25/06/2020
Je ne me souviens plus quel était l'honnête homme qui priait Dieu tous les matins que ses ennemis fissent des sottises
... Avec ou sans Dieu, nombre de candidats sont exaucés à la veille des municipales du 28 juin, parfois au delà de leurs espérances .
« A Jean Le Rond d'Alembert
25 de mars [1765] 1
Mon cher philosophe utile et agréable au monde, sachez que votre ouvrage est comme vous, et qu'aucun enfant n'a jamais si bien ressemblé à son père . Sachez que, dès qu'il parut dans Genève entre les mains de quelques amis, tous dirent : Il écrit comme il parle, le voilà, je crois l'entendre . Quand on l'avait lu, on le relisait ; on en cite tous les jours des passages . J'écrivis à mon ami M. de Cideville que je le croyais déjà répandu à Paris ; je lui parlai du plaisir qu'il aurait à le lire, et je lui recommandai, dans deux lettres consécutives, de ne vous point nommer, précaution entre nous fort inutile : il est impossible qu'on ne vous devine pas à la seconde page . Vous aurez à la fois le plaisir de jouir du succès le plus complet, et de nier que vous avez rendu ce service au public devant les fripons et les sots qui ne méritent pas même la peine que vous prenez de vous moquer d'eux .
Je suis très fâché de n'avoir point encore appris que le roi ait dédommagé les Calas . On roue un homme plus vite qu'on ne lui donne une pension . Vous avez bien raison dans ce que vous dites du style des avocats ; ils n'ont jamais su combien la déclamation est l'opposé de l'éloquence, et combien les adjectifs affaiblissent les substantifs, quoiqu'ils s’accordent en genre , en nombre et en cas ; mais après tout, les raisons que frère Beaumont à détaillées sont fortes et concluantes, il y a de la chaleur et le public reste convaincu de l'innocence des Calas , quod erat demonstrandum 2. Tout ce que je demande au ciel, c'est que le parlement de Toulouse casse l'arrêt souverain des maîtres des requêtes . Je ne me souviens plus quel était l'honnête homme qui priait Dieu tous les matins que ses ennemis fissent des sottises . Le fanatisme commence à être en horreur, d'un bout de l'Europe à l'autre . Figurez-vous qu'un grand seigneur espagnol 3, que je ne connais point, s'avise de m'écrire une lettre tout à fait antifanatique, pour me demander des armes contre le monstre, en dépit de la Sainte-Hermandad.
Jean-Jacques est devenu entièrement fou ; il s'était imaginé qu’il bouleverserait sa chère patrie que je corrompais, dit-il, en donnant chez moi des spectacles ; il n'a pas mieux réussi en qualité de boutefeu, qu'en qualité de charlatan philosophe . Tout ce qu'il a gagné, c'est d'être en horreur à tous les honnêtes gens de son pays ; ce qui joint à des carnosités et des sophismes, ne fait pas une situation agréable .
Est-il vrai qu'Helvétius est à Berlin? Il me paraît que le réquisitoire composé par Abraham Chaumeix lui a donné une paralysie sur les trois doigts avec lesquels on tient la plume . Est-ce qu'il ne savait pas qu'on peut mettre l'inf … en pièces, sans graver son nom sur le poignard dont on la tue ? Mme Denis vous embrasse de tout son cœur, et moi aussi . »
1 L'édition de Kehl est incomplète de la fin de l'avant-dernier paragraphe (Tout ce qu'il a gagné …. agréable )
2 Ce qu'il fallait démontrer .
3 V* en donnera le nom en tête d'une lettre à Damilaville du 22 avril 1765 : « A Monsieur Joaquim D’Eguia Marquès de Marros, à Ascoitia par Bayonne en Espagne
C’est mon cher frère, l’adresse d’un adepte de beaucoup d’esprit qui s’est adressé à moi et qui brûlerait le grand inquisiteur s’il en était le maître . » Voir : https://es.wikipedia.org/wiki/Joaqu%C3%ADn_Mar%C3%ADa_de_Egu%C3%ADa_Aguirre
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les ridicules et les crimes ne sont que dans les villes
... Ce que contredit l'ami Brassens : https://www.youtube.com/watch?v=6mtugogRIAo
« A Etienne-Noël Damilaville
23è mars 1765
Mon cher frère, voici les ordres que le Dieu d'Epidaure signifie à vos amygdales . Portez-vous bien, et jouissez de la force d'Hercule pour écraser l'hydre . Je suis affligé de n'avoir point encore appris que le roi ait honoré d’une pension l'innocence des Calas .
Vous devez avoir reçu le mémoire des Sirven . Rien n'est plus clair ; leur innocence est plus palpable que celle des Calas . Il y avait du moins contre les Calas des sujets de soupçon, puisque le cadavre du fils avait été trouvé dans la maison paternelle, et que le père et la mère avaient nié d'abord que ce malheureux se fût pendu ; mais ici, on ne trouve pas le plus léger indice . Que d'horreurs, juste ciel ! On enlève une fille à son père et à sa mère, on la fouette, on la met en sang pour la faire catholique, elle se jette dans un puits, et son père , sa mère et ses sœurs sont condamnés au dernier supplice ! On est honteux, et on gémit d’être homme quand on voit que d'un côté on joue l'opéra-comique, et que de l'autre le fanatisme arme les bourreaux . Je suis à l’extrémité de la France, mais je suis encore trop près de tant d'abominations .
Est-il vrai qu'Helvétius est parti pour la Prusse ?1 Du moins ne brûlera-t-on pas ses livres dans ce pays-là .
La Destruction est-elle enfin entre les mains du public ? À bon entendeur salut, doit être la devise de ce petit livre . Je doute que le Pyrrhonien raisonnable 2 fasse une grande fortune, quoique l'auteur ait beaucoup d'esprit .
Il y a une petite brochure contre Racine et Boileau , qui ne peut être faite que par un sot, ou du moins par un homme sans goût ; et cependant je voudrais bien l'avoir .
Je ne sais ce que c'est que L'Homme de la campagne 3. Il y a dans Genève des Lettres de la campagne , auxquelles Jean-Jacques a répondu par les Lettres de la montagne . C'est un procès qui n'est intéressant que pour les Genevois . Pour L'Homme de la campagne si c'est une satire contre ceux qui se sont retirés du monde la satire a tort ; les ridicules et les crimes ne sont que dans les villes .
Adieu, mon cher frère, écr l'inf. »
1 Il y est à l'invitation de Frédéric II .
2 Voir lettre du 8 mars 1765 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/05/23/paris-est-ivre-on-craint-qu-ayant-cuve-son-vin-il-ne-lui-res-6240634.html
3 On n'en sait pas plus, sur ce qui est sans doute l'ouvrage d'un physiocrate .
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