m'aperçois depuis longtemps que rien n'est si rare que de faire ce que l'on veut . Je suis très fâché que votre Bayle 2 ne soit pas encore imprimé : on craint peut-être que ce livre, autrefois si recherché, ne le soit moins aujourd'hui . Ce qui paraissait hardi ne l’est plus . On avait crié par exemple contre l'article de David, et cet article est infiniment modéré en comparaison de ce qu'on vient d'écrire en Angleterre 3. Un ministre a prétendu prouver qu'il n'y a pas une seule action de David qui ne soit d'un scélérat digne du dernier supplice , qu'il n'a point fait les psaumes, et que d'ailleurs ces odes hébraïques qui ne respirent que le sang et le carnage 4, ne devraient faire naître que des sentiments d'horreur dans ceux qui croient y trouver de l'édification .

M. l'évêque de Warburton nous a donné un livre 5 dans lequel il démontre que jamais les Juifs ne connurent l'immortalité de l'âme et les peines et les récompenses après la mort , jusqu'au temps de leur esclavage dans la Chaldée . M. Hume 6 a été encore plus loin que Bayle et Warburton ; le Dictionnaire encyclopédique ne prend pas, à la vérité, de telles hardiesses, mais il traite toutes les matières que Bayle a traitées . J'ai peur que toutes ces raisons n'aient retenu nos libraires . Il en est de cette profession comme de celle de marchande de modes : le goût change pour les livres comme pour les coiffures .

Au reste soyez persuadé qu'il n'y a rien que je ne fasse pour vous témoigner mon estime et l'envie extrême que j'ai de vous servir . »

1 La copie manuscrite 1 et Kehl datent du 10 octobre ; la copie 2 Le Bret, limitée à quelques lignes, donne le 18 .

2 Voir lettre du 15 juin 1757 à Le Bret , première mention de cet ouvrage ; c'est Frédéric II qui publia un Extrait du dictionnaire historique et critique de Bayle, en 1765 et Le Bret le soupçonna d'avoir pillé ses manuscrits .Voir aussi lettre du  8 janvier 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/15/ce-n-est-que-par-des-choses-nouvelles-qu-on-peut-reveiller-l.html

3 Allusion à un ouvrage de Peter Annet, The History of the man after god's own heart, 1761, qui fut traduit plus tard par d'Holbach sous le titre David ou l'Histoire de l'homme selon le coeur de Dieu, 1768 . Les éditions de Voltaire donnent toutefois pour auteur Huet ou Hut ; le livre a été aussi attribué à d'autres, tels Archibald Campbell et John Noorthouck .

4 Même thème, encore retrouvé dans le Pot pourri .

5 The divine legation of Moses ; voir lettre de janvier-février 1756 aux Cramer et lettre du 26 octobre 1757 à Keate : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/15/ni-moise-ni-les-prophetes-ne-connurent-jamais-rien-de-l-immo.html

6 Dans un essai sur le suicide, paru dans Two essays, 1777 ; on se demande comment V* pouvait déjà en avoir connaissance .Voir : http://oll.libertyfund.org/titles/hume-essays-moral-political-literary-lf-ed

 

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