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06/04/2019

Si elle est sage, elle est perdue ; si elle est maligne, elle est odieuse

... Une actrice ? une femme politique ? une idée ?

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'ArgentaI

11è mars 1764

C’est donc demain , mes anges, que vous prétendez qu’on fera le service d’Olympie dans le couvent d’Éphèse 1. Je doute fort que vous ayez un acteur digne d’officier et de jouer le rôle de l’hiérophante. J’ai représenté ce personnage, moi qui vous parle ; j’avais une grande barbe blanche, avec une mitre de deux pieds de haut, et un manteau beaucoup plus beau que celui d’Aaron. Mais quelle onction était dans mes paroles ! je faisais pleurer les petits garçons. Mais votre Brisard est un prêtre à la glace ; il n’attendrira personne ; je n’ai jamais conçu comment l’on peut être froid ; cela me passe, quiconque n’est pas animé est indigne de vivre . Je le compte au rang des morts.

Je n’entends point parler de votre Gazette littéraire 2; j’ai peur qu’elle n’étrenne pas. Si elle est sage, elle est perdue ; si elle est maligne, elle est odieuse. Voilà les deux écueils ; et tant que Fréron amusera les oisifs par ses méchancetés hebdomadaires, on négligera les autres ouvrages périodiques qui ne seront qu’utiles et raisonnables ; voilà comme le monde est fait, et j’en suis fâché. Mais le plus grand de mes malheurs est de n’avoir jamais pu parvenir à lire le mandement de Christophe, ni celui du doux Caveyrac, dont la grosse face a, dit-on, été piloriée en effigie 3.

Vous avez reçu, sans doute, mes divins anges, un bel arrêt du Conseil, imprimé, que je vous ai envoyé pour mettre M. le duc de Pralin à son aise.

Voici une grande nouvelle : on m’assure qu’on a vu frère Berthier avec un autre frère, ce matin, allant par la route de Genève à Soleure 4; si j’en avais été informé plus tôt, je les aurais priés à dîner.

Vous êtes heureux, mes anges, vous vivez au milieu des facéties ; mais vous gardez votre bonheur pour vous, et vous ne m’en parlez jamais ; vous me parlez de Grandval plus que de Christophe ; vous oubliez les autres comédies pour celles du faubourg Saint-Germain ; vous ne daignez pas vous communiquer à un pauvre étranger , quoi qu’il en soit, je vous adore. »

1 Olympie fut représentée la première fois le 17 et non le 12 mars 1764 (voir lettre à Cramer du 21 mars 1764 ) . La pièce eut dix représentations avec un public fort honorable jusqu'à la clôture annuelle de Pâques ; mais elle en fut jamais reprise ensuite .

2 Le premier numéro de la Gazette littéraire est daté « Mercredi 7 mars 1764 » et a pour titre « Gazette littéraire de l'Europe . Tome premier . Comprenant les mois de mars, avril et Mai 1764 . A Paris, de l'imprimerie de la Gazette de France, aux galeries du Louvre . MDCCLXIV. » : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=njp.32101074949619...

3 Voir lettre du 8 mars à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/05/il-est-bien-juste-que-sa-vie-et-ses-ouvrages-soient-des-contradictions-perp.html

Dans l'édition Cayrol, selon Georges Avenel, l'Appel à la raison qui est attribué à Caveyrac est en fait du père Balbani : voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome26.djvu/136

4 Ce compagnon est le jésuite La Noue qui n'a pas voulu abandonner Berthier et qui partage son exil ; Berthier, ancien précepteur des enfants de France, se réfugia pour quelque temps à Bâle , puis à Offenbourg ; il put revenir en France en 1776 et mourut à Bourges, où il s'était retiré en 1782 ; voir Berthier's Journal de Trévoux and the philosophes de John N. Papas . D'Alembert vient d'écrire à V* le 2 mars 1764 : « […] savez-vous que le frère Berthier se retire dans votre voisinage, les uns disent à Fribourg, les autres chez l'évêque de Bâle […] . Ce qu'il y a de fâcheux, c'est que ce frère Berthier si scrupuleux sur son vœu d'obéissance, ne l'est pas tant sur son vœu de pauvreté, s'il est vrai, comme on l'assure, qu'il s'en aille avec 4000 livres de pension, pour la bonne nourriture qu'il a administrée aux enfants de France . Par ma foi, mon cher maître, si cet homme est là près de chez vous, vous devriez quelque jour le prier à dîner, et m'avertir d'avance, je m'y rendrais, nous nous embrasserions ; nous conviendrions réciproquement, nous, que nous ne sommes pas chargés de foi, lui qu'il est ennuyeux […] » Voir aussi : http://digistore.bib.ulb.ac.be/2008/a053_1995_023_f.pdf

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