04/03/2020
Vous avez vu sans doute les derniers édits, ils sont un peu obscurs ; le parlement, en les enregistrant, donne de bons avis au roi, et lui recommande d’être économe
... Notre roi républicain l'entend-il de cette oreille ? Et d'abord, les avis parlementaires sont-ils bons ?
« A Sébastien Dupont
A Ferney, 29 Décembre 1764.
J’ai donc, mon cher ami, lâché mes filets en votre nom, et quoique je n’aie point reçu de vos nouvelles, j’envoie aujourd’hui le complément des quatre-vingt mille livres en or, à l’adresse de M. Jeanmaire par le coche de Genève et de Berne, à Strasbourg.
Je suppose, mon cher ami, que vous avez fait faire à M. Jeanmaire le contrat en la meilleure forme possible, et que jamais les héritiers de M. le duc de Virtemberg ne pourront inquiéter les miens. Je crois même que M. le prince Louis de Virtemberg, malgré tous ses refus formels et réitérés d’accéder au traité, le ratifierait s’il était jamais souverain ; il ne voudrait pas sans doute trahir l’honneur de sa maison pour un si petit objet. D’ailleurs, il me paraît que la dette est très assurée sur les terres de France qui ne sont point sujettes à substitution. Je m’imagine que le contrat est en chemin, tandis que mon argent est au coche.
Je crois que vos jésuites voyagent par le coche aussi, mais avec moins d’argent. J’ai besoin de deux ou trois bouviers dans ma terre ; si vous pouvez m’envoyer le père Croust et deux de ses compagnons, je leur donnerai de bons gages ; et si au lieu du métier de bouvier, ils veulent servir de bœufs, cela serait égal. Je trouve les parlements très avisés d’avoir su enfin employer les gens aux fonctions qui leur conviennent. Je me souviendrai toute ma vie que vous m’avez dit qu’un maraud de jésuite, nommé Aubert, fit brûler Bayle dans le marché de Colmar 1. Ne sauriez-vous point où cet Aubert est enterré ? il faudrait au moins exhumer et pendre son cadavre. Il faut espérer que la philosophie reprendra un peu le dessus, puisqu’elle est délivrée de ses plus grands ennemis. Je sais bien qu’elle en a encore, mais ils sont dispersés et désunis ; rien n’était si dangereux qu’une société de fanatiques gouvernés par des fripons, et s’étendant de Rome à la Chine.
Vous avez vu sans doute les derniers édits, ils sont un peu obscurs ; le parlement, en les enregistrant, donne de bons avis au roi, et lui recommande d’être économe. Je prie le Conseil souverain d’Alsace d’en dire autant à M. le duc de Virtemberg. Me voilà intéressé à le voir le prince le plus sage de l’Allemagne.
Je vous embrasse bien tendrement, mon cher ami.
Voltaire. »
1 Voir lettre du 24 février 1754 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/24/quelques-justes-haussent-les-epaules-et-se-taisent.html
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vous êtes plus fait pour les agréments de la société que pour les misères de ce tripot
... M. Edouard Philippe , Le Havre/havre vous attend...
« A François-Louis-Claude Marin
Vous devez être bien ennuyé, monsieur, des misérables tracasseries de la littérature, vous êtes plus fait pour les agréments de la société que pour les misères de ce tripot . En voici une que je recommande à vos bons offices . Je ne sais pas qui fait aujourd'hui le Mercure, mais, quel qu'il soit, je vous supplie de faire mettre dans son journal le papier ci-joint 1. Vous êtes le premier qui m'ayez instruit de l'insolence des libraires de Hollande, il est dans votre caractère que vous soyez le premier qui m'aidiez à confondre ces abominables calomnies . Je me recommande à vos bontés avec la plus tendre reconnaissance .
V.
28è décembre 1764 à Ferney 2»
1 La lettre du 24 décembre 1764 à la Gazette littéraire de l'Europe : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/02/27/vous-rendez-tant-de-justice-messieurs-aux-ouvrages-qu-on-fai-6215680.html
2 L'édition de Kehl est sous forme d'extraits ajoutés en série d'une lettre très postérieure , au même, du 22 avril 1767 : page 146 : https://books.google.fr/books?id=rmw_AQAAMAAJ&pg=PA146&lpg=PA146&dq=voltaire+marin+22+avril+1767&source=bl&ots=JxOpOD_yU_&sig=ACfU3U3Jr2oODQeIspdgbRq0KMZ7PTSwsQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjkgbXs-4DoAhUM5uAKHRpWCYAQ6AEwAHoECAQQAQ#v=onepage&q=voltaire%20marin%2022%20avril%201767&f=false
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Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux
...
« A Jacques-François-Paul Aldonce de Sade
26 décembre 1764 au château de Ferney
Vous avez écrit à un aveugle, monsieur, et j’espère que je ne serai que borgne quand j’aurai l’honneur de vous revoir. Soyez sûr que je vous verrai de très bon œil, s’il m’en reste un. Les neiges du mont Jura et des Alpes m’ont donné d’abominables fluxions, que votre présence guérira. Mais serez-vous en effet assez bon pour venir habiter une petite cellule dans mon petit couvent ? Il me semble que Dieu a daigné me pétrir d’un petit morceau de la pâte dont il vous a façonné. Nous aimons tous deux la campagne et les lettres : embarquez-vous sur notre fleuve , je vous recevrai à la descente du bateau, et je dirai benedictus qui venit in nomine Apollinis 1.
Je n’ai point encore entendu parler de votre second tome 2 ; mais quand il viendra, je ne saurai comment faire pour le lire. Il y a trois mois que je suis obligé de me servir des yeux d’autrui. Jugez s’il y a quelque apparence au beau conte qu’on vous a fait que j’avais mis quelque observation dans la Gazette littéraire. Je ne lis depuis longtemps aucune gazette, pas même l’ecclésiastique.
Il est juste que vous ayez beaucoup de jésuites dans Avignon . D’Assoucy 3 et eux se sont sauvés en terre papale, les parlements ont fait du mal à l’ordre, mais du bien aux particuliers . Ils ne sont heureux que depuis qu’ils sont chassés. Mon jésuite Adam était mal couché, mal vêtu, mal nourri ; il n’avait pas un sou, et toute sa perspective était la vie éternelle. Il a chez moi une vie temporelle qui vaut un peu mieux. Peut-être que dans un an il n’y aura pas un seul de ces pauvres gens qui voulût retourner dans leurs collèges s’ils étaient ouverts. Du reste, nous ignorons, Dieu merci, tout ce qui se passe dans le monde, et nous nous trouvons fort bien de notre ignorance. Le meilleur parti qu’on puisse prendre avec les hommes, c’est d’être loin d’eux, pourvu qu’on soit avec un homme comme vous. Mon indifférence pour le genre humain augmentera quand je jouirai du bonheur que vous me faites espérer. Je prends la liberté d’embrasser de tout mon cœur le parent de Laure et l’historien de Pétrarque, qui est de meilleure compagnie que son héros.
V. »
1 Béni celui qui vient au nom d'Apollon ; d'après les Psaumes, CXVII, 26 et l’Évangile selon Luc, XIII, 35 : voir https://www.aelf.org/bible/Ps/117
2 De l'ouvrage décrit à propos de la lettre du 12 février 1764 à Sade : Mémoires pour la vie de François Pétrarque ; http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/02/22/je-me-suis-donne-une-nombreuse-famille-que-la-nature-m-avait-refusee-et-je.html
3 D'Assoucy, cité par V* dans sa lettre du 17 novembre 1750 à Mme Denis ( page 65, https://books.google.fr/books?id=dBNEAAAAYAAJ&pg=PA65&lpg=PA65&dq=d%27Assoucy+voltaire&source=bl&ots=RbuA2VEc3c&sig=ACfU3U10YAumLMly1kbYEtj26jOUKFxBOA&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjrw8TX3P7nAhUN2BoKHSKBCrgQ6AEwBXoECAYQAQ#v=onepage&q=d'Assoucy%20voltaire&f=false ) , raconte dans ses Aventures burlesques ses pérégrinations dans le midi de la France, l'accueil qu'il reçut à Pézenas du « généreux M. de Guillerargues », et la prudente retraite en terre papale, pour des comportements réprouvés à l'époque. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Coypeau_d%27Assoucy
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